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Full text of "La volonté"

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BIBLIOTHÈQUE INTERNATIONALE 

DE PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE 

NORMALE ET PATHOLOGIQUE 

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION 

Du D p TOULOUSE 

Médecin en chef de l'Asile de Villejuif, 

Directeur du Laboratoire de Psychologie expérimentale 

à l'École des Hautes Études. 

Secrétaire : N. VASGHIDE 



LA VOLONTÉ 



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DU MÊME AUTEUR 



LIBRAIRIE ALCAN 

/. activité mentale et les éléments de l'esprit, i vol. in-8. 

Les caractères, 2 e édition, i vol. in-8. 

Esprits logiques et esprits faux, i vol. in-8. 

Le* phénomènes affectifs et les lois de leur apparition r 

:i* éd. i i vol. in-18. 
Joseph de Maistre et sa philosophie, i vol. in-18. 
Psychologie de l'invention, i vol. in-18. 
Le nouveau, mysticisme, i vol. in-18. 
Physiologie de V esprit, 5 e édition, i vol. in-3a. 



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LA VOLONTÉ 



FR. PAULHAN 



PARIS 
OCTAVE DOIN, ÉDITEUR 

8, PLACE DE L'ODÉON, 8 
1903 

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1 "S.fc O 5" 
CCT 1 1913 

,E 1W LA VOLONTÉ 



INTRODUCTION 



La volonté est une forme, un cas spécial, de notre 
activité. Incessamment l'homme agit sur lui-même 
et sur le monde extérieur. Il satisfait ses désirs, il se 
dirige selon ses idées, il crée de nouvelles idées et de 
nouveaux désirs, il influence ses semblables, il mo- 
difie le milieu qui l'entoure, milieu physique, milieu 
moral, milieu social, il s'adapte à ce milieu, il adapte 
ce milieu à lui-même. Ce serait une singulière erreur 
que de ne voir l'activité de l'homme et de ne retrouver 
sa volonté que sous leur forme motrice. L'activité se 
manifeste et la volonté se montre aussi bien dans la 
direction des idées, et même, quoique un peu autre- 
ment, dans l'évolution des sentiments que dans l'exé- 
cution des actes. 

Toute activité n'est pas volontaire ou du moins 

toute activité n'est pas volontaire au même degré, et 

n'est pas en apparence volontaire. Bien souvent nous 

pensons, njous sentons, nous agissons d'une manière 

Paulhah. i 



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2 LÀ VOLONTE 

réflexe, automatique ou instinctive. Ce sont là des 
modes d'activité qui diffèrent de l'activité volontaire 
tout en ayant avec elle les rapports les plus étroits. 
Dans l'activité réflexe, automatique, instinctive, nous 
agissons sans délibération, sans intervention du moi 
conscient, de la réflexion attentive, et même souvent 
sans nous en rendre bien compte. Il en est de même 
dans l'activité suggérée, dans l'imitation spontanée 
qui tient une grande place dans la vie mentale et sociale 
et qui passe bien souvent inaperçue. Car il arrive qu'on 
s'abuse soi-même sur la nature de sa propre activité et 
qu'on s'imagine vouloir énergiquement quand on ne 
fait, en somme, que se laisser aller à la routine et 
subir assez passivement l'influence d'autrui. 
» La volonté implique généralement à quelque degré 
la conscience et la réflexion. L'acte volontaire com- 
prend trois phases : la délibération, la décision et l'exé- 
cution. Celle-ci est peut-être plutôt un signe et comme 
une preuve de l'acte volontaire qu'un de ses éléments 
constituants. Mais ce qui constitue le plus essentielle- 
ment la volonté, c'est le fait même de la décision. 
C'est là une synthèse psychologique originale, dont 
les caractères sont assez nets, qui se distingue de l'ac- 
tivité automatique par sa nouveauté, et de l'activité 
suggérée par sa nature beaucoup plus personnelle, 
plus spéciale à l'agent. 

Quelques exemples suffisent à nous montrer clai- 
rement les différentes formes de l'activité humaine 
que je viens de mentionner. Nous agissons d'une ma- 
nière réflexe et instinctive quand nous fermons les 
paupières en voyant un objet quelconque s^approcher 
de notre œil, d'une manière automatique quand nous 



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à 



INTRODUCTION 5 

ouvrons machinalement notre parapluie après avoir 
senti quelques gouttes, par suggestion quand nous 
nous levons sans y prendre garde à l'annonce que le 
dîner est servi. Au contraire c'est un acte de volonté 
que se décider, après mûre réflexion, à se faire pro- 
fesseur ou à partir pour une exploration lointaine. 



On a pu croire, d'après la vieille division des phé- 
nomènes psychologiques en faits de sensibilité, d'in- 
telligence et de volonté, que la volonté pouvait offrir 
à notre étude des faits spéciaux, différents des autres 
phénomènes psychiques, et formant une classe ana- 
logue. Il n'en est rien. La volition n'est pas, dans ses 
éléments, un phénomène distinct des autres par sa 
nature et qui se distinguerait d'une émotion et d'une 
idée comme l'émotion et l'idée se distinguent l'une de 
l'autre. La volition a toujours pour éléments, des 
«tats intellectuels et des états affectifs, des idées, des 
images visuelles, auditives, motrices, etc., des émo- 
tions de peur ou de désir, des tendances diverses, 
elle n'a pas d'autres éléments. Son caractère propre 
est simplement d'être une synthèse nouvelle, ce qui la 
différencie dans une certaine mesure et de la routine 
et de l'imitation, et une synthèse active, ce qui la 
différencie dans une certaine mesure de l'invention, 
de ces divers phénomènes. Il n'y a rien d'original dans 
la volonté, si ce n'est la volonté même, la synthèse 
active et nouvelle d'éléments très variés qu'on pour- 
rait classer -dans toutes les autres catégories de phé- 



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4 LA VOLONTÉ 

nomènes psychiques. Au moment même où nous 
prenons une décision, ce qui se produit ce n'est pas 
un élément nouveau, c'est une fixation nouvelle des 
éléments qui existaient déjà, de nos désirs et de nos 
idées, c'est une orientation nouvelle de l'esprit. 



§3. 

La volonté qui se rattache à certains égards à l'au- 
tomatisme et à l'imitation, se rattache aussi à l'inven- 
tion. Elle est quelque chose comme une combinaison 
d'invention et d'automatisme. Elle se rapproche de 
l'invention, en ce qu'elle est, comme celle-ci, une 
synthèse nouvelle. Elle est une sorte d'invention 
pratique, d'invention appliquée, d'invention active. 
C'est une question de savoir s'il y a de la volonté 
dans toute invention, mais sûrement il y a toujours 
une part d'invention active, sinon toujours d'in- 
vention intellectuelle dans chaque acte de volonté. La 
synthèse volitive est exactement l'analogue de la syn- 
thèse créatrice, l'une étant dans l'ordre de l'activité ce 
qu'est l'autre dans l'ordre de l'intelligence. La volonté 
s'oppose à l'automatisme et le rompt exactement comr 
me l'invention s'oppose à la routine et la brise. L'une 
et l'autre sont une rupture de l'habitude, et l'une et 
l'autre aussi préparent des habitudes nouvelles, un 
automatisme plus compliqué, une routine plus savante, 
que de nouvelles volontés et de nouvelles inventions 
viendront contrarier encore. Ce qui est automatisme 
chez un pianiste exercé était une série d'actes de vo- 
lonté et d'attention chez le débutant, comme ce qui 



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INTRODUCTION 



est routine dans la manière d'un peintre ou d'un 
poète fut jadis une invention opposée à la routine de 
l'école. 



§*• 

On voit en abrégé d'après ce qui précède quels 
sont les principaux éléments et les qualités spéciales 
qui constituent essentiellement la volonté. Ce n'est 
pas tout ce que nous aurons à étudier. Ces éléments et 
ces caractères varient, au moins de qualité, et aussi 
dans leurs proportions d'un individu à l'autre. La 
synthèse volontaire ne s'effectue pas chez tous les 
hommes de la même façon. Il y a là une assez grande 
variété de formes de volonté dont l'étude a son im- 
portance. L'analyse doit nous permettre de recon- 
naître sous toutes ces apparences le mécanisme qui 
les produit. Nous aurons encore à délimiter le do- 
maine de la volonté, à voir sur quels phénomènes 
elle peut avoir prise, et comment son domaine peut 
s'agrandir ou diminuer, à rapprocher les données de 
la psychologie de celles de la biologie d'une part et 
de la sociologie de l'autre, et enfin à dire quelques 
mots des questions philosophiques que son étude sou- 
lève, à parler au moins brièvement des rapports de 
la volonté avec le monde, et de son rôle général dans 
les évolutions des sociétés et des mondes. Cette intro- 
duction n'est qu'une indication succincte et un ré- 
sumé partiel des matières que je me propose d'aborder 
dans ce livre. 



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CHAPITRE PREMIER 
LA VOLONTÉ ET L'AUTOMATISME 

§ i. — Actes réflexes et automatisme psychique. 

Il est toute une grande part de notre activité qui, 
de l'aveu de tous, n'est pas volontaire, ou du moins, 
ne Test que très peu. Telles sont l'activité réflexe, l'ac- 
tivité automatique, l'activité instinctive. Ces formes de 
l'activité sont parfois inconscientes, parfois aussi notre 
sens interne les aperçoit, elles offrent en général une 
grande régularité et, par rapport aux actes volontaires, 
une certaine simplicité, très variable d'ailleurs d'un 
bout de la série à l'autre. Les réflexes les plus simples 
sont, par exemple, bien moins compliqués que les 
actes instinctifs. 

Je n'insisterai pas sur les actes réflexes ; les no- 
tions dont nous aurons besoin pour l'étude de la 
volonté sont assez répandues. On sait qu'ils sont 
beaucoup plus compliqués les uns que les autres. On 
sait aussi que les réflexes simples peuvent être em- 
ployés comme éléments dans des réflexes composés 
ou dans des actes instinctifs. Il se produit ainsi 
une complication croissante des mouvements qui 
peut devenir une des occasions qui préparent l'ac- 



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LA VOLONTÉ ET L'AUTOMATISME f 

tion volontaire. La toux, l'éternuement, la respira- 
tion, la marche, les mouvements provoqués par le 
chatouillement sont des exemples bien connus.de ré- 
flexes plus ou moins compliqués, quelques-uns de ces 
phénomènes peuvent cependant devenir autre chose 
que des actes réflexes et faire l'objet d'un acte de 
volonté, lorsqu'ils ne dépendent plus seulement de 
l'excitation qui les produit normalement, mais qu'ils 
sont mis en rapport avec une partie plus considérable 
de la personnalité, de nos tendances, de nos désirs et 
de nos idées, lorsque le moi intervient pour déter- 
miner, faciliter, permettre leur exécution. 

Ce qu'on a peut-être un peu moins remarqué que 
le réflexe pur, c'est l'automatisme psychologique. Il est 
une immense quantité d'actes, plus compliqués, mais 
qui s'accomplissent avec à peu près la même régula- 
rité et la même fatalité que les réflexes. En irritant 
une patte d'une grenouille décapitée, on lui fait reti- 
rer cette patte. Mais en irritant l'amour propre d'un 
homme vaniteux on est à peu près sûr de provoquer 
des réactions instinctives presque aussi fatales et 
aussi faciles à prévoir que les mouvements de la gre- 
nouille. Et ces diverses réactions manifestent des lois 
d'irradiation et de complication à peu près analogues, 
à mesure que croît l'excitation. Évidemment le phé- 
nomène est ici beaucoup plus compliqué et par cela 
même moins régulier, mais au fond les choses se pas- 
sent à peu près de même. Ces « réflexes psychiques » 
pour employer le nom que leur donne M. Charles 
Richet 1 , sont extrêmement nombreux. Les habitudes 

i. Voir les études de M. Richet sur les réflexes psychiques 
dans la Revue philosophique. Année 1888. Tome I. 



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8 LA VOLONTÉ 

que nous prenons spontanément et celles qu'on nous 
fait prendre en fournissent continuellement des exem- 
ples très variés. 

Le caractère de chacun de nous est une cause con- 
tinuelle de réflexes psychiques, et particulièrement 
de ce que l'on pourrait appeler le réflexe sentimental 
en même temps que du réflexe d'habitude. Chacun 
de nous a ses sentiments, ses habitudes propres de 
penser, de sentir et d'agir qui sont toujours en 
activité ou très près de s'y mettre. C'est même la con- 
stance de leur action qui donne à chacun de nous 
un caractère reconnaissable et une personnalité dis- 
tincte. Nos qualités, nos défauts ne sont autre chose 
que la forme générale et toujours semblable à elle- 
même que prennent nos impressions et nos actes. Dire 
de quelqu'un qu'il est avare, c'est spécifier la classe 
de sentiments et de réactions que provoqueront en lui 
les affaires d'intérêt, les occasions qu'il trouvera de 
gagner de l'argent ou d'en dépenser. A côté des ré- 
flexes, des actions automatiques qui représentent 
ce qui, en nous, appartient à l'espèce, à la race, 
au milieu dans lequel nous vivons, et qui consistent 
en réflexes simples, en instincts, en sentiments et actes 
suggérés par notre société, il y a donc des réflexes 
psychiques et des actes automatiques qui représentent 
plus spécialement notre nature personnelle, et la 
combinaison particulière d'éléments qui est notre moi. 

Aussi bon nombre des actions qui portent l'em- 
preinte de notre personnalité ne sont pas pour cela 
des actes volontaires. Ce sont bien souvent des actes 
qui résultent presque aussi simplement de notre con- 
stitution individuelle que les réflexes de notre consti- 



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LA. VOLONTÉ ET L AUTOMATISME g 

tution spécifique, avec aussi peu de trouble et aussi 
peu de délibération. Si Ton y regarde de près, on 
verra que ce genre d'automatisme tient dans la vie une 
place extrêmement considérable. Il est inévitable qu'il 
en soit ainsi et cela est heureux aussi, car l'intervention 
de la volonté quand elle est trop souvent provoquée 
devient, un singulier embarras. 

§ 2. — La complication des réflexes psychiques. 

Toutefois les différences qui subsistent entre le ré- 
flexe simple et le réflexe psychique nous montrent 
l'origine des caractères propres de la volonté et aussi 
nous font prévoir l'une des transformations possibles 
de l'activité automatique en activité volontaire. 

A cause de la complexité plus grande des éléments 
psychiques, et des éléments physiologiques corrélatifs 
qui y prennent part, les résultats sont beaucoup plus 
variables dans le réflexe psychique que dans le réflexe 
simple et notre connaissance de l'esprit d'autrui n'est 
généralement pas suffisante pour nous permettre de 
le prévoir avec une complète exactitude. Nous savons, 
par exemple, que nous froisserons l'amour-propre d'un 
homme en attaquant sa vanité d'une certaine façon. 
Mais quelle sera la réaction produite? Nous pouvons 
annoncer une réplique assez vive, ou bien une rancune 
durablç, ou bien un silence méprisant, accompagné de 
petits mouvements des lèvres et des sourcils. Mais savoir 
au juste laquelle de ces manifestations se produira, 
cela n'est pas toujours possible. La nature de la réac- 
tion sera déterminée sans doute par l'amour-propre 
de l'individu, mais cet amour-propre peut être influencé 



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10 LA VOLONTÉ 

en mille manières soit par les autres qualités perma- 
nentes de l'individu (naïveté ou ruse, bonté ou séche- 
resse, etc.), soit par des circonstances accidentelles (état 
de l'atmosphère, état des fonctions organiques, con- 
trariétés récentes ou joies inespérées, etc.). Or nous 
ne pouvons avoir la prétention de connaître et d'ap- 
précier parfaitement tous ces facteurs. Il arrivera 
sans doute, que nous pourrons prévoir avec justesse, 
mais nous ne serons jamais bien légitimement sûrs 
de la justesse de cette prévision que lorsqu'elle aura 
été confirmée par les événements. 

Cette multitude de facteurs différents qui concourent 
à la production d'un même acte entraînent de nom- 
breuses variations dans les réflexes psychiques, varia- 
tions beaucoup plus nombreuses que celles des réflexes 
ordinaires qui, cependant, ne sont jamais peut-être 
absolument nulles. Non seulement les réactions, dans 
les réflexes psychiques, varient de forme d'une fois à 
l'autre, mais alors même qu'elles sont à peu près 
les mêmes, elles ne sont jamais complètement identi- 
ques et elles ont toujours changé sur quelques points. 
Quand une personne prononce, dans, des circon- 
stances analogues (qui elles-mêmes ne sont jamais 
identiques) les mêmes paroles, il s'y trouve toujours 
quelques légères différences dans le ton, dans le jeu 
de la physionomie, dans les petits détails qui les 
accompagnent et les suivent. 



§ 3. — Les origines de la volonté dans V automatisme. 
Cette complication et cette variété dans les réflexes 



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LA VOLONTE ET L AUTOMATISME 1 1 

psychiques, avec leur issue toujours quelque peu incer- 
taine, voilà un des ensembles de conditions qui 
préparent l'acte de volonté, un des faits qui nous 
permettent de comprendre quelques-uns de ses prin- 
cipaux caractères. 

C'est en effet cette complication et ses suites qui 
causent parfois ou qui, tout au moins, indiquent la 
difficulté pour l'homme d'agir, son impuissance à 
s'adapter spontanément, par le jeu automatique non 
troublé de ses désirs et de ses idées, aux différentes 
circonstances qui se présentent. Le même fait aussi 
cause ou révèle les conflits qui se produisent entre nos 
différentes tendances et qui doivent parfois être réso- 
lus par un acte de volonté, par cette synthèse active 
qui constitue la volition et par laquelle quelques-unes 
de ces tendances sont conservées, développées, accep- 
tées comme directrices de la conduite, tandis que les 
autres sont éliminées et momentanément ou définiti- 
vement supprimées de notre vie consciente. 

La complication croissante des actes et la nécessité 
pour les tendances, les désirs, les idées de former, 
toujours de nouvelles combinaisons, d'une part et 
d'autre part le conflit des tendances, des désirs et 
des idées et la nécessité d'y mettre un terme, ce sont 
là, en effet, si je puis dire, les deux premières 
sources par lesquelles la volonté sort de l'automa- 
tisme. 

L'automatisme, c'est en effet l'expression de notre 
personnalité acquise, de la personnalité déjà formée 
soit par le travail propre de la série des êtres qui 
nous ont précédés dans la vie et les innombrables 
influences qui se sont exercées sur eux pendant des 



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Ï2 LA. VOLONTE 

siècles, soit par notre propre travail et les influences 
que nous avons personnellement subies. La volonté 
correspond au contraire à la personnalité qui se 
forme, à celle qui est en train de s'organiser, qui 
fait face à de nouvelles circonstances, qui acquiert 
une systématisation nouvelle. 

Dire que la volonté est l'expression de la person- 
nalité qui s'organise, c'est dire que la volonté suppose 
une défectuosité, un manque d'adaptation, une orga- 
nisation incomplète. Ces défauts se traduisent égale- 
ment par la complexité un peu incohérente des ten- 
dances et par le manque de systématisation, qui fait 
l'individu incapable de s'accommoder aux conditions 
nouvelles qui se présentent, comme par l'opposition et 
la lutte directe des idées et des désirs dans un ensemble 
donné de circonstances, dans une situation à laquelle 
il faut s'adapter. 



§ 4- — L'impuissance de V automatisme comme con- 
dition de la volonté. Volonté et invention. 

Si chacun de nos réflexes psychiques n'est pas 
évidemment une répétition des précédents, s'il pré- 
sente toujours une certaine nouveauté, insuffisante 
pour en faire un acte volontaire, suffisante pour qu'on 
y doive reconnaître déjà une trace de volonté et pour 
qu'on le distingue des réflexes purs, c'est que les con- 
ditions de l'action, conditions intérieures et conditions 
extérieures ne se répètent jamais complètement. Il se 
produit donc des combinaisons nouvelles, mais où l'a- 
daptation est si facilitée par les actes précédemment 



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LA VOLONTÉ ET L'AUTOMATISME l3 

accomplis, où la nouveauté est si peu importante 
qu'aucune difficulté grave ne surgit, et que parfois 
nous prenons à peine conscience de notre action. 
Que ma plume soit un peu plus molle ou un peu 
plus dure, si l'écart n'est pas trop considérable, j'y 
prends à peine garde et je continue à écrire pour ainsi 
dire machinalement. Si au contraire la plume était 
d'une dureté exceptionnelle, mon attention serait for- 
cément éveillée, et, si je continuais à écrire, il me fau- 
drait faire un effort et un acte de volonté interviendrait. 
Cet exemple bien simple nous indique fort exacte- 
ment, je crois, comment l'activité volontaire dont 
nous verrons plus tard la nature, mais dont nous 
recherchons pour le moment les conditions et les élé- 
ments, vient s'introduire dans la série des états de 
conscience. Quand nous nous trouvons placés dans 
des conditions où le jeu automatique des tendances 
ne permet plus l'adaptation, la conscience s'éveille, 
la réflexion se produit, et la nouvelle adaptation ne 
peut se produire que par la délibération (plus ou moins 
courte et plus ou moins nette) et la décision qui con- 
stituent l'acte de volonté. C'est tout à fait l'analogue 
de ce qui se passe dans un autre domaine quand nous 
cherchons à résoudre un problème nouveau pour 
nous. Nous ne pouvons plus appliquer les formules 
qui nous ont servi pour des problèmes analogues, 
nous ne "pouvons plus trouver automatiquement la 
solution, il faut travailler, réfléchir, combiner en les 
modifiant les anciens procédés, les formules usitées. 
Nous ne pouvons nous tirer de la difficulté que par 
une invention qui brise notre routine antérieure et 
supplée à son insuffisance. 



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l4 LA VOLONTÉ 

Des inventions de ce genre-là, soit des inventions 
théoriques, soit des inventions pratiques qui consti- 
tuent des actes de volonté sont très souvent rendues 
nécessaires par tous les changements, parfois consi- 
dérables, que nous impose la vie ou que nous recher- 
chons nous-mêmes. Notre organisation sociale est telle 
que nous ne pouvons pas toujours nous adapter 
spontanément à tous les changements de vie que pro- 
voquent la croissance de notre corps et le dévelop- 
pement de notre esprit. Les premiers choix qui déci- 
dent du sort d'un enfant sont généralement exercés 
par les parents qui veulent pour lui. Une fois ce choix 
fait il peut rester longtemps sans prendre, à cet égard, 
une initiative marquée. Par exemple, si on l'envoie 
au lycée, il passera de huitième en septième, de 
septième en sixième et ainsi de suite sans avoir besoin 
d'exercer sa volonté d'une manière bien nette. Il peut 
agir automatiquement. Sa volonté s'exerce cependant 
mais sur d'autres points. Il est obligé de vouloir et 
de faire effort pour s'appliquer à certains travaux trop 
nouveaux pour lui et auxquels il ne peut s'intéresser 
spontanément, etc. Plus tard, arrivé au moment de 
choisir une carrière, à moins qu'il ne se laisse com- 
plètement diriger ou qu'il ne trouve dans la succes- 
sion de son père une position toute faite, il pourra 
être obligé de vouloir pour choisir entre les car- 
rières qui s'ouvrent devant lui. Il aura encore à 
faire acte de volonté pour se marier, par exemple, 
pour changer d'occupations, si l'occasion s'en pré- 
sente, etc., et, en général, dans tous les cas où la trop 
grande nouveauté empêche l'adaptation spontanée, 
et la combinaison immédiate et automatique des 



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LA VOLONTÉ ET l'aMTOMATISME l5 

idées, des sentiments et des actes. Dans tous les cas de 
ce genre et, ils sont nombreux, l'adaptation spontanée, 
ne pouvant s'effectuer sans peine et sans trouble, est 
remplacée par l'adaptation volontaire. Tout ce qui 
accroît la complication ou la nouveauté des actes tend 
à rendre son intervention indispensable. Nous étudie- 
rons tout à l'heure le mécanisme intime de son 
action. 



§ 5. — Le conflit des tendances automatiques comme 
condition de la volonté. 

Une autre condition de la volonté, c'est le conflit 
des tendances, des désirs et des idées. Ici, non seule- 
ment, l'adaptation ne peut comme tout à l'heure 
s'établir spontanément, mais encore il y a une lutte 
directe entre les tendances qui pourraient la préparer 
ou la faire. Ce n'est plus précisément le même 
genre d'impuissance et le même vice. Dans le cas 
précédent aucune tendance ne pouvait provoquer la 
systématisation, ici il y a en souvent plusieurs dont 
chacune tend à établir la systématisation dans un sens 
différent, ou s'il n'y en a qu'une, son action est 
contrariée par la résistance que d'autres lui opposent. 
Il arrive d'ailleurs aussi très fréquemment que les 
deux formes d'impuissance se combinent. 

Des exemples très simples et empruntés à la vie 
de tous les jours nous renseignent suffisamment sur 
cette nouvelle condition favorable à la naissance de 
l'action volontaire. Comme les insuffisances légères 
dans le cas précédent, nous voyons ici les petits 



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l6 LA VOLONTÉ 

conflits se résoudre tout seuls et à peu près sponta- 
nément, par la force automatique des tendances. 
Continuellement un désir vif, un besoin important 
étouffe une vague impression qui le contrarierait. 
Quand nous faisons une course ennuyeuse mais 
indispensable, nous réprimons, chemin faisant, une 
foule de petites impressions qui tendent à nous en 
détourner. De même, quand nous écrivons par 
devoir une lettre, un travail quelconque qui ne nous in- 
téresse guère, mais que nous ne pouvons négliger, nous 
réprimons sans cesse, instinctivement, une foule 
d'envies perturbatrices et d'idées vagabondes. L'au- 
tomatisme, le jeu instinctif des tendances suffit à 
parer à ces éventualités et la volonté n'intervient pas 
d'une manière apparente. 

Mais si le conflit s'accentue, les choses se compli- 
quent et l'automatisme ne suffit plus. L'effort s'im- 
pose et la volonté réfléchie vient à se produire. Quand 
un acte nous est très pénible, quand il nous répugne 
ou nous froisse et que cependant nous jugeons qu'il 
faut l'exécuter, nous retrouvons tous les caractères de 
la volition la mieux caractérisée, l'arrêt momen- 
tané des tendances, l'hésitation et la délibération, la 
lenteur de l'adaptation, puis la décision, la synthèse 
active. 

Peut-être trouvera-t-on que le caractère de nou- 
veauté que je signalais tout à l'heure comme carac- 
téristique de la volonté, n'apparaît pas ici très nette- 
ment dans tous les cas. Il se peut que l'action qui 
s'impose à nous ne soit pas, en effet, entièrement 
nouvelle. Parfois même, une action habituelle nous 
devient très pénible à cause d'un changement dans 



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*7 

nos goûts, dans nos dispositions, dans les circon- 
stances extérieures ou intérieures qui se présentent. 

Remarquons d'abord que ces cas sont loin d'être 
la règle. Bien souvent ce qui nous répugne le plus et 
nous est désagréable c'est ce qui n'est pas habituel, 
ce que nous n'avons pas encore essayé, ce que nous 
ne savons pas faire. Mais alors même que ce qui 
nécessite ou produit un effort de notre volonté est un 
acte déjà accompli auparavant, la nouveauté des 
circonstances, ou des impressions que nous éprou- 
vons suffit à donner à l'ensemble du phénomène le 
caractère d'invention sur lequel j'ai insisté. Nous 
nous en rendrons parfaitement compte en examinant 
les cas analogues de l'invention intellectuelle. Il 
arrive que des idées même anciennes chez nous et qui 
ont été longtemps acceptées finissent par répugner à 
l'esprit et lui être, à un moment donné, très désa- 
gréables. Certains faits l'en détournent, certaines 
objections tendent à le transformer. Si cependant on 
continue à penser, au fond, que ces idées sont 
vraies, malgré les apparences, il faut les concilier avec 
elles, il faut trouver les raisons qui écarteront les ob- 
jections, qui feront interpréter autrement les faits, 
qui, même en cas de doute, montreront du moins qu'il 
y a encore avantage à penser toujours de la même ma- 
nière. Cet effort de l'esprit, s'il réussit, est une véri- 
table réinvention d'une conception déjà ancienne, car 
on lui associe de nouvelles pensées et de nouvelles ima- 
ges. Il se produit une synthèse d'images et d'idées où 
le caractère de nouveauté est très net en somme, bien 
qu'elle se forme autour d'un noyau qui n'est pas nou- 
veau, ce qui est du reste la règle dans l'invention. 



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1-8 LA VOLONTÉ 

Le cas de la volonté est à peu près analogue. Ici 
encore une synthèse nouvelle se forme autour d'un 
noyau de phénomènes qui se sont déjà produits. Ce 
qui est nouveau, si ce n'est pas l'acte lui-même, 
c'est au moins l'acte accompli pour telle ou telle 
raison et malgré telle ou telle impulsion, c'est l'en- 
semble qui le détermine et dont il fait partie comme 
un élément qui vient plus lard se joindre aux 
autres. 

§ 6 . — L'automatisme et les conditions de la vie humaine. 

Cette complication croissante des instincts et ces 
conflits violents d'idées et de désirs qui rendent 
l'automatisme impuissant, ou, pour mieux dire, qui 
le rendent impossible sont étroitement liés à la nature 
de l'homme. C'est à l'imperfection de notre organi- 
sation psychologique et, c'est aux défauts de notre 
organisation sociale que nous les devons, c'est aussi 
à leur tendance vers un état meilleur — ce qui est 
après tout presque la même chose. Les animaux, 
en qui l'instinct paraît la forme dominante et, sou- 
vent, autant que nous en pouvons juger, presque la 
seule forme de l'activité, ne sont point soumis aux 
mêmes conditions. On ne retrouve pas chez eux le 
même élargissement de la vie avec des variations 
équivalentes, ni les conflits de sentiments et d'instincts 
qui sont si fréquents chez l'homme, avec une pa- 
reille intensité. Il ne faut voir là, du reste, que des 
différences de degré, et il semble bien que l'on peut 
retrouver aussi chez l'animal des formes rudimentaires, 
mais rssez nettes de la volonté. 



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LA VOLONTÉ ET l' AUTOMATISME I9 

Les conditions de la vie humaine, au contraire, 
sont si compliquées que l'homme n'a pu arriver à 
l'automatisme. Le conflit des tendances ou l'insuffi- 
sance de l'instinct sont provoqués ou décelés à chaque 
instant par les contradictions de la vie sociale, et 
résultent continuellement de l'état encore, bien in- 
cohérent ou trop arrêté et insuffisamment souple de 
notre intelligence et de notre activité. Nos instincts 
sont trop formés pour s'adapter facilement à des chan- 
gements de conditions, ou bien l'instinct plus com- 
plexe qui pourrait produire cette adaptation n'a pas 
encore pu s'établir. Et d'autre part, la diversité 
inouïe des conditions que nous fait la complexité de 
la vie sociale a produit dans l'homme des instincts 
divers qui ne sont pas en harmonie les uns avec les au- 
tres et qui ne se sont pas encore fondus dans un instinct 
supérieur. C'est ainsi que nos tendances esthétiques 
sont parfois en contradiction avec notre amour de 
la famille, que l'amour est souvent contrarié par 
l'intérêt, que la piété est en lutte avec l'amour des 
plaisirs, etc. Il y a là des faits permanents et constants 
qui montrent, à chaque instant, l'impossibilité ac- 
tuelle de la vie automatique et spontanée, et qui sont 
les conditions essentielles des actes de volonté. 



§ 7 . — Distinction de la volonté et de certaines 
formes de V automatisme. 

Aussi y a-t-il souvent ou toujours, quelque élé- 
ment de volonté même dans les actes en apparence 
les plus automatiques. Mais on est, pour diverses 



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20 LA VOLONTE 

raisons, porté à s'en exagérer l'importance. La part 
d'automatisme qui se manifeste dans nos actes est 
souvent méconnue. Il y a des illusions psychologiques 
dont il faut se méfier. Celle dont je parle ici a été 
souvent signalée, et pourtant on y tombe continuelle- 
ment. 

C'est d'abord qu'il y a des apparences trompeuses 
et puis que le mot de « volonté » est pris, dans la 
conversation courante, en un sens un peu trop vague 
souvent. Quelques mots sur les illusions de l'obser- 
vation peuvent aider à préciser ce sens. 

On confond très souvent la volonté avec l'obsti- 
nation, ou avec la vivacité. L'obstination marque 
souvent l'incapacité de vouloir et la vivacité peut être 
une simple manière d'être, une qualité de l'activité 
automatique. Des personnes aux apparences décidées, 
à l'allure vive et peu hésitante, capables de persis- 
tance, sont parfois de véritables impuissants au point 
de vue de la volonté. Rien n'existe en elle que la vie 
spontanée des habitudes qui se modifient très peu. 
C'est la continuité de la routine qui leur donne les 
apparences de la volonté. La preuve en est donnée 
par les changements qui se produisent parfois dans 
les conditions d'existence de ces personnes et qui 
montrent la faiblesse singulière de leur volonté. Dès 
qu'elles ont à modifier leur conduite, à faire face à 
des conditions d'existence un peu nouvelles, à se 
« débrouiller » au milieu non pas même de périls, 
mais de quelques embarras, elles deviennent interdites, 
hésitent sans arriver à la décision, restent mala- 
droites et gauches. N'étant plus soutenues parla rou- 
tine, elles chancellent. Obligées de sortir un peu du 



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21 



sentier battu où chaque jour elles passaient, elles 
sont désorientées et perdent courage. 

Ceci aussi est relatif. Chacun a ses volontés spé- 
ciales. Il est des personnes qui sont incapables de vou- 
loir dans certaines conditions et qui veulent fort bien 
dans d'autres circonstances. Je ne reviens pas ici sur 
l'opposition du courage militaire et du courage civil, 
mais elle peut servir à illustrer ce que j'avance, bien 
que dans certains cas le courage militaire comporte 
peut-être une part relativement grande d'entraînement 
et de suggestion. Il ne faut pas juger trop sévèrement 
la capacité de vouloir d'une personne parce que nous 
l'aurons vue très faible en de certaines circonstances. Il 
se peut que toutes ses habitudes ne lui soient pas éga- 
lement nécessaires, qu'elle résiste plutôt à la rupture 
des unes qu'à la rupture des autres et qu'en certains 
cas, elle sache au besoin remplacer l'habitude par la 
volonté. Il n'en reste pas moins que, bien souvent, ce 
que nous prenons pour de la volonté n'est que de 
l'automatisme, — ou de la suggestion, car la sugges- 
tion nous fournira tout à l'heure des remarques 
analogues. 

Dans ces cas d'illusion, ce qui trompe surtout, 
c'est que tous ces actes d'automatisme compor- 
tent bien une faible part de volonté que Ton exagère. 
L'esprit même d'une personne très peu apte à la vo- 
lition est capable de résoudre certains conflits, de 
se prêter à certaines variations. Nos habitudes, nos 
instincts n'ont pas des éléments si rigoureusement 
soudés ensemble qu'ils ne soient susceptibles de 
quelques modifications, et qu'on n'y puisse substi- 
tuer, selon les occasions, quelques pièces à d'autres. 



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22 LA VOLONTÉ 

Il arrive donc que certaines personnes sont parfai- 
tement capables de se prêter à ces petites modifica- 
tions, de résoudre certains conflits d'instincts, qui ne 
peuvent, dans les circonstances graves, prouver vrai- 
ment qu'elles sont capables de suppléer par l'éner- 
gie de la volonté aux lacunes ou aux défauts de l'au- 
tomatisme. Ces personnes craignent souvent beaucoup, 
par instinct, de changer d'habitudes, de résidence, 
etc., ou si par hasard leur illusion les entraîne 
et les fait croire à leur volonté, elles risquent de se 
repentir amèrement d'avoir abandonné la vie qui 
leur convenait, un peu terre à terre et sans heurts, où 
d'ailleurs, peut-être elles pouvaient exercer le genre 
de volonté dont elles étaient capables, pour montrer, 
en d'autres circonstances, leur incapacité spéciale 
dont elles n'auraient sans doute jamais, sans cela, 
pris ni donné connaissance. 



§ 8. — L'automatisme dans la volonté. 

L'on se méprend aussi sur ce qui reste d'automa- 
tisme dans la volonté. Il n'est pas un de nos actes les 
plus volontaires qui ne mette en jeu une grande 
quantité] de mécanismes dont nous n'avons, souvent, 
guère connaissance, et qui sont des éléments impor- 
tants de l'acte total. Toutes choses égales d'ailleurs, 
un homme qui a, par exemple, l'habitude de l'es- 
crime acceptera plus facilement qu'un autre, en gé- 
néral, un duel à l'épée. Il fera en cela un acte de 
volonté, mais cet acte est facilité par la prépa- 
ration de son automatisme, par le perfectionnement 



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23 

du mécanisme qui est un des éléments de lacté et 
qui est représenté dans l'idée de l'acte. En général 
un homme se décidera plus facilement à accomplir 
un acte désagréable si l'exécution même de col acte 
lui est rendue plus facile par l'habitude, l'exercice, si 
son automatisme est bien développé à l'égard de cet 
acte. Inversement on ne sait pas toujours quel rôle 
joue l'insuffisance de l'automatisme dans l'impuis- 
sance de la volonté ou dans la volonté négative, 
dans l'obstination à ne pas faire. Quelquefois on pa- 
raît aux autres et à soi-même être retenu par un 
scrupule honorable quand on l'est surtout parla gau- 
cherie, l'inhabileté qui provient du manque d'exer- 
cice, du défaut d'entraînement, d'un automnîisme 
insuffisamment développé qui nous rend pour ainsi 
dire physiquement inhabiles à l'action. Mille petites 
circonstances, en apparence insignifiantes, viennent 
exercer ainsi leur influence sur le résultat de nos dé- 
libérations, sur notre activité et nous montrent, quand 
nous pouvons les apercevoir, une partie de ce qui 
reste d'automatique dans nos actes volontaires. 

Il suffit d'ailleurs pour s'en faire une idée de re- 
marquer que ce qui est réellement l'objet de la vo- 
lonté, c'est l'idée de l'ensemble d'un acte. Je décide, 
par exemple, après hésitation et réflexion que j'irai 
faire aujourd'hui une visite qui m'est désagréable 
mais que je juge inévitable. C'est un acte de volonté, 
il s'est produit là une fixation de l'esprit dans une at- 
titude déterminée, une synthèse systématique d'idées, 
de sentiments, d'images diverses, synthèse nouvelle 
et qui rompt le jeu régulier des tendances. Cette 
synthèse va durer tant que l'acte décidé ne sera pas 



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2 4 LA VOLOSTÉ 

accompli, et elle va entraîner une foule de petits ac- 
tes qui sont les moyens de la fin acceptée. Il faudra 
mettre un chapeau, ouvrir une porte et descendre 
l'escalier, marcher, monter dans un omnibus ou 
prendre une voiture, etc. Il n'y aura pas cependant 
une volition distincte pour chacun de ces actes qui 
sont impliqués dans la volition primitive et logique- 
ment amenés par elle. L'automatisme ici reprend ses 
droits, presque tous les actes secondaires s'accom- 
plissent en vertu du mécanisme établi déjà. 

De même que l'invention suppose la routine et 
consiste * en une coordination nouvelle d'éléments 
qui pour la plupart existaient déjà, de même la vo- 
lonté suppose l'automatisme et coordonne une foule 
d'actions qui s'accomplissent automatiquement, ou 
de sentiments et d'idées systématisés de telle façon 
que les actes appropriés à la fin acceptée s'accomplis- 
sent automatiquement à la suite de la volition. 

La volonté implique l'existence de ces divers mé- 
canismes, il ne peut en être autrement. Soit qu'elle 
rompe l'automatisme, soit qu'elle s'en serve, elle le 
suppose également, et elle trouve en lui soit une 
condition préalable, soit un élément. Il en est une 
condition préalable car la volonté suppose toujours à 
la fin une rupture de certaines habitudes (en prenant 
ce mot au sens le plus général) et aussi la continua- 
tion de certaines autres. Les sentiments, les émotions, 
les idées qui nous portent à vouloir sont déjà établis 
en nous, ils ont déjà plus ou moins inspiré ou di- 
rigé nos pensées et notre conduite, ils représentent 

I. Voir ma Psychologie de l'irivention. Paris, F. Àîcan, 1901. 

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LA. VOLONTÉ ET l'aUTOMÀTISME 25 

déjà une part de notre activité et sont étroitement liés 
au fonctionnement de nos diverses habitudes. Une 
partie de ces mécanismes habituels va être em- 
ployée encore automatiquement comme moyen au 
service de l'acte de volonté qui s'accomplit. De tous 
côtés l'automatisme et la volonté se rencontrent, et 
celui-là est toujours la condition, et il est un des 
éléments de celle-ci, exactement comme la routine 
est une condition et un élément de la création intel- 
lectuelle. 



§ 9. — V automatisme, condition de la volonté, en est 
aussi l'aboutissant. 

Si l'activité automatique est une condition néces- 
saire de l'activité volontaire, l'activité volontaire 
est une condition non pas nécessaire mais fréquente 
de l'automatisme. Ce qui est actuellement automati- 
que a souvent commencé par être volontaire, ce qui est 
actuellement volontaire tend à devenir un jour auto- 
matique. Le passage du volontaire à l'habituel et au 
mécanique a été bien souvent indiqué, et je n'y insis- 
terai guère. A mesure qu'un acte se répète, les élé- 
ments psychiques qui le composent s'associent de plus 
en plus étroitement l'un à l'autre et, quand l'occasion 
s'en présente, le système qu'ils forment s'éveille et se 
développe sans trouble et sans heurts, par conséquent 
d'une manière automatique, sans intervention de 
la volonté, et même, quand l'adaptation arrive à un 
degré suffisant de perfection, sans éveil de la con- 
science. L'apprentissage de la marche, la façon dont 
Paulhan. 2 



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2 6 LA VOLONTÉ 

on devient habile à jouer du piano, en sont des 
exemples souvent cités et qui n'ont pas besoin d'être 
plus longuement invoqués. Les lois de l'habitude, 
quoiqu'elles présentent encore des mystères, sont as- 
sez connues déjà pour que le passage du volontaire à 
l'automatique soit suffisamment accepté, au moins 
dans ses grandes lignes. 

Ainsi l'automatisme nous mène à la volonté, et la 
volonté nous ramène à l'automatisme. Une première 
organisation s'est formée. Elle suffit tant bien que 
mal à la vie, puis, à un moment donné, il faut faire 
face à de nouvelles circonstances et les tendances déjà 
organisées ne peuvent y arriver sans trouble et sans 
heurt. Sous l'impulsion de la volonté de vivre, du be- 
soin de bien-être, d'une tendance forte et puissam- 
ment organisée, une crise se produit, et par une com- 
binaison nouvelle, par une synthèse qui constitue 
l'acte de volonté et que nous examinerons plus loin, 
une nouvelle organisation est ébauchée et l'esprit 
s'adapte aux nouvelles conditions de vie qui lui sont 
faites. Mais le processus n'en reste pas là, la nouvelle 
organisation tend à se fixer, à devenir semblable à 
l'ancienne et, dans la mesure que lui permettent les 
circonstances, automatique comme elle. 

Voilà du moins comment on peut se représenter 
les choses schématiquement, car je n'ai pas besoin 
de dire que dans la réalité elles sont beaucoup plus 
complexes. La volonté est une crise pour passer 
d'une forme d'automatisme à une autre généralement 
plus compliquée, adaptée avec plus de précision aux 
nécessités de la vie. Elle marque une transformation, 
elle est le signe de l'impuissance ou du conflit des 



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w r T^S*!* 



LA VOLONTÉ ET L* AUTOMATISME 37 

habitudes en même temps qu'un remède plus ou 
moins efficace, à cette impuissance et à ce conflit. 

§ 10. — La volonté dans V automatisme. 

De même qu'il reste beaucoup d'automatisme dans 
la volonté, il reste de la volonté dans l'automatisme 7 
ou plutôt des éléments de volonté, des caractères af- 
faiblis de la volition, de sorte que nos divers états 
ne sont jamais très purement automatiques, ni absolu- 
ment volontaires. Ils sont composés des mêmes élé- 
ments mais en proportions variables et de telle façon 
qu'en certains cas, l'automatisme est à son maxi- 
mum et les éléments de volonté à leur minimum, 
tandis que d'autres fois c'est le contraire qui se 
produit. 

Un acte de volonté, en effet, ne suffit générale- 
ment pas pour créer une habitude achevée. M Ame 
répété il garde quelques-uns de ses caractères primi- 
tifs et il en est qu'il conserve longtemps. Cela est 
évident pour certains cas, où la crise, par exemple, a 
pour effet de ramener l'état organique précédent, au 
moins dans la mesure du possible. S'être fait, avec 
effort, arracher une dent, ne rend pas toujours sen- 
siblement plus facile une seconde visite au dentiste. 
Même dans d'autres cas où nous voyons bien lu ten- 
dance marcher vers l'automatisme, la marche est 
assez lente, et l'habitude longue à acquérir. Il Tant 
beaucoup d'efforts de volonté à un homme médiocre- 
ment doué pour jouer passablement du piano. Quand 
les choses se passent régulièrement les efforts vont en 



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a8 LA VOLONTÉ 

s'affaiblissant, puis la conscience même s'efface peu 
à peu. Cependant on ne peut affirmer que les élé- 
ments de la volonté disparaissent complètement. 

Il parait, en effet, que ces éléments vont en dé- 
croissant continuellement sans que nous puissions 
les voir jamais complètement annulés. Par exemple 
la nouveauté, le caractère créateur de la volonté, la 
synthèse nouvelle qui la constitue, il semble bien que 
nous continuerons à les retfouver dans toute l'activité 
humaine. On n'a jamais pu trouver deux feuilles 
d'arbre qui fussent absolument semblables, de même 
il y a toujours très vraisemblablement une distinc- 
tion, appréciable ou non pour nous, entre deux de 
nos actes, même de nos actes réflexes. Si semblables 
qu'ils nous paraissent il est impossible qu'ils s'accom- 
plissent absolument dans les mêmes conditions d'in- 
tensité, d'excitation, de circulation sanguine, de tem- 
pérature, d'état moléculaire des nerfs et des cellules 
nerveuses, etc. Nous pouvons remarquer souvent un 
grand nombre de ces petites différences et toutes les 
inductions nous poussent à croire qu'il en existe tou- 
jours quelques-unes. 

Peut-être pourrait-on encore invoquer à ce sujet 
d'autres raisons, on les fonderait sur ce que toute 
transmission de l'excitation à la cellule et tout retour 
delacellule à l'organe moteur exige un certain temps, 
elle n'est pas immédiate, elle implique par consé- 
quent un certain nombre d'obstacles à renverser, de 
résistances à vaincre, d'oppositions à supprimer. 
Mais ces résistances, ces oppositions rappellent bien 
naturellement les conflits que nous avons cru être une 
des conditions de la volonté. Cela tendrait à nous 



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LA VOLONTÉ ET L AUTOMATISME 29 

faire admettre que l'automatisme absolu est une chose 
contradictoire en soi, que si l'automatisme est indis- 
pensable à la volonté, il recouvre toujours lui-même 
quelques-uns des éléments de la volonté et qu'il ne 
saurait jamais en être autrement. Je n'insiste pas 
sur les considérations philosophiques générales qu'on 
pourrait apporter ici à l'appui de cette manière de 
voir et qui nous entraîneraient trop en dehors de la 
psychologie positive. Sans en sortir nous pouvons 
admettre, je crois, d'après ce qui précède, que, de 
même que nos pensées comprennent toujours une 
part de routine et une part d'invention, mêlées en 
proportions très variables, de même nos actes con- 
tiennent une part d'automatisme et une part de vo- 
lonté en proportions très variables également. Et 
l'automatisme est ainsi une condition de la volonté, 
un élément de la volition, l'élément d'où sort et vers 
lequel tend la volonté sans que celle-ci puisse jamais 
se séparer complètement de lui. 

Nous allons voir maintenant que comme l'inven- 
tion comporte également une part d'imitation intel- 
lectuelle, la volonté comporte aussi une certaine 
quantité d'imitation active, de suggestion. 



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à 



CHAPITRE II 
LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 

§ i. — La suggestion. 

Par suggestion j'entends ici tout ce qui, dans notre 
conduite, provient de l'influence d'autrui. Cette in- 
fluence s'exerce continuellement et son importance 
est énorme. Les formes en sont variées, elle est vou- 
lue ou non, consciente ou non, mais elle présente au 
fond les mêmes caractères généraux et, d'une ma- 
nière générale, elle se distingue de l'automatisme et 
de la volonté, tout en ayant avec eux des rapports 
très étroits que je vais essayer de définir. Il ne faut 
pas confondre absolument l'imitation avec la sug- 
gestion, celle-là est un cas particulier de celle-ci. 
Toute imitation est une suggestion, en prenant le 
mot en son sens le plus large, mais la réciproque 
n'est pas vraie et toute suggestion n'est pas une imita- 
tion, elle est parfois le contraire. Nous suggérons par- 
fois à quelqu'un de vouloir, de penser et d'agir d'une 
façon tout à fait différente de la nôtre. 

Les rapports de la suggestion et de l'automatisme 
sont à peu près les mêmes que ceux de l'automatisme 
et de la volonté. Comme la volonté la suggestion rompt 



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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 3l 

l'automatisme, comme la volonté elle s'en sert, et 
comme la volonté, elle prépare un automatisme nou- 
veau. 

L'influence d'une personne sur une autre a pour 
effet, naturellement, de changer l'orientation natu- 
relle et spontanée des croyances, des sentiments, des 
actes de celle-ci. Elle n'existerait pas sans cela. 
La suggestion, comme la volonté, est préparée ou 
facilitée par l'impuissance de l'esprit à s'adapter 
spontanément à des circonstances nouvelles et par le 
conflit des divers automatismes. On est d'autant plus 
porté à subir l'influence des autres qu'on se trouve 
en face de circonstances nouvelles, encore mal con- 
nues, plus compliquées, et que l'on ne peut y faire 
face facilement avec les seules ressources de l'automa- 
tisme. Si les enfants sont plus suggestibles, en géné- 
ral, que les hommes faits, si les influences de toutes 
natures sont, dans le premier âge, plus utiles ou 
plus dangereuses, c'est que la croissance physique et 
psychique des enfants les met à chaque instant dans cet 
état, si favorable à la suggestion, où l'automatisme 
encore imparfait ne peut suffire aux nécessités de la vie. 
Ils se trouvent à chaque instant dans des conditions 
nouvelles pour eux. Au contraire, quand une longue 
routine a prévalu, l'influence d'autrui est générale- 
ment beaucoup moins efficace, parce que les condi- 
tions d'existence ne viennent pas à changer brusque- 
ment. Les vieillards n'ont jamais passé pour subir plus 
que les jeunes gens l'influence de la mode, qu'il s'agisse 
de modes de toilette ou de modes intellectuelles. Ils 
gardent plus volontiers les modes de jadis, les goûts, 
les opinions politiques, les croyances d'autrefois. 



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32 LA VOLONTÉ 

Il y a donc un conflit naturel entre la suggestion 
et l'automatisme. C'est que la suggestion, comme la 
volonté, implique une certaine nouveauté. L'opposition 
entre « l'imitation-mode » et « l'imitation-coutume » 
que M. Tarde a profondément vue et dont il a bien 
montré les divers aspects et les conséquences est un 
fait de tous les instants et qui, à le considérer, non 
point comme le fait surtout M. Tarde par son côté 
social, mais plutôt par sa nature psychologique, in- 
téresse vivement la théorie de la volonté. Le mot 
de « mode » éveille fatalement l'idée de nouveauté et 
la suggestion, comme la volonté et au rebours de l'au- 
tomatisme, implique une certaine nouveauté, un chan- 
gement dans l'action. Ce n'est pas à dire, bien en- 
tendu, que la suggestion prenne toujours la forme de 
la mode, ce n'est là qu'un cas de suggestion, un cas 
social, mais dans tous les cas l'influence d'autrui ne 
peut se manifester que par un changement dans notre 
activité spontanée. 

Tout en étant en conflit avec l'automatisme, la sug- 
gestion se sert de lui. On n'influence une personne 
qu'en s'appuyant sur cette nature que l'on va con- 
trarier. Si l'on fait échec à quelques-unes de ses ten- 
dances ce n'est qu'en en mettant d'autres en jeu, 
c'est donc une partie de l'automatisme primitif qui 
est employée à combattre l'autre. L'activité sponta- 
née primitive est pour ainsi dire divisée, et la partie 
qui triomphe, sous la direction de l'idée, de la 
volonté de celui qui influence, faisait partie de l'ac- 
tivité spontanée primitive aussi bien que celle qui 
doit céder. Un père qui veut décider son fils à 
renoncer à un mariage, par exemple, pour lui en 



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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 33 

faire ressortir les inconvénients, ne peut que susciter 
en lui les sentiments qu'il suppose devoir être frois- 
sés par l'union qui lui déplaît et lui faire pres- 
sentir ces froissements. Il tâche de mettre par des 
moyens divers des tendances très différentes et faisant 
partie de la nature spontanée de son fils (amour et 
respect filial, amour de bien-être, désir de richesse, 
ou, selon le cas, amour de la considération, etc.), en 
opposition avec la tendance dont il craint le triomphe 
(passion amoureuse). Il ne peut employer, pour ar- 
river à ses fins, qu'une partie de l'automatisme pri- 
mitif, que du reste, en l'employant, il transforme en 
une certaine mesure. Cette transformation secondaire 
se fait selon le même mécanisme que la première, et 
je n'y insiste pas, pour ne pas compliquer les choses. 
On pourrait aussi bien ne pas s'arrêter là, et conti- 
nuer indéfiniment. 

Et comme la volonté encore, la suggestion, en 
rompant l'automatisme et en s'appuyant sur lui pré- 
pare un automatisme futur. Ce que l'esprit a fait une 
fois par suggestion il tend souvent à le répéter spon- 
tanément. Une fois que, grâce à l'aide d'autrui, nous 
avons pu franchir un mauvais pas, nous reprenons 
paisiblement notre allure régulière. Une fois que 
l'adaptation nouvelle a été obtenue, elle tend à se 
maintenir et à se développer en bien des cas, même 
sans autre intervention. A l'origine de toutes nos 
habitudes les plus enracinées on trouverait des in- 
fluences diverses, des conseils, des enseignements, 
des imitations plus ou moins volontaires. Quand 
l'apprenti aura bien vu travailler l'ouvrier exercé, 
qu'il aura reçu ses conseils, travaillé sous sa direction, 



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34 LA VOLONTÉ 

il agira de lui-même, et refera automatiquement ce 
qu'il a fait d'abord avec l'aide d'autrui. Quand l'en- 
fant aura bien fixé dans sa mémoire le sens des let- 
tres et leurs combinaisons tels que son maître les lui 
a indiqués, il pourra lire tout seul et automatique- 
ment. Il en est de même partout, et la suggestion 
hypnotique même, employée comme moyen théra- 
peutique pour combattre certains défauts ou certains 
vices n'a pas d'autre but que de remplacer un auto- 
matisme inférieur par un automatisme supérieur, 
moyennant l'intervention d'une influence étrangère, 
nécessaire pour produire un état nouveau qui doit 
finir par subsister de lui-même et se maintenir sans 
elle. 

Ainsi la suggestion dans ses rapports avec l'auto- 
matisme nous apparaît avec les mêmes caractères 
que la volonté. Comme celle-ci, elle brise l'automa- 
tisme, s'en sert et le reconstitue, comme celle-ci 
aussi elle est un état nouveau. Nous alfons voir main- 
tenant en étudiant la volonté et la suggestion, non 
plus dans leurs rapports avec l'automatisme, mais 
dans leurs rapports réciproques quelles différences 
essentielles séparent ces deux formes de l'activité et 
quels liens étroits les associent. 



§ 2. — Suggestion et volonté, analogies et différences. 

Considéré en lui-même, l'acte accompli par sug- 
gestion dans les circonstances communes de la vie, 
(il faut écarter les idées que pourraient inspirer les 
apparences ordinaires de la suggestion hypnotique), 



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LA VOLONTE ET LA SUGGESTION 35 

ne diffère pas, à tous les égards, de l'acte volontaire. 
Comme celui-ci, la suggestion est une synthèse 
active. Qu'une décision soit suggérée ou volontaire 
elle consiste également et essentiellement en une 
synthèse nouvelle qui vient changer l'orientation de 
l'esprit et que nous étudierons dans un prochain 
chapitre. 

Mais cette analogie qui n'est nullement superfi- 
cielle recouvre de graves différences. Celle qui les 
résume et les contient toutes, c'est que dans la volonté 
ce qui est l'essentiel dans la forme de la décision 
vient de la personnalité même de celui qui veut ; dans 
la décision suggérée, l'essentiel vient au contraire du 
dehors. La nouveauté n'est donc pas la même dans 
un cas et dans l'autre. Dans la volonté, l'état est 
réellement nouveau, dans le cas de la suggestion, 
l'état n'est nouveau que pour l'individu qui le réalise. 
Il a déjà été réalisé par d'autres, ou du moins été 
imaginé et voulu par d'autres, et c'est pour cette raison 
qu'il est réalisé à son tour, par celui qui subit la sug- 
gestion. L'état nouveau ne se produit que parce quil 
n'est pas absolument nouveau, parce que, sous une 
forme ou sous une autre, il a été déjà produiL 
ailleurs. C'est là une différence incontestable et essen- 
tielle. Il n'y en a pas d'autres. Au point de vue du 
mécanisme, que l'influence vienne directement de 
l'individu même et de quelques-unes de ses tendan- 
ces, ou bien qu'elle vienne indirectement de quelque 
autre personne en passant toujours, car on ne sau- 
rait guère imaginer même qu'il en fût autrement, par 
les tendances et les idées de l'individu, cela ne fait 
aucune différence essentielle. La synthèse s'effectuera 



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36 



LA VOLONTE 



à peu près selon les mêmes lois générales et de la 
même façon. 



§3. — Les rapports de la suggestion et de la volonté. 

Si nous considérons maintenant les rapports de la 
suggestion avec la volonté, nous trouvons qu'ils 
ressemblent également sur plusieurs points à ceux 
de la volonté et de l'automatisme. La suggestion est, 
par exemple, une condition nécessaire de la volonté 
et elle fournit des éléments à la volition, de plus la 
volonté arrête dans une certaine mesure la sugges- 
tion. Tout en l'utilisant, elle entre en lutte avec la 
suggestion comme elle entre en lutte avec l'automa- 
tisme. 

Nous sommes continuellement soumis aux influen- 
ces de tout notre milieu social. Il n'est pas un des 
actes commis devant nous, près de nous, et loin de 
nous, s'il vient à notre connaissance, pas un senti- 
ment exprimé, pas une idée émise, pas une expres- 
sion de physionomie, pas un mot, pas un geste qui 
ne tende à nous influencer dans une certaine me- 
sure, à tourner notre esprit dans un certain sens, à 
faire naître en nous des idées et des impressions ca- 
pables de diriger notre intelligence, notre sensibi- 
lité et notre activité. Contre ces influences, même 
subies, même acceptées, nos tendances réagissent 
toujours instinctivement quelque peu, avec une 
intensité qui va de la révolte ouverte au plaisir de se 
laisser influencer (car il y a quelque réaction même 
contre les influences qu'on est heureux de subir). 



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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION $*] 

Mais notre volonté doit assez souvent intervenir pour 
préserver notre personnalité d'invasions dangereuses, 
et, toutes les fois qu'elle intervient réellement, un 
des caractères de l'acte de volition c'est de réagir, 
en même temps que contre l'automatisme, contre la 
suggestion aussi, au moins contre une partie des 
suggestions qui nous arrivent. L'homme qui prend 
un parti quelconque par un acte de volonté doit for- 
cément se soustraire à certaines influences qui l'assail- 
lent. Il lui faut toujours rompre avec les enseigne- 
ments qu'il a reçus, repousser les conseils et les 
insinuations, etc. La constitution du moi est toujours 
une lutte et l'acte de volonté est bien plus une lutte 
que l'acte automatique. Lorsqu'il n'y a pas lutte, 
lorsqu'on s'abandonne volontiers à la suggestion, la 
volonté n'intervient pas sensiblement, il a produit une 
simple combinaison de la suggestion et de l'automa- 
tisme. 

Cela est un cas très fréquent et qui constitue à lui 
seul une bonne part de notre vie mentale. L'in- 
fluence des autres vient sans cesse diriger nos ten- 
dances, leur fournir certains éléments qui leur man- 
quent pour leur permettre de se satisfaire facilement, 
et sans heurt suffisant pour provoquer un acte de vo- 
lonté. A table, par exemple, l'appétit des convives 
se combine avec les suggestions de la maîtresse de 
la maison leur faisant offrir un plat ou les invitant à 
y revenir sans qu'un acte de volonté proprement dit 
ait à intervenir. La combinaison de l'activité spon- 
tanée et de l'activité suggérée suffit à régler la con- 
duite. 

La suggestion peut même suppléer la volonté pour 
Paulhan. 3 

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38 LA VOLONTÉ 

développer l'automatisme. En effet, dans les cas où 
nos tendances ne peuvent, par leur activité spon- 
tanée, adapter l'organisme à ses nouvelles con- 
ditions d'existence, il se peut que la suggestion y 
parvienne. Nous avons vu tout à l'heure qu'elle était 
plus efficace quand l'automatisme était encore faible 
ou peu formé, dans les changements de milieu ou de 
situation, pendant la croissance et le développement 
de l'esprit. Ce sont aussi les conditions qui amènent 
en général la production d'actes de volonté. Mais' 
l'acte de volonté peut être affaibli, et même rendu 
inutile, . supprimé par la suggestion. Le maître évite 
à l'élève non pas tous les efforts, mais un grand 
nombre d'efforts, les parents évitent — et parfois 
avec trop de zèle — bien des actes de volonté à leurs 
enfants. Dans une foule de cas la suggestion, comme 
la volonté, vient remplacer l'automatisme insuffisant 
et lui permettre de se développer. Elle peut égale- 
ment résoudre quelques conflits internes des tendances 
agissant spontanément. Un conseil, un ordre, une in- 
sinuation terminent ainsi des luttes intérieures. 



§ 4- — La suggestion prépare les conditions de l'acte 
volontaire. 

Mais la suggestion ne suffit pas toujours, même 
combinée à l'automatisme. Parfois elle reste impuis- 
sante et parfois elle devient dangereuse. Il arrive que 
c'est la suggestion qui tend à rendre insuffisante notre 
activité spontanée. C'est par suggestion, ou par imi- 
tation que naissent en nous les premiers germes de 



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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 3j) 

désirs que notre activité spontanée ne pourra satis- 
faire aisément. Cela est très fréquent. Les sentiments 
des autres, leurs goûts, leurs impressions, leurs 
idées s'insinuent en nous et déterminent des aspi- 
rations que la continuation de nos habitudes ne 
pourra satisfaire. Ils provoqueront ainsi des chan- 
gements d'existence qui ne pourront être réalisés et 
maintenus que par des efforts de la volonté. Par là, 
la suggestion devient une des conditions de manifes- 
tation de la volonté. Elle le devient encore quand elle 
provoque des conflits qui ne pourront être résolus 
que par la synthèse active, réfléchie et nouvelle qui 
constitue la volition. Rien de plus fréquent que le 
conflit entre nos habitudes et les suggestions diverses 
que nous recevons, surtout si nous venons à changer 
de milieu, à faire de nouvelles connaissances, rien de 
plus fréquent encore que les conflits entre les sug- 
gestions diverses qui s'adressent à nous, entre l'in- 
fluence de nos parents et de nos amis, de no6 cama- 
rades et de nos maîtres, des auteurs divers que nous 
lisons, etc. De toutes façons la suggestion prépare les 
insuffisances et les conflits qui sont les conditions, 
comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, de 
l'acte de volonté. 

La suggestion ne prépare pas seulement cet acte, 
elle lui fournit des éléments. Il n'est, en effet, pas un 
acte de volonté qui, en même temps que des éléments 
d'automatisme, n'utilise aussi des éléments suggérés. 
La volonté ne tire pas tout d'elle-même. Quand la 
synthèse volitive se produit, elle unit forcément des 
éléments dont un grand nombre existaient déjà et 
ceux qu'elle transforme, elle ne les transforme pas 



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t\Ù 1A VOLONTÉ 

entièrement. Parmi les éléments psychiques et les 
éléments d'éléments qu'elle unit ainsi, un grand 
nombre ont été préparés, façonnés par la suggestion. 
Sur toutes les idées, sur tous les sentiments qui sont 
en nous, la société a plus ou moins mis son 
empreinte. Les esprits les plus originaux ne savent 
rien, ne sentent rien qu'on ne leur ait, dans une cer- 
taine mesure, suggéré de savoir et de sentir. Se 
révolter même contre une influence, c'est être 
influencé par elle. Notre volonté ne peut se manifester 
qu'en empruntant des matériaux préparés par l'auto- 
matisme et par la suggestion. 



§ 5, — La suggestion dans V activité volontaire. 

Parfois, elle diffère aussi peu que possible de la 
suggestion et de telle façon qu'on ne saurait guère 
les distinguer, comme en d'autres cas on ne saurait 
guère la distinguer de l'automatisme. Ce caractère de 
personnalité qui distingue la volonté de l'activité 
suggérée est, en effet, un caractère très variable et 
souvent difficile à apprécier. Il arrive qu'on s'y 
trompe, comme on se trompe sur l'originalité d'une 
production littéraire. Il y a des imitations inconscien- 
tes pour l'imitateur et inaperçues de ceux qui le con- 
naissent, dans le domaine de l'activité comme dans 
le domaine de l'intelligence. Ce qui constitue le 
caractère personnel d'une action, c'est souvent le 
simple choix de la suggestion subie. Entre toutes les 
influences qui tendent à déterminer ses actes et à 
diriger sa conduite, l'individu en choisit une, pour 



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LÀ VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 4l 

la subir, celle qui s'accorde le mieux avec sa person- 
nalité, il l'accepte, il la fait sienne, il la « veut » 
et il veut avec elle. La synthèse qui se forme chez lui 
a toutes les apparences de la volition, elle peut-être 
énergique et prompte, tenace et puissante. Mais tout 
de même celui qui la veut ainsi n'est pas un grand 
volontaire, au sens propre du mot, bien qu'il soit 
généralement jugé tel. Ce n'est pas un créateur, c'est 
plutôt un vulgarisateur. Il veut avec la volonté d'un 
autre. Peut-être est-il un vulgarisateur remarquable. 
Peut-être fait-il prospérer, mieux que celui qui la lui 
a suggérée, la volition qu'il a créée. Il ressemble 
alors aux grands vulgarisateurs qui empruntent à 
d'autres leurs principales idées, mais qui les dépouil- 
lent du fatras dont elles étaient accompagnées, qui 
les développent, les harmonisent, les accommodent 
aux besoins du moment. Et il a les mêmes mérites. 
On voit qu'il peut rester beaucoup d'activité sug- 
gérée dans l'activité volontaire, au point qu'il n'est 
pas possible de bien distinguer toujours l'une de 
l'autre. Il ne faut pas s'étonner si, de même qu'on 
peut prendre pour des volontaires certaines person- 
nes en qui l'automatisme domine, on commet une 
erreur analogue pour quelques-unes de celles que 
dirige la suggestion. L'activité suggérée est la vo- 
lonté de ceux qui n'ont pas la puissance créatrice 
dans le domaine de l'activité mais qui sont vifs, 
remuants, tenaces. Ils sont dans ce domaine comme 
des « échos sonores » qui renforceraient le son qui 
leur arrive. Ils agissent beaucoup sans vouloir pré- 
cisément, comme d'autres écrivent beaucoup sans 
rien inventer. On s'en aperçoit le jour où, réduits 



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4 2 LA VOLONTÉ 

à leurs propres ressources, ils se trouvent impuis- 
sants en face d'obstacles que les suggestions ordi- 
naires leur feraient surmonter sans difficulté. 

Mais, à des degrés différents, tout le monde en est 
là. De même qu'il y a toujours quelque imitation 
dans la création intellectuelle, il y a toujours de la 
suggestion dans la création active. D'abord, parce 
que, comme je l'ai dit tout à l'heure, la création 
volitive emploie des matériaux fournis par la sug- 
gestion, mais aussi parce que la nature de ces élé- 
ments ne les laisse pas entrer indifféremment dans 
n'importe quelle combinaison. Elle détermine un 
peu, à quelques égards tout au moins, la nature de 
la synthèse où ils entreront. De plus cette synthèse 
même est toujours plus ou moins influencée par les 
suggestions de notre milieu. Sa forme, sa direction, 
sa façon de naître et de se développer, tout cela est 
plus ou moins modifié par lui. Je ne puis vouloir 
exactement de la même manière que si j'étais dans 
un autre pays, avec une autre famille, d'autres 
amis, ayant lu des livres tout à fait différents, ayant 
reçu une autre instruction et une autre éducation. 
Les innombrables suggestions que j'ai subies ont 
d'ailleurs contribué à former ce qu'il y a en moi 
d'automatique et d'instinctif et qui intervient aussi, 
nous l'avons vu, en plusieurs manières, dans la for- 
mation delà volonté. De tous les côtés nous arrivons 
à cette conclusion qu'il reste toujours une part de 
suggestion dans la volonté, que celle-ci ne peut 
même être supposée exister sans celle-là. Et si l'acti- 
vité suggérée simule si bien l'activité volontaire, c'est 
qu'elle lui ressemble sur bien des points très impor- 



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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 4 3 

tants, essentiels même, et que d'ailleurs elle s'y 
mêle constamment. 



§ 6. — La volonté dans V activité suggérée. 

De même qu'il reste de la suggestion dans la 
volonté, de même il y a toujours quelque volonté 
dans l'activité suggérée. Les cas où le caractère génn- 
ral du phénomène peut être douteux et où Ton peut 
se demander si l'action commise a été commise par 
influence ou par volonté personnelle nous montrent 
le milieu d' une série qui conduit par degrés insensé 
blés d'une part à la volonté la plus originale, de l'au- 
tre à la soumission la plus passive. Mais si les deux 
éléments que nous considérons vont en s'ac croissant 
ou en diminuant à mesure qu'on suit la série dans 
un sens ou dans l'autre, aucun d'eux ne devient 
jamais nul, aucun d'eux ne devient jamais le domi- 
nateur exclusif. Ils subsistent tous deux dans des 
proportions très variables. 

Accepter une suggestion ne peut se faire sans que 
la personnalité intervienne plus ou moins. L'homme 
n'est jamais complètement passif et si l'on y regarde 
de près on verra même que la passivité absolue n'of- 
fre aucun sens acceptable. C'est toujours notre nature 
propre qui nous expose à subir certaines influences 
et nous en fait rejeter certaines autres. Il arrive ainsi 
que dans les actes qui ressemblent tant à la volonté, 
mais qui sont le résultat d'une suggestion, il y a bien 
toujours à quelque degré ce caractère personnel, 
caractéristique de la volonté, le seul qui manque à 



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44 LA VOLONTÉ 

l'activité suggérée pour se confondre avec l'activité 
volontaire. Il n'est pas possible qu'une personnalité 
différente vienne se substituer complètement à la 
nôtre. Cette transformation radicale ne s'observe pas 
même chez les hypnotisés. Dans leur façon d'accep- 
ter la suggestion et de l'exécuter, on remarque encore 
certaines différences individuelles, si affaiblies que les 
fasse l'état hypnotique. A plus forte raison en est-il 
ainsi dans la vie normale. L'acceptation d'une sug- 
gestion de préférence aux autres qui se proposent 
aussi à l'esprit est toujours forcément un choix de 
notre esprit, la manifestation plus ou moins impor- 
tante, plus ou moins consciente, plus ou moins 
significative aussi de notre propre personnalité. 
Lorsque nous commettons un acte quelconque, cet 
acte ne décèle pas seulement la nature d'esprit, ou 
les intentions de celui qui nous l'a suggéré, il montre 
aussi les nôtres, dans une mesure variable, et avec 
plus ou moins de fidélité, par la façon dont nous 
avons accepté la suggestion et aussi par la façon dont 
nous l'avons réalisée. 

On peut dire qu'il reste d'autant plus de volonté 
dans l'activité suggérée que la suggestion est exté- 
rieurement moins forte et qu'elle doit sa puissance à 
notre choix personnel. Notre personnalité intervient 
relativement très peu quand nous nous laissons 
influencer par des idées et des sentiments qui sont 
ceux de tous les nôtres et que rien ne combat autour 
de nous. Au contraire nous faisons preuve de beau- 
coup plus d'initiative si nous modelons notre con- 
duite sur celle d'un homme qui est généralement 
ignoré ou méprisé, avant, bien entendu, qu'il n'ait 



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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 45 

acquis la minorité de disciples fervents qui est une 
condition si favorable aux enthousiasmes. En ce cas 
c'est bien notre personnalité qui intervient, elle a été 
dégagée, excitée par une influence extérieure, mais 
généralement elle n'a pas cessé d'être elle-même pour 
prendre 1'appar.ence d'une autre. 

La réalisation de la suggestion ne comporte pas 
moins que le fait de l'accepter l'intervention efficace 
de la personnalité. On ne se modèle jamais complè- 
tement sur autrui. Alors même qu'on s'y applique- 
rait de son mieux on n'y parviendrait pas. Nous pou- 
vons assez souvent observer une personne qui agit 
sous l'influence d'une autre. Entre la conduite de 
l'une et de l'autre, ou entre le conseil, l'insinuation 
de celle-ci et l'acte de celle-là nous remarquons tou- 
jours de sérieuses discordances. Il n'y a pas seule- 
ment de l'une à l'autre la différence essentielle du 
modèle à la copie, mais ce qui est hardi ou généreux 
chez la première pourra fort bien être prudent ou 
mesquin chez l'autre. Tous nos actes sont marqués 
plus ou moins nettement de notre empreinte, un acte 
est une résultante très compliquée et les conditions 
qui le produisent ne peuvent que différer avec chaque 
individu. Nos personnalités, malgré des ressem- 
blances profondes, n'ont pas un seul élément, ni 
une seule forme d'association de ces éléments absolu- 
ment identiques. Si original que soit un homme, on 
retrouve toujours chez lui bien des choses qu'il doit 
aux autres et si peu original qu'il puisse être, il n'en 
marque pas moins tous ses actes d'un cachet per- 
sonnel. 



3. 



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CHAPITRE III 

LA VOLONTÉ 
ET LES FAITS PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL 



§ i. — Les caractères de la synthèse volitive. 

Nous venons de voir quelques-unes des conditions 
générales de la volonté et aussi quelques-uns des 
faits psychologiques qui ressemblent le plus à des 
volitions. Nous devons maintenant aborder l'acte de 
volonté lui-même, le décrire et l'analyser, en dégager, 
si nous pouvons, le mécanisme interne. 

L'acte de volonté est une synthèse. Si je décide 
de sortir de chez moi pour aller voir un ami, je 
combine une grande quantité de représentations, 
d'idées, de sentiments avec des images de mouve- 
ments qui, une fois la synthèse effectuée, vont se 
transformer, au moment opportun, en mouvements 
réels, d'une manière généralement automatique. 
Quel que soit l'acte de volonté que nous considé- 
rions, nous pouvons faire des constatations analogues. 
Il s'agit toujours d'unir des idées et des sentiments 
à d'autres représentations. Il s'agit surtout de faire 
du nouvel ensemble ainsi fixé un élément domi- 
nateur de notre esprit et de notre organisme, c'est- 



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LA VOLONTÉ ET LES FAITS PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL 4 7 

à-dire un élément actif. Nous pourrions faire la 
même combinaison et n'avoir comme résultat qu'une 
idée ou un désir dont le développement serait 
enrayé. Je puis, par exemple, par la synthèse indi- 
quée plus haut, aboutir non à une volition, niais 
simplement à l'idée d'aller voir mon ami. La diffé- 
rence entre les deux cas est une différence de syn- 
thèse : des éléments absents d'un des états viennent 
se joindre à l'autre : c'est-à-dire la suite logique des 
idées, des désirs et des images, Inactivité réelle 
que tout état psychologique tend à provoquer 
mais qui est souvent arrêtée. Cette activité se résout, 
elle aussi, en tendances, en idées, en représentations 
et plus tard en sensations de mouvements. Enfin un 
des caractères de l'acte volontaire, c'est son asso- 
ciation intime avec le moi, avec la personnalité 
presque entière. Nous pouvons avoir des idées sans 
les accepter, des sentiments sans nous y abandonner, 
c'est dire que dans des cas de ce gen rc , il n'y a pas 
d'association systématique complète entre l'idée ou 
le sentiment et l'ensemble de la personnalité. La 
personnalité, tout en acceptant provisoirement, sous 
bénéfice d'inventaire, pour ainsi dire, Tétaf. de con- 
science, ne l'adopte pas complète ment, elle ne le 
fait pas absolument sien, elle ne le laisse pas se 
développer, aboutir à ses conséquences logiques. 
Nous pouvons avoir l'idée de croyances que nous ne 
partageons pas, nous pouvons comprendre, c'est-à- 
dire éprouver à un degré faible des sentiments que 
nous n'acceptons pas comme outres, que nous ne 
voudrions pas laisser se développer en nous. L J acte 
de volonté au contraire est par lui-même et essentiel- 



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48 LA VOLONTÉ 

lement l'acceptation bien plus nette par le moi d'un 
état d'âme auquel on laisse donner plus librement ses 
conséquences. Entre avoir l'idée, ou être tenté de com- 
mettre un meurtre, et se décider à tuer, c'est là la 
différence essentielle. 

§ 2 . — Synthèse volitive 
et synthèse psychique en général. 

Nous devons trouver dans ces caractères de la 
volition des moyens de la distinguer des autres faits 
psychiques. Cela n'est pas si aisé qu'on le pense 
communément ; tout au moins n'est-il pas inutile de 
montrer les ressemblances fondamentales qui ratta- 
chent la volonté à tous les autres états de l'esprit. 
Nous venons de voir qu'elle était parfois difficile à 
démêler d'avec l'automatisme, et d'avec l'activité 
suggérée, et en tout cas intimement mêlée à eux. 
Mais ses rapports avec tous les ordres de phéno- 
mènes psychiques doivent être aussi brièvement exa- 
minés. 

Tout phénomène psychique est comme la volition, 
une synthèse d'éléments étroitements unis et systéma- 
tisés, de plus tout phénomène psychique tend à sus- 
citer par association les autres phénomènes qui peu- 
vent s'unir à lui en vue d'une fin commune. C'est la 
loi de Y association systématique 1 . Un sentiment, 
comme l'amour par exemple, est un composé d'un 
très grand nombre d'impressions, d'idées et d'élé- 

i. Pour l'étude delà loi d'association systématique, voir V Ac- 
tivité mentale et les éléments de l'esprit. Paris, Alcan, 1889. 



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*m 1 ^ 



LA VOLONTÉ ET LES FAITS PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL ^Q 

ments inconscients, une synthèse d'innombrables élé- 
ments, et, il tend constamment à susciter des phéno- 
mènes qui s'harmonisent avec lui (recherche de la 
personne aimée, lettres, vers, tendres propos , toute la 
gamme des caresses, etc). En même temps, confor- 
mément à la loi d'inhibition systématique, il tend à 
réprimer tout ce qui s'opposerait à lui (certaines 
idées, certains devoirs parfois, ou bien les soucis et 
les occupations ordinaires, la sympathie pour l'en- 
treprise d'un rival, etc.). Ces deux grandes lois nous 
en retrouverons l'application dans la volonté comme 
dans tous les autres phénomènes psychiques, et c'est 
un point que nous aurons tout à l'heure à examiner. 

Ces ressemblances entre les volitions et les phéno- 
mènes psychiques quelconques sont moindres que 
celles qui rapprochaient la volonté de l'automa- 
tisme et de l'activité suggérée. Toutefois elles sont 
réelles et importantes. Il suffit, pour s'en rendre compte, 
de remarquer qu'il y a dans tout phénomène psy- 
chologique, quel qu'il soit, une part d'activité auto- 
matique et une part d'activité suggérée, ce qui im- 
plique qu'il s'y trouve aussi quelque chose comme 
un rudiment d'activité volontaire. 

On est trop habitué, en suivant d'anciens erre- 
ments et malgré quelques tentatives récentes, à séparer 
l'activité (et la volonté qui s'y rattache) de rinLelli- 
gence et de la sensibilité. Il faut se convaincre que 
c'est là une séparation tout à fait artificielle- L'intel- 
ligence et la sensibilité sont par elles-mêmes des acti- 
vités. Si on les distingue de l'activité c'est surtout par 
une différence de point de vue. Nous considérons 
alors les phénomènes en eux-mêmes, fixés dans une 



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50 LA VOLONTÉ 

attitude qu'en réalité ils ne conservent jamais, car la 
vie de l'esprit, comme la vie du corps, est une trans- 
formation perpétuelle, et isolés, séparés de leurs 
causes et de leurs effets. Mais c'est là un procédé tout 
à fait artificiel. Notre esprit est dans une activité 
perpétuelle, et aucun fait ne s'y maintient sans chan- 
gement. Dans toute idée, dans tout sentiment, il y 
a des réactions continuelles des éléments com- 
posants les uns sur les autres, et le fait lui-même, 
pris dans son ensemble, agit continuellement pour 
susciter d'autres idées, pour éveiller des sentiments, 
pour susciter des actes. Sans cesse nos idées se déve - 
loppent, se transforment, se résolvent et se recons- 
tituent, sans cesse elles influent sur le reste de la vie 
mentale. De même, nos sentiments, nos tendances, 
nos images. Et cette activité est dans une grande 
mesure instinctive et régulière quand elle se répète. 
Elle est aussi suggérée en ce sens que mes idées, mes 
sentiments, et leurs modes d'action sont toujours 
influencés par l'activité d'autrui. Il n'y a pas un fait 
psychique qui ne relève de l'automatisme et de la 
suggestion. Ce n'est que par l'habitude et la routine, 
ce n'est aussi que par les rectifications continues que 
leur apportent nos relations avec d'autres personnes 
que nos idées et nos sentiments se précisent et se 
développent. Et ce que nous appelons « une idée »> 
ou « une impression », ou « un sentiment », ce 
n'est jamais un tout fixe, c'est une réalité vivante et 
toujours changeante, où sans cesse quelques éléments 
sont remplacés par d'autres, où les uns s'effacent ou 
s'amoindrissent, pendant que les autres se dévelop- 
pent, où toujours les rapports de ces éléments chan- 



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LA VOLONTÉ ET LES FAITS PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL 5l 

gent, où de nouvelles synthèses partielles et de nou- 
velles décompositions s'opèrent sans cesse. On n'a qu'à 
examiner à ce point de vue la vie d'un sentiment 
à longue évolution, un amour durable, une amitié 
solide, une passion de collectionneur, par exemple, 
pour voir combien de nuances variées, quelle vie 
profonde et diverse, quelle activité incessante 
recouvre le mot qui peut faire croire à l'existence 
d'une réalité uniforme et généralement fixée. 



§ 3. — 11 y a partout de la volonté dans l'esprit. 

Toute cette activité n'est pas absolument automa- 
tique et suggérée. Sans doute bien des choses s 1 ) 
répètent; sans doute tout phénomène y porte l'em- 
preinte du milieu dans lequel il prend naissance. Mais 
on ne se répète jamais absolument soi-même et on ne 
répète jamais absolument les autres. La vie psychique 
est une chose trop compliquée pour que deux étals 
puissent être identiques. C'est dire qu'il y a partout 
de l'invention, et partout quelque volonté, ou du 
moins, quelque rudiment, une sorte d'élément 
infinitésimal de volonté. 

Partout, en effet, nous voyons s'accomplir ces 
combinaisons nouvelles, ces synthèses actives qui 
sont la caractéristique même de la volonté. En ce 
sens, il n'est pas une de nos idées, pas une de nos 
croyances, pas un de nos sentiments qui ne soit, 
on peut le dire, une invention si nous le considérons 
par rapport à ce qui le précède, et une volition si 
nous le considérons par rapport à l'activité qu'il 



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52 LA VOLONTÉ 

provoque et qu'il dirige en nous» Il y a là, en eflet, 
une masse de volitions élémentaires, naissant et agis- 
sant continuellement et portant toujours la marque 
de notre propre personnalité» 

Ceci nous permet de comprendre ce qu'il y a de 
vrai dans la théorie de la croyance volontaire qui a 
été très en faveur il y a quelques années. Adopter 
une croyance, cela ne se peut sans cette synthèse 
personnelle et active qui constitue la volonté. Il y a 
entre la croyance et l'idée à peu près le même rap- 
port qu'entre le sentiment et l'acte. Toute idée tend à 
devenir une croyance, comme tout sentiment tend à 
devenir un acte, c'est-à-dire que l'un et l'autre 
tendent à se faire adopter par le moi, à lever les 
inhibitions qui s'exercent sur eux. L'idée acceptée 
comme vraie, c'est la croyance, le sentiment accepté 
comme guide de conduite c'est la volition. L'analogie 
est très réelle et très profonde. On doit seulement 
généraliser. Comme il suffit qu'un état se produise 
pour être accepté par le moi, pour qu'il fasse plus 
ou moins partie de notre personnalité, pour qu'il 
s'accorde en une certaine mesure avec elle et aussi 
pour qu'il ait désormais quelque influence sur le 
cours de nos pensées et de nos actes, il y a toujours 
dans l'apparition d'un phénomène quelconque quel- 
que chose de personnel et quelque chose de volon- 
taire. On peut dire en un sens que nous voulons 
toutes nos idées, tous nos sentiments, toutes nos 
impressions. Mais ce sont là, en quelque sorte, des 
volitions élémentaires, partielles, ce n'est pas le 
moi tout entier qui les veut, ce sont plutôt quelques 
éléments du moi. Quand une idée naît en moi que 



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LA VOLONTÉ ET LES FAITS PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL 53 

je repousse comme fausse, quand je réprouve un sen- 
timent que je m'efforce de combattre, il est bien vrai 
que quelque chose en moi a voulu cette idée et ce 
sentiment, c'est-à-dire qu'ils ont été suscités, évo- 
qués, créés par certaines de mes tendances, de mes 
idées antérieures. Comme tout se tient plus ou moins 
étroitement dans l'esprit, l'ensemble du moi en est 
quelque peu responsable. Mais cette solidarité des 
éléments du moi est très inégale. Ici l'ensemble de 
la personnalité s'en est dégagé dans une certaine 
mesure. Le moi n'accepte pas Vidée, le sentiment qui 
se sont produits en lui, et il peut s'efforcer de les re- 
jeter, vouloir contre eux. Et c'est plutôt à l'action 
qui engage plus complètement l'ensemble de la 
personnalité que nous réservons le nom de vo- 
lonté. 



§ 4- — La synthèse volitive. 

La volonté personnelle se distinguera donc de 
cette sorte de volonté générale, éparse dans tout 
l'esprit un peu comme un régiment se distingue 
d'un individu. Elle est un fait analogue mais qui 
intéresse soit la personnalité entière, soit au moins 
une grande partie de la personnalité. Et la synthèse 
qu'elle forme a précisément pour éléments des phé- 
nomènes qui, à certains points de vue, en sont des 
ébauches et des germes. Elle synthétise des synthèses 
assez semblables à elle, des faits d'intelligence, des 
faits de sentiment, des représentations motrices, des 
sensations de mouvement et d'autres perceptions va- 



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54 LA VOLONTÉ 

rices, des produits de l'automatisme et des produits 
de la suggestion. Mais précisément parce qu'ici le 
phénomène est plus grand, plus développé, plus im- 
portant, les caractères en sont plus visibles, et l'étude 
des éléments devra sans doute plus à l'étude de l'en- 
semble que celle-ci ne lui devra. 



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CHAPITRE IV 
L'ACTE DE VOLONTÉ 



I — LA VOLITION SES TROIS MOMENTS, ET LES LOIS 
D'ASSOCIATION SYSTÉMATIQUE ET D'INHIBITION SYSTÉ- 
MATIQUE. 



§ I er . — La préparation de l'acte volontaire, 
ses conditions* 

L'acte de volonté est toujours préparé par l'insuf- 
fisance de l 7 automatisme ou le conflit fies tendances , 
souvent à la fois, par les deux causes qui ne se dis- 
tinguent pas toujours bien nettement l'une de l'autre . 
L'activité sous une ou plusieurs de ses formes est 
arrêtée, troublée- Nous avons à choisir entre deux 
partis et nous ne savons lequel prendre, ou bien nous 
n'avons qu'un parti à prendre mais nous ne pouvons 
nous y décider spontanément et par simple entraîne- 
ment. Il se produit alors une série de phénomènes 
complexes qui, lorsque l'évolution s'accomplît régu- 
lièrement, aboutît à un acte de volonté. 

L'acte de volonté a normalement trois phases 
lorsqu'il se produit surtout sous sa forme la plus 
nette et la plus caractéristique* Ces trois phases 
sont ; la délibération , la décision et l'exécution. 



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56 LA VOLONTÉ 

C'est la seconde, la décision, qui est la plus essen- 
tielle, la première n'en est guère qu'une préparation 
et la dernière qu'une conséquence. Mais plus la pre- 
mière est écourtée, plus l'acte se rapproche de l'auto- 
matisme et quant à la troisième, son absence ou sa 
faiblesse fait douter de la réalité ou du sérieux de 
la décision. 

Parfois la décision n'arrive pas à se produire. 
L'esprit en reste à la délibération, ou même il la 
commence à peine. C'est ce qui caractérise la fai- 
blesse de volonté. Tenons-nous en au cas normal, 
celui où l'adaptation se produit d'une manière appré- 
ciable et où la volonté aboutit sinon complètement, 
au moins assez bien. 

Pour préparer l'acte de volonté, il ne suffit pas, 
en général, d'une défectuosité latente de l'adaptation 
ou d'un conflit caché des tendances. Il faut que l'in- 
suffisance se manifeste et que le conflit éclate. Il faut 
aussi que l'homme soit poussé — ce qui est natu- 
rel — à mettre un terme à cet état. L'état qui va 
amener la production de l'acte de volonté, surtout 
sous ses formes les plus nettes, est un état de désarroi 
et de trouble, accompagné du besoin ressenti de 
l'ordre et de l'harmonie. Encore est-il bon que ce 
désarroi ne soit pas trop considérable et que l'ur- 
gence de l'harmonie ne soit pas absolue. Chacun 
sait que, lorsque l'on est trop pressé de prendre un 
parti, ou bien on ne peut arriver à rien, on ne peut 
ni délibérer, ni décider, ni agir, ou bien on décide 
sans délibérer, ou plutôt on agit sans décider, impul- 
sivement, automatiquement, par le simple effet 
d'une tendance qui, se trouvant la plus forte par ua 



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l'acte de volonté 57 

accident quelconque, l'emporte momentanément 
sans qu'il y ait eu réflexion et acte réel de volonté. 
Toutes les observations et toutes les analyses qui 
précèdent nous amènent à cette conclusion que l'acte 
de volonté se produit sous la pression d'un désir, 
d'une tendance ou d'un groupe de tendances qui 
ne parvient pas à se satisfaire aisément. Son activité 
arrêtée donne lieu à des quantités de faits psychiques 
divers, phénomènes affectifs 1 ou intellectuels. I/acte 
de volonté viendra souvent à la suite de ces phéno- 
mènes. Soit que la tendance ne puisse pas aboutir 
parce qu'elle n'est pas encore assez organisée ou 
qu'elle ne puisse triompher de la résistance que 
d'autres lui opposent, le phénomène est à peu près le 
même. Toujours nous voyons le processus automa- 
tique et parfois inconscient s'interrompre et une 
sorte d'effervescence morale se produire, un peu 
comme une inflammation suit la lésion qui blesse 
notre organisme et contribue à la réparer. Si je res- 
pire paisiblement, je n'y prends pas garde, et si je 
me trouve dans une salle où l'air se vicie trop, au 
bout d'un moment, je sors presque automatique- 
ment sous la simple pression du besoin de respirer, 
mais si des raisons assez puissantes me retiennent 
ou si la sortie n'est pas facile, les impressions de gêne 
vont se manifester de plus en plus, parallèlement 
d'autres impressions affectives, les sentiments qui me 
font rester s'accentueront, en même temps. que naî- 

1. J'ai montré ailleurs que l'arrêt des tendances était une 
condition de la production d'un fait affectif (émotion» senti- 
ment, etc.). Il est pour des raisons analogues une condition de 
l'acte de volonté. 



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58 LA VOLONTÉ ' 

tront continuellement de nouvelles idées relatives aux 
raisons que j'ai de sortir ou de rester. Les phénomènes 
psychiques pullulent autour de la tendance à respirer 
et cela est très différent de ce qui se passe d'ordinaire, 
cette tendance se satisfaisant normalement sans vo- 
lonté et même sans conscience. La situation peut Se 
prolonger ainsi et le trouble s'accroître jusqu'au mo- 
ment où j'aurai pris une décision. Dans tous les cas 
où la volonté se produit, nous avons un pareil trouble 
plus ou moins accentué, 

§ 2. — La délibération. 

C'est alors que la délibération commence. La 
durée en est extrêmement variable. Tantôt elle est 
presque supprimée, et l'acte volontaire se distingue 
à peine de l'acte automatique ou de l'acte simple- 
ment suggéré. Tantôt au contraire elle dure des 
années sans pouvoir aboutir à la décision, et parfois 
même elle n'aboutit jamais, se prolonge indéfini- 
vement. Sous une forme ou sous une autre elle 
constitue une partie importante de l'acte de volonté 
proprement dit. 

La délibération est la mise en rapport avec le moi, 
l'épreuve, avant le choix décisif, des tendances qui 
aspirent à se satisfaire et à diriger l'activité, des idées 
qui viennent contrôler ces tendances, en montrent les 
avantages et les inconvénients, des impressions, des 
sentiments qui accompagnent naturellement ces 
idées et l'activité entravée ou commençante de ces 
tendances, des tendances secondaires avec leur cor- 



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l'acte de volonté 5g 

tège nouveau d'idées et d'impressions qui viennent 
appuyer les unes ou combattre les autres. 

Pour pouvoir apprécier tous les motifs, il faut 
d'abord qu'ils existent et se manifestent, Quelques^ 
uns préexistent au conflit. La tendance h respirer se 
manifeste et est sentie, dans l'exemple choisi plus 
haut, avant que la délibération ne commence. Mais 
il n'en est pas toujours ainsi, et il arrive que cer- 
tains motifs se forment peu à peu, ou tout au moins 
se précisent et se compliquent par la réflexion. Il ne 
faut pas se représenter des motifs comme des choses 
toutes faites que l'esprit regarderait ainsi qu'un ache- 
teur examine les marchandises que le marchand lui 
présente. Ils sont continuellement en train de se trans- 
former, d'évoluer, ils sont évoqués souvent sous une 
nouvelle forme en même temps qu'ils sont examinés 
et l'examen que nous en faisons les transforme, les 
rend différents d'eux-mêmes, c'est-à-dire en évoqué 
de nouveaux. Alors même qu'ils restent intrinsèque- 
ment à peu près les mêmes, les idées qu'ils éveillent, 
les sentiments qu'ils excitent diffèrent. Ils se modifient 
continuellement, et comme nous ne pouvons guère 
séparer le motif des idées qu'il éveille et de l'impres- 
sion qu'il fait sur nous on peut dire que la transfor- 
mation des motifs est toute la délibération. Et, en 
effet, il s'agit toujours d'arriver à faire triompher 
l'un d'eux, de le rendre plus fort que les autres, 
dominateur au moins momentané de l'esprit. 

L'évocation des motifs est déjà le commencement 
de leur essai et de leur comparaison, car on ne peut 
guère évoquer un motif quelconque que par des asso- 
ciations et avec des associations d'idées et de senli- 



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GO LA VOLONTÉ 

ments qui sont déjà un essai. En tout cas, une fois 
le motif évoqué, l'essai se poursuit, c'est-à-dire que 
le motif est mis en relation avec le moi, avec les 
diverses tendances. Nous essayons un motif en l'adop- 
tant provisoirement, et en le contrôlant par la réac- 
tion de nos idées et de nos désirs. Sans lui donner 
la prépondérance réelle, nous le supposons pré- 
pondérant, et nous nous rendons compte, d'une ma- 
nière plus ou moins précise et qui laissera plus 
ou moins de traces, de l'effet qu'il produit ainsi. 

En prenant comme il faut le faire tout d'abord 
pour avoir une idée des faits aussi nette que pos- 
sible, un cas où la délibération est marquée et lon- 
gue, nous voyons très clairement cette évocation des 
motifs. Si un homme doit prendre une décision im- 
portante, et s'il est de caractère réfléchi, il aura 
soin de chercher toutes les raisons qui peuvent venir 
appuyer ou contrarier le projet dont il s'occupe. 
S'il doit penser au choix d'une profession pour ses 
enfants par exemple, et diriger dans un sens ou dans 
un autre leur éducation, il tâchera de se renseigner 
sur les avantages et les inconvénients de chaque pro- 
fession acceptable, il se rappellera divers faits indi- 
quant les aptitudes ou les goûts de l'enfant, il instituera 
au besoin diverses expériences, l'interrogera directe- 
ment, fera appel à l'observation des autres, demandera, 
s'il le juge utile, leur avis, tiendra compte de leurs 
remarques, etc. Pour chaque acte de volonté un peu 
important la même phase d'information se représente. 
Tous ces renseignements cherchés, ce sont autant de 
motifs qu'on évoque, que l'on construit patiemment 
et dont on achèvera ensuite l'examen. 



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L*ACTE DE VOLONTÉ 6l 

Si l'évocation est déjà une appréciation, inver- 
sement l'appréciation est encore une évocation ou 
une transformation des motifs. Un motif que Ton 
juge bon ou faible ne reste pas absolument le même, 
le jugement porté sur lui accroît encore ou diminue 
sa force et son influence, et le met en rapport dans 
l'esprit avec d'autres phénomènes, il l'associe avec 
certains faits, le dissocie d'avec quelques autres. Sa 
nature change ainsi continuellement. 

L'appréciation se fait par le contact, par l'établis- 
sement de rapports variables selon les cas entre les 
faits nouveaux qui constituent les motifs invoqués, et 
les idées, les tendances anciennes, les habitudes de 
l'esprit. Souvent les motifs que nous allons apprécier 
existaient déjà dans l'esprit, au moins en germe et 
sous une forme plus ou moins développée, mais ils 
n'avaient pas été mis en contact les uns avec les autres, 
ni les uns et les autres avec les tendances qui con- 
stituent notre moi organisé. Souvent l'on n'entre- 
voit pas la portée et les conséquences de tout ce 
qu'on sait, de tout ce qu'on pense, de tout ce qu'on 
sent. C'est le cas habituel. La délibération a préci- 
sément pour but et pour effet, en la supposant sous 
sa forme la plus développée, de faire ressortir toutes 
ces conséquences mal connues. En évoquant les 
motifs, en fixant notre attention sur eux, nous les 
amenons à tenter de s'associer avec l'ensemble de 
nos croyances et de nos désirs. Par cette opéra- 
tion les harmonies méconnues ou les discordances 
encore cachées se révèlent. Les motifs se dévelop- 
pent spontanément et aussi sous notre influence per- 
sonnelle, ils se précisent et se complètent, et leur 
Paulhan. 4 

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6îl LA VOLONTÉ 

appréciation en devient d'autant plus nette et plus 
solide. 

Les différents partis à prendre qui se posent ainsi 
successivement devant le moi comprennent en géné- 
ral une synthèse d'idées et d'impressions qui tend à se 
développer et à s'imposer à l'esprit en se complétant 
par l'adjonction au noyau primitif des éléments qui 
amèneront son triomphe définitif et son acceptation, 
son installation dans notre personnalité. Si je délibère 
pour savoir si j'irai chasser demain, avec des amis, ou 
si je resterai à travailler, la partie de plaisir qu'on me 
propose se présente sous la forme d'une synthèse 
d'idées, d'images, d'impressions, de sentiments (idée 
et impression du plaisir de la chasse, de la marche 
au grand air, de la rencontre avec des amis, etc. 
tout cela comprenant mille détails divers, qui se 
présentent à l'esprit avec une vivacité variable) et cette 
synthèse tend à s'organiser complètement, à fixer 
l'orientation du moi, à annuler les désirs qui s'oppo- 
sent à elle, à déterminer dans un sens précis la série 
de mes actes, etc. 

Et l'autre projet est constitué de même par une 
synthèse différente qui agit de semblable manière. Ici 
c'est l'idée du travail en train, des raisons que j'ai de 
ne pas l'interrompre (Il est pressé, j'aurai plus de 
peine à m'y remettre après une journée perdue, on 
est bien chez soi à travailler dans une pièce chauf- 
fée, etc.). 

Dans les cas les plus marqués, la volonté ne se 
constitue pas en une seule fois, surtout si la décision 
à prendre est grave. Chacun des systèmes qui se 
proposent est contrôlé plusieurs fois, aucun ne fixe 



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l'acte de volonté 63 

l'esprit à une première épreuve, et tous sont succes- 
sivement rejetés pour un nouvel examen. Paribis la 
lutte s'établit surtout entre chaque système et sa néga- 
tion, le projet est provisoirement accepté et provisoi- 
rement nié. Son acceptation éventuelle soulève géné- 
ralement toutes les objections qu'il est susceptible de 
provoquer. C'est quand on se représente un acte 
à accomplir, un parti à prendre que les raisons de ne 
pas agir dans le sens indiqué par lui arrivent à 
l'esprit. Le projet représenté tend à se faire accepter 
complètement, mais comme toujours quelques-uns de 
nos désirs, quelques-unes de nos idées sont froissées 
par lui, il se produit irrésistiblement quelque réaction. 
Et, dans la délibération, cette réaction — qui sera peut- 
être vaincue plus tard — est encore assez forte pour 
arrêter momentanément l'envahissement de l'esprit 
par le système d'idées et d'actes qui se propose 
à lui. 

Mais souvent cette réaction entraîne la représenta- 
tion d'un projet opposé au premier, les désirs, les 
tendances, les idées excités par le premier, et surtout 
ceux qui sont froissés par lui, en réagissant ne tendent 
pas seulement, en bien des cas, à le repousser, ils 
tendent aussi à en susciter un autre qui ne les froisse 
pas, ou qui les satisfasse mieux. Si l'on me propose 
une partie d'écarté et si ce jeu m'ennuie, cette propo- 
sition peut provoquer en moi soit l'idée de refuser 
simplement, soit l'idée de travailler ou d'aller me pro- 
mener, soit Tidée de jouer à un jeu qui nie plaise 
davantage. Quand il s'agit de choses habitue Iles et 
peu importantes, la réponse se fait à peu près auto- 
matiquement, mais, dans le cas contraire, les actions 



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u 



LA VOLONTE 



ri !<-s réactions que nous venons d'analyser se pour- 
suivent et se compliquent. Les projets suscités par 
réaction, en tentant, eux aussi, de se développer, 
suscitent à leur tour, par une réaction inverse de la 
première, le premier projet ou bien ils font appa- 
raître des projets encore différents, et l'opération se 
poursuit d'après les mêmes procédés et avec des oscil- 
lations plus ou moins nombreuses et plus ou moins 
fortes. 

Le moi doit intervenir pour éprouver ainsi, accepter 
ou rejeter provisoirement tous les systèmes qui s'of- 
frent pour diriger son activité. La réflexion, l'attention, 
l'examen \olontaire et instinctif, la critique sont les 
procèdes île son action, ils consistent tous essentielle- 
ment dans le processus que nous venons d'indiquer et 
s T y ramènent sans exception. Réfléchir, c'est arrêter 
l'impulsion pour permettre aux tendances habituelles, 
aux idées acquises d'entrer en contact avec elle et de 
réprouver, pour lui permettre aussi bien de se dé- 
velopper, de donner ou de laisser entrevoir toutes ses 
conséquences tout en l'empêchant d'aboutir à l'acte 
et ù la fixation définitive de l'esprit. Porter son atten- 
tion sur t\i\^ résolution à prendre c'est encore se mettre 
dans les conditions voulues pour que les idées, les 
images, les sentiments qui la représentent se dévelop- 
pent librement. Critiquer, juger, c'est établir entre 
l'état nouveau et les habitudes prises par le caractère 
et l'intelligence les rapports que nous avons étudiés 
et qui seront selon le cas une harmonie ou une lutte 
suscitant une réaction, rapports que constateront la 
critique faite par l'esprit et le jugement qu'il por- 
tera» 



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l'acte de volonté 65 



§ 3. — Délibération et décision. 

La délibération varie beaucoup d'importance et de 
durée selon les actes et selon les individus. Elle 
est une sorte de lutte, de tournoi où divers systè- 
mes psychiques essayent tour à tour de conquérir et 
de se soumettre la personnalité. L'issue de la lutte 
ne peut pas toujours être prévue. Tantôt il semble 
que l'un d'eux va l'emporter, fixer l'orientation de 
l'esprit et un moment après, c'est un autre qui paraît 
triompher. Quelquefois même la lutte paraît terminée, 
quand elle n'est que suspendue. Une sorte de résolu- 
tion provisoire s'est formée, puis les désirs vaincus se 
réveillent, reprennent le combat. Il y a eu une ébauche 
de vblition complète, de décision qui n'a pu se cons- 
tituer définitivement. Il arrive très souvent, et chacun 
en aura sans doute observé des exemples, que l'on 
croit être arrivé au repos de la décision et qu'un re- 
virement dont la cause n'est pas toujours appréciable 
vient remettre tout en question et prolonger la phase 
de délibération. 

Quoi qu'il en soit, quand l'acte de volonté est 
complet, elle doit nécessairement avoir une fin. C'est 
la décision qui la termine et la remplace. 

Alors, plus ou moins visiblement, plus ou moins 
brusquement, l'orientation générale de l'esprit se mo- 
difie. La décision se fait, c'est-à-dire que l'inhibition 
qui empêchait jusqu'ici la nouvelle tendance d'abou- 
tir a disparu et que la systématisation de l'esprit est 
faite par cette tendance et selon cette tendance. 

4. 



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66 LA VOLONTÉ 

La décision se manifeste par deux traits essentiels : 
la systématisation dans le sens de la nouvelle tendance 
des éléments psychiques qui restent en activité et 
Tinhibition des éléments qui s'opposaient à elle et ne 
pouvaient s'accorder avec sa domination. Ces deux 
faits n'ont rien d'absolu. Ils sont généralement incom- 
plets, mais ils sont très marqués cependant et cons- 
tituent le fond même de la phase de la volition que 
nous examinons à présent. 

Voici l'analyse que j'ai donnée ailleurs de la systé- 
matisation dans la décision. Je crois pouvoir la repro- 
duire après treize ans, sans y rien changer. « Pen- 
dant quelque temps les dernières tendances dont 
l'activité s'est manifestée ont essayé le nouvel état qui 
tend à s'imposer, mais l'activité est restée assez faible, 
au moment de la décision, brusquement, une orien- 
tation nouvelle s'établit dans l'esprit, une coordination 
particulière apparaît, les tendances dont l'intervention 
n'est plus utile, ou qui ne pourraient s'accorder avec le 
le nouvel état, retournent à l'état latent. Je suis 
quelque temps indécis, entre sortir ou bien rester à 
travailler, j'hésite, les divers avantages de l'un ou 
l'autre parti se présentent à mon esprit, des tendances 
diverses s'éveillent en moi et essayent de s'harmoniser 
avec la représentation de l'un et de l'autre système 
d'actes à accomplir. Il s'établit une sorte de lutte plus 
ou moins vive, puis, tout d'un coup, et bien souvent 
sans que la conscience du fait soit très nette, on se 
trouve avoir fait son choix, un des termes de l'alter- 
native s'est imposé à l'esprit, ou a été accepté par 
lui, une des tendances ou un système de tendances a 
vaincu.; aussitôt les autres tendances disparaissent ou 



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TRACTE DE VOLONTÉ 67 

retournent au second plan, et les éléments psychiques 
en activité se trouvent lous associés selon le mode 
voulu pour T exécution de Tac te décidé. A. l'essai, a 
l'éveil partiel de tout un groupe de tendances, a suc- 
cédé la coordination, selon un certain mode, de tous 
les phénomènes actuels ou de presque tous. Si j'ai 
décidé de sortir, tous mes actes se dirigent vers cet 
acte, je me lève, je prends mon chapeau, etc. ; si je 
Teste, — à part peut-être quelques regrets, protesta- 
tion des tendances évincées, — toutes mes pensées 
viennent converger vers le travail que j'ai h (aire, je 
prends ma plume, je consulte des livres, j'écris. Dans 
les deux cas, après un tâtonnement, après que les 
diverses tendances qui constituent le moi se sont mani- 
festées assez pour permettre un choix qui convienne à 
la personnalité, l'orientation se forme d'une manière 
hrusque, en général, et les phénomènes psychiques 
se trouvent associés dans un système déterminé. 

u Noua retrouvons ici le jeu des élémenls psychi- 
ques, mais nous trouvons aussi le fonctionnement 
général de la personnalité. Chaque tendance, chaque 
désir, ch aque c roy a n oc , & lutté, a co mh a I tu pour e 1 le- 
même, seulement le moi, l'ensemble des tendances 
déjà organisées, est intervenu et un équilibre s^st 
établi, la force rie l'un des éléments qui luttaient 
s'est mieux accordée que la force de l'autre avec notre 
organisation mentale et l'orientation fie l'esprit s'est 
établie par la mise en activité de tendances, d'idées, 
de sentiments, convergeant tous vers le même but 1 . » 

Et voici comment j'analysais également l'inhibition : 

i. L'activité mentait, p, 171-173. 



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68 



LA VOLONTE 



« Tant que la délibération dure, des tendances opposées 
naissent, se développent, disparaissent presque sans 
qu'une coordination définitive se dégage, puis brusque- 
ment cette coordination définitive se fait, l'orientation 
de l'esprit change, les phénomènes se sont classés, et 
ce fait qui est caractérisé d'un côté par une association 
systématique que nous avons déjà examinée, est 
caractérisé aussi par une inhibition. Les phénomè- 
nes qui ne peuvent trouver leur place dans la nou- 
velle forme de l'esprit disparaissent, le moi change en 
quelque sorte, en ce sens que les tendances en activité 
qui le composent ne sont plus tout à fait les mêmes Si, 
par exemple, je me décide à faire un voyage, il y a, au 
moment où je prends mon parti, inhibition plus ou 
moins complète des tendances qui m'auraient poussé 
à rester chez moi. En général .on oublie momentané- 
ment les raisons qui ont fait hésiter, les sentiments qui 
ont longtemps contesté, combattu la décision prise. 
Sans doute, ces sentiments, ces idées peuvent se ma- 
nifester encore, mais elles sont au second plan, elles 
déterminent des regrets sourds, des impressions péni- 
bles de divers genres, mais elles ne luttent plus, c'est- 
à-dire que certaines de leurs associations sont rompues. 
Quand on a décidé de faire une chose, on peut éprou- 
ver quelquefois des regrets, on pense qu'on aurait pu 
agir autrement, mais on ne se représente plus l'autre 
terme de l'alternative comme étant actuellement possi- 
ble, on ne se le représente que sous forme de propo- 
sition verbale, et à moins que la délibération recom- 
mence, ce qui arrive parfois, les idées et les sentiments 
qui peuvent persister encore et qui sont opposés à la 
décision semblent sur un autre plan, ils forment pour 



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^^^*^w| fl ^p^v,. + TW^ ■ 



L*ACTE DE VOLONTÉ 69 

ainsi dire, partie d'un autre moi, on sent que quelque 
chose les empêche d'arriver à la pleine conscience et 
de jouer un rôle actif dans l'esprit. On a, si j'en crois 
mon expérience propre, un sentiment très net de ce 
genre d'arrêt quand il vient à cesser ou bien quand 
il s'est produit, et que l'on compare les deux états. 
Je me représente une chose que je sais ne pas devoir 
arriver, par exemple que demain, je partirai pour 
l'Italie, je puis penser aux préparatifs à faire, je puis 
rêver aux agréments du voyage, etc., je puis désirer, 
je puis me représenter même assez vivement certaines 
choses, mais quoi que je fasse, je sens que tout cela 
n'est pas sérieux, que cette activité est arrêtée, qu'elle 
ne peut pas avoir de suite et je me suis d'autant 
mieux rendu compte de cet arrêt, qu'il m'est arrivé 
comme à tout le monde, je pense, de commencer par 
rêver à des choses qui me paraissaient impossibles, 
que je me représentais pourtant comme réelles et qui 
ensuite devenaient possibles et étaient l'objet d'une 
volition ou d'une série de volitions. La différence 
entre les deux états est très marquée. De même quand 
j'ai pris une décision qui contrarie certains de mes 
goûts, je puis penser que je ne l'ai pas prise, je puis 
me représenter moi-même n'ayant pas pris cette ré- 
solution, et n'ayant pas à faire ce qui me contrarie, 
mais je n'en sens pas moins que cette décision est 
prise, qu'elle s'accomplira, que mon esprit est orienté 
d'une certaine manière, accordé sur un certain ton, 
et que sans que je m'en mêle davantage, l'acte suivra, 
et, désormais, presque automatiquement ; les tendances 
contrariées sont inhibées en tant quelles tendraient à 
détruire cette organisation, à déterminer des séries 



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70 LA VOLONTÉ 

d'actes autres que ceux que mon esprit a décidément 
choisis et qui ont été l'objet d'un acte de volonté. En 
un mot, elles ont perdu le pouvoir de diriger au moins 
à certains égards, l'organisme, elles sont, pour un 
temps, impuissantes à s'associer les phénomènes d'ac- 
tivité musculaire qui s'harmoniseraient avec elles 1 . » 



§4. — La décision, créée par le moi, le transforme. 

Cette systématisation nouvelle et les inhibitions qui 
l'accompagnent, qui la complètent, constituent en 
somme une transformation du moi. 

L'esprit crée la volition, cela ressort de tout ce qui 
précède, la volonté est une invention analogue à 
l'invention intellectuelle et s'oppose comme celle-ci à 
la routine et à l'imitation, mais il est aussi vrai 
de dire que la volonté crée l'esprit. En effet l'esprit, 
après la volition, une fois la décision prise, n'est plus 
ce qu'il était avant. Le changement accompli peut être 
plus ou moins considérable, mais il est proportionnel 
à l'importance de la volition. Une volition insignifiante 
n'entraîne que des transformations insignifiantes, 
une volition considérable nous change d'une manière 
notable. César avant et après le passage du Rubicon, 
le Jean Valjean de Hugo après l'épreuve de la « tem- 
pête sous un crâne » et la décision prise de révéler 
son identité pour éviter la condamnation d'un inno- 
cent, ne sont plus les mêmes hommes qu'aupara- 
vant. Sans doute ce qu'ils sont maintenant, ils l'étaient 

1. L'activité mentale, p. 292-294. 



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ippv j.jPWKf:' 



7 1 

en germe, mais ils étaient peut-être en germe 
bien d'autres hommes également. Une circonstance peu 
importante aurait suffi peut-être pour aiguiller dans 
un autre sens le développement de leur personnalité, 
ou, au moins, pour enrayer ce développement dans une 
certaine mesure. Après la décision prise , le change- 
ment d'orientation est une chose acquise, ou le dé- 
veloppement s'est affirmé, rendu nécessaire. Et plus 
l'acte de volonté aura été volontaire, c'est-à-dire plus 
il différera de l'activité automatique et de l'activité 
suggérée, plus la transformation sera considérable, 
car l'état nouveau différera proportionnellement davan- 
tage de l'état ancien. Un homme jusque-là honnête et 
qui commet une bassesse, n'a pas seulement accompli 
une mauvaise action, il a avili sa personnalité. Si au 
contraire il se décide volontairement à une action 
héroïque, il se grandit. Dans les deux cas, il a inau- 
guré un automatisme nouveau, préparé, si peu que ce 
soit, une routine supérieure, il a étroitement associé 
à ses tendances essentielles, à son moi, des idées, des 
sentiments, des actes qui auparavant lui étaient étran- 
gers, plus ou moins extérieurs. 

L'association systématique nouvelle, qui constitue 
la volition avec les inhibitions qu'elle provoque, or- 
ganise en effet l'esprit, elle est elle-même une orga- 
nisation nouvelle, tout au moins un commencement 
d'organisation. La nouveauté est un de ses caractères 
et, d'autre part, son acceptation par le moi est un 
caractère essentiel sans lequel il n'y aurait pas de vo- 
lition. Il est nécessaire qu'elle s'incorpore au moi, 
qu'elle s'organise avec lui. Ce caractère de nou- 
veauté, et cette entrée dans la personnalité donnent 



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72 tA VOtONTÉ 

la mesure de la transformation du moi par la voli- 



tion. 



§ 5. — La décision comme transformation du moi. 

Cette transformation est tout à fait analogue à 
tout un ensemble de phénomènes que j'ai signalés ail- 
leurs dans le processus d'une invention intellectuelle 
dans la genèse d'un roman, d'un poème. Ici aussi 
chaque pas en avant, chaque invention nouvelle fixe 
et serre la trame de l'esprit. La prédétermination 
n'est généralement pas régulière et l'on ne peut 
dire à l'avance, pour peu que l'on v ignore quel- 
qu'un des hasards intérieurs et extérieurs qui doivent 
se produire, quelle est la nature précise de l'œuvre 
qui va s'accomplir. Mais une première invention 
restreint déjà le champ des possibilités, et chaque 
nouvelle invention en rétrécit encore l'étendue. Une 
idée littéraire peut devenir, je suppose, un drame, 
un roman, une étude. Une fois le choix fait, bien 
des possibilités disparaissent. Le choix d'un ouvrage, 
d'un groupe de personnages pour héros en fait dis- 
paraître encore d'autres, car des personnages diffé- 
rents auraient pu aussi bien, peut-être, incarner 
l'idée principale. Et ainsi de suite, chaque pas en 
avant, chaque invention nouvelle précise de plus en 
plus la voie à suivre en transformant l'œuvre com- 
mencée de façon à diriger toujours avec plus de 
netteté les transformations futures. 

L'homme se fait lui-même, selon sa nature et 
selon les circonstances, comme le poète fait son 



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l'acte de volonté 73 

poème et le romancier son récit. Lorsqu'il fait un 
acte de volonté, et que sous la pression de ses désirs, 
et l'influence des circonstances, il choisit tel ou 
tel parti plutôt que tel ou tel autre, il se transforme 
lui-même, mais aussi il se fixe, et il se ferme 
toujours une part de l'horizon. L'homme qui a 
pris une profession lorsqu'il pouvait choisir entre 
plusieurs renonce à tout ce qu'il aurait pu être en 
choisissant les autres. De même celui qui se marie 
renonce aux mariages qu'il ne fait pas et qui auraient 
Orienté autrement sa vie, développé peut-être dans 
un autre sens sa personnalité. On peut dire, à ce 
point de vue, que tout développement est une 
restriction croissante des virtualités de l'être. Même 
un enrichissement de la personnalité en fait est tou- 
jours, si l'on y regarde bien, un appauvrissement de 
l'idéal, une diminution du champ où peut s'exercer 
notre activité. 

A chaque nouvel acte de volonté, l'homme se 
transforme ainsi et se développe, comme se déve- 
loppe un roman à chaque nouvelle invention du 
romancier. Si chaque volition ferme un certain nombre 
de voies encore ouvertes, elle montre aussi les 
ressources les accidents, les bifurcations de celle 
où l'on s'est engagé. La décision, une fois prise, 
aura des conséquences multiples et compliquées, qui 
mettront l'individu en demeure de choisir encore 
plusieurs fois par des volitions nouvelles entre les 
partis qui se présentent, de se fermer encore et de 
s'ouvrir des voies comme il l'a déjà fait. Choisir 
une profession c'est se mettre dans l'obligation 
d'acquérir une routine nouvelle, et, pour cela, de 
Paul h an. 5 

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LA VOLONTE 

choisir les moyens de l'acquérir. Si l'on veut être 
professeur, je suppose on aura le choix entre un cer- 
tain nombre de formes d'enseignement. On pourra 
hésiter entre les lettres et la grammaire, la philosophie 
ou l'histoire, la physique ou les mathématiques. Puis 
il faudra choisir entre les moyens d'arriver au profes- 
sorat, en passant soit par l'École normale, soit par la 
Sorbonne, soit par une Faculté de province, puis on 
pourra avoir à choisir un poste, puis il faudra se dé- 
cider à faire une thèse, à rechercher une chaire de 
Faculté, se résigner à rester dans un lycée de pro- 
vince, ou tâcher d'arriver à Paris. Là chaîne ne 
finit jamais et chacun de ses anneaux est un poids 
de plus. Chacune des décisions que l'on prend suc- 
cessivement a toujours quelque chose d'irrévo- 
< able, alors même que plus tard, ce qui n'est pas 
la règle, elle serait effacée, dans la mesure du pos- 
sible par une décision contraire. Et chacune d'entre 
elles développe l'esprit dans un certain sens et le 
transforme directement ou indirectement, par sa 
réalité seule d'abord, et ensuite par ses innombra- 
bles conséquences. L'état d'esprit d'un élève de 
TEcole normale n'est pas celui d'un élève de la 
Sorbonne, l'état d'esprit d'un professeur de Faculté 
nVstpas celui d'un professeur de lycée, etc. L'homme 
l-sL une sorte d'œuvre d'art qui s'invente elle-même 
h mesure qu'elle se fait, et qui d'ailleurs, dans la 
plupart des cas, n'arrive qu'à la médiocrité, sinon à 
la laideur. Comme le roman est une vie possible et 
virtuelle, la vie est une sorte de roman réalisé par 
son auteur même, jusqu'à son dénouement par la 
mort et même plus loin. Les volontés de nos ancêtres 



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L*ÀCTE DE VOLONTÉ *j5 

exercent encore, en effet, leur influence sur nous, elles 
contribuent à nous former et à restreindre devant nous 
le champ des transformations possibles en nous aidant 
à réaliser quelques-unes de celles qui restent réali- 
sables, et les nôtres pèseront ainsi jusqu'à la fin des 
siècles sur la tête de nos descendants. 

§ 6. — Formes différentes de la décision. 

La décision, comme la délibération, peut prendre 
des formes assez différentes selon les cas. Parfois elle 
arrive presque sans trouble et sans heurt. L'examen 
des motifs a suffi pour donner à l'un d'eux une pré- 
pondérance à peu près incontestée. Les autres ont 
été affaiblis par la délibération, ils ont contrarié les 
idées et les goûts de la personnalité. Un seul s'est 
trouvé fortifié, il s'est adapté à l'organisation psycho- 
logique et il l'a adaptée à lui, il a été jugé le meilleur. 

Dans ces cas-là, la décision tranche à peine sur le 
cours habituel de la vie et ne se détache que faiblement 
sur l'activité automatique ou suggérée. De cette voli- 
tion pâle, effacée, jusqu'à la décision très nette et qui 
change brusquement l'orientation de la personnalité, 
on trouve tous les degrés et ces degrés correspondent 
aux proportions variable de l'automatisme et de la 
volonté proprement dite dans notre activité. 

Les autres caractères de la décision et ses consé- 
quences varient corrélativement, la transformation 
de la personnalité, l'inhibition des désirs évincés, 
sont plus ou moins marqués selon que la volition 
s'éloigne plus ou moins de l'activité spontanée ou 
suggérée. 



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76 LA VOLONTÉ 



§ 7. — L'Exécution. 

L'exécution est la conséquence logique de la déci- 
sion. Elle est un élément de l'acte de volonté, mais 
non un élément aussi essentiel que la délibération et 
que la décision. L'acte de volonté ne se distingue 
pas aussi nettement de l'automatisme et de la sugges- 
tion par l'exécution que par ses deux premières 
phases. 

On peut même dire que dans l'exécution l'automa- 
tisme reprend le dessus. Je veux dire que l'activité 
de l'esprit redevient automatique, mais cet automa- 
tisme est subordonné à l'acte de volonté, à la déci- 
sion et il vient la corroborer. 

Que l'on considère, en effet, ce que c'est que 
l'exécution, et l'on verra, ou qu'elle est entièrement 
automatique, ou suggérée, ou qu'elle comprend de 
nouveaux actes de volonté avec délibération et décision. 

Une fois que j'ai décidé de sortir de chez moi, je 
suppose, le reste s'ensuit à peu près spontanément. 
La décision prise, l'esprit est naturellement orienté 
vers l'acte, l'état mental dominant tend selon la loi 
de l'association systématique, et selon la loi de l'inhi- 
bition systématique, à susciter les idées, les impres- 
sions, les images, les actes qui s'accordent avec lui, 
c'est-à-dire qui le complètent, à refouler les autres 
ou à les empêcher de se produire. La décision a 
précisément mis l'esprit dans la situation la plus favo- 
rable pour que la tendance puisse aboutir sponta- 
nément à l'acte et développer toutes ses conséquences. 
Alors les idées, les images, les déterminations spon- 



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l'acte de volonté 77 

tanées qui, pour suivre le même exemple, se ratta- 
chent à l'acte de sortir, le préparent ou le compo- 
sent, sont successivement et spontanément évoqués. 
Sans presque y penser, sans nouvel acte de volonté, 
je passe mon pardessus, je mets mon chapeau, je 
regarde le temps pour savoir si je dois prendre un 
parapluie, j'ouvre la porte, je la referme et je des- 
cends mon escalier. Une fois la décision prise, tous 
ces phénomènes s'ensuivent automatiquement comme 
sa conséquence logique et, je peux le dire, comme sa 
conclusion organique. 

Mais les choses ne se passent pas toujours aussi 
simplement. Il arrive que l'automatisme, encore ici 
soit insuffisant. Si j'ai décidé d'écrire un article, par 
exemple, sur un sujet, pour lequel je suis déjà à peu 
près documenté et préparé, l'exécution ne s'ensuit 
pas aussi gisement que si j'ai décidé de faire une 
promenade. Sans doute nous retrouvons encore ici 
une grande part d'activité automatique. Prendre du 
papier, un encrier, tremper une plume dans l'encre, 
cela va sans difficulté et sans volition spéciale, mais 
ce n'est là qu'une faible partie de l'exécution. Je serai 
probablement arrêté plusieurs fois et amené à faire 
encore de véritables actes de volonté, pour choisir 
entre tel et tel ordre des matières, entre telle et telle 
conclusion, pour savoir si je dois développer de pré- 
férence telle partie du sujet. Tout cela n'est pas 
évidemment purement intellectuel. Il y a là des choix 
à faire et des volitions s'imposent. Il se peut aussi 
que, ayant décidé, par exemple, de faire une excursion 
à tel endroit, j'aie de plus à exercer ma volonté pour 
le choix de l'heure, des moyens de transport, des com- 



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J 



78 LA VOLONTÉ 

[KLgQons de voyage, de l'itinéraire, de bien des détails 
qui ne sont pas absolument imposés par la volition 
primitive. 

L'exécution est en ces cas un véritable développe- 
ment de l'état primitif, analogue encore au déve- 
loppement d'une invention intellectuelle qui s'effectue 
psir une série d'opérations analogues à celle qui l'a 
inaugurée. Comme une invention se complète par une 
^'1 ie d'inventions, une volition s'exécute au moyen 
(l'une série d'autres volitions. Bien souvent, une fois 
que nous avons pris une décision, pour peu qu'elle 
soît importante et compliquée, il nous faut encore de 
I ritips en temps vouloir des moyens que l'automatisme 
si m il même avec l'aide de l'activité suggérée resterait 
impuissant à réaliser. 

§ 8. — L'exécution est un signe de la décision. 

On peut dire d'ailleurs que l'exécution ainsi 
ri imprise est une suite, un développement de la voli- 
tion, plutôt qu'elle n'en est un élément ; l'acte de 
Milonté peut être considéré comme virtuellement 
complet aussitôt la décision prise. La décision à elle 
-mie est en un sens la véritable « exécution » puis- 
que c'est elle qui transforme l'esprit. Elle est au 
moins l'acte initial et décisif de l'exécution. Suppo- 
sons que, une fois la décision prise, nous venions à 
n lourir subitement, à être frappé de paralysie, à être 
mis, pour une raison quelconque, dans l'impossibi- 
lité d'agir, nous n'en aurons pas moins « voulu ». 

i 1 Voir à ce propos ma Psychologie de l'invention. 



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*rp?7,J)$ 



l'acte de volonté 79 

Nous serons, moralement, aussi bien responsables de 
notre décision, à la supposer sérieuse, que si nous 
avions eu le temps et la possibilité de l'exécuter. 
L'exécution complète un système d'idées et de désirs 
déjà constitué. C'est la décision qui est le germe dont 
le reste doit sortir logiquement par un développement 
plus ou moins accidenté et sur lequel vont souvent se 
greffer des volitions nouvelles avec leur suite logique. 

Ainsi la délibération est surtout une préparation 
et l'exécution un complément de l'acte de volonté. 
Ce qui constitue la partie essentielle de cet acte c'est la 
décision même. Seulement l'exécution est aussi un 
signe de l'existence réelle ou tout au moins de la qualité 
de la décision sur laquelle on pourrait parfois hésiter. 

La volonté, en effet, a ses illusions, comme toute 
la vie consciente. Parfois on croit vouloir alors 
qu'on n'a qu'une faible velléité, un désir peu persis- 
tant dont la première circonstance qui se présentera 
va montrer la défaillance. La synthèse volitive est 
faible et reste instable, elle ne peut résister à sa réa- 
lisation. Cela se voit, par exemple, quand on a pris 
une résolution grave, pénible. Souvent les tendances 
que la décision a inhibées provisoirement, plus rude- 
ment froissées par l'exécution, ife réveillent, se ré- 
voltent et déterminent un nouveau changement de 
l'orientation de l'esprit. Assez souvent un criminel 
s'arrête dans l'exécution d'un crime, un père ou une 
mère, après avoir résolu de châtier sévèrement leur 
enfant, s'arrêtent dans l'exécution de leur volonté, 
malgré toutes les belles assurances qu'ils s'étaient 
données à eux-mêmes. Ils se leurraient évidemment 
sur la nature et sur l'efficacité de leur décision. 



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80 LÀ VOLONTÉ 

C'est là un fait très fréquent. Si nous n'interro- 
geons pas avec soin notre propre expérience, il nous 
est bien difficile de savoir à quoi nous en tenir sur la 
solidité de notre vouloir, et généralement on préfère 
s'illusionner soi-même, si même on n'a pas besoin 
de tromper les autres. Une conscience qui n'est pas 
rigoureusement entraînée* à l'examen scientifique voit 
dans l'esprit ce qu'elle veut y voir. Constamment 
on se trompe sur ses idées, sur ses propres senti- 
ments, sur ses volitions mêmes et l'on prend pour 
des réalités solides de pâles images construites sou- 
vent pour satisfaire A notre désir de nous estimer ou 
de nous admirer nous-mêmes, ou pour flatter nos pré- 
jugés moraux. Peu d'hommes veulent convenir, même 
avec eux-mêmes, de leurs bassesses et de leurs tares, et 
beaucoup aiment à se donner l'illusion de beaux sen- 
timents absents et d'une volonté qu'ils ne for- 
meront jamais sérieusement. 

L'exécution, ici, est une assez bonne pierre de 
touche. Il ne faut pas non plus s'en exagérer la 
valeur : quelquefois elle est le résultat â"une sorte d'en- 
traînement, elle ne pourrait plus se faire si l'on 
attendait un peu, si l'on laissait à l'esprit le temps 
de se reprendre. Mais enfin, elle indique toujours au 
moins un certain degré de sincérité et de force % 
dans la décision. Celui qui, après avoir délibéré et 
décrété, exécute réellement, celui-là a voulu. Peut- 
être, s'il s'était laissé le temps de se reprendre avant 
d'agir aurait-il reculé et fût-il revenu à ses hésita- 
tions, mais enfin, même en ce cas, et en mettant les 
choses au pire, l'état d'âme qui a amené la décision et ^ 
qui s'est ensuite objectivé dans l'acte, était bien un 



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8i 

état réel, et, dans une certaine mesure, l'expression 
réelle et sincère, au moins pour un moment, de la 
personnalité. 

§ 9. — Les rapports de l'exécution avec V inhibition 
et l'association systématique. 

Il n'est pas besoin sans doute d'insister longue- 
ment, sur ce fait que l'exécution, comme la délibé- 
ration et la décision est une application des grandes 
lois psychologiques de l'association systématique et 
de l'inhibition. Ce que nous avons dit de la décision 
pourrait suffire à le montrer puisque la décision est 
déjà une exécution et que l'exécution est le dévelop- 
pement systématique de la décision. 

L'exécution, en effet, c'est d'une part, au point 
de vue de l'association systématique, un enchaîne- 
ment d'idées secondaires, de sentiments et d'actes en 
harmonie avec la décision, formant avec elle un 
système d'autant plus rigoureux et mieux enchaîné 
que l'exécution est moins imparfaite, assez serré 
en bien des cas*, pour que l'ensemble de la décision et 
de l'exécution prenne un caractère d'unité frappant 
et nous apparaisse comme une seule et même chose. 

Au point de vue de l'inhibition systématique, 
l'exécution continue la décision, toutes les tendances 
qui avaient agité un moment l'esprit et cherché à le 
diriger, et qui ont été contrariées par la décision, 
momentanément ou définitivement inhibées, conti- 
nuent à Fêtre pendant l'exécution si celle-ci se fait 
régulièrement. Mais il arrive, comme nous avons eu 
déjà l'occasion de le dire, que l'exécution réveille 
ces tendances antagonistes, et que celles-ci repren- 

5. 

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LA VOLONTE 



nent la lutte. Elles n'étaient donc pas, en bien des 
cas, supprimées, mais simplement assoupies. Elles 
restaient virtuellement dans l'esprit, prêtes à se re- 
constituer dès que la faiblesse de celles qui l'avaient 
momentanément emporté viendrait à le leur permettre. 
Nous avons ainsi, semble-t-il, une conception 
assez nette de l'acte de volonté avec ses trois phases, 
et ses rapports aux grandes lois de l'esprit dont il est 
une manifestation assez singulière. Nous avons vu 
ce qui le rapproche de l'automatisme et de l'activité 
suggérée et nous avons vu aussi ce qui l'en sépare et 
fait son originalité. Il nous faut, maintenant, péné- 
l rer un peu plus avant dans les détails mêmes du 
phénomène, nous en comprendrons mieux la 
nature en voyant la place qu'y tient l'activité relati- 
vement indépendante des éléments psychiques dont 
nous avons surtout examiné jusqu'ici l'activité 
coordonnée et régulière et nous différencierons mieux 
encore la volonté de l'automatisme et de la sugges- 
tion 1 . 



i. On peut consulter pour la psychologie de la volonté: 
Fouillée, Psychologie des idées forces, tome II, livre vi. Paris. 
Alcan, 1893. — Maudsley, Physiologie de l'esprit, ch. vu. Trad, 
frunç. de Herzen. Paris, Reinwald, 1879. — Ribot, Maladies de 
h Volonté. — Harald HofTding, Esquisse d'une psychologie fondée 
mir l'expérience, trad. française de M. L. Poitevin, ch. vu. Paris, 
Vlcan, 1900. — Janet (Pierre), Un cas d'aboulie et d'idées fixes, 
tn Névroses et idées fixes, tome I. Paris, Alcan, 1898. Spencer (H.), 
Principes de psychologie. Trad. franc, de Ribot et Espinas, tome I, 
partie IV, ch. ix. Paris, Germer- Baillière, 1874.— Taine (H), 
Dr la volonté. Fragments inédits. Revue Philosophique. No- 
vembre 1900. — Wundt (W.). Eléments de psychologie physio- 
hitjique. Trad. franc, de E. Rouvier, tome II, chap. xx et xxi. 
Paris, Alcan, 1886, etc. 



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CHAPITRE V 
L'ACTE DE VOLONTÉ 

II. — LA VOLITION ET L'ACTIVITÉ INDÉPENDANTE 
DES ÉLÉMENTS PSYCHIQUES 



§ i . — L'activité indépendante des éléments 
psychiques. 

C'est une idée qui paraît maintenant assez répandue 
et que j'ai, je crois, contribué pour ma part à faire 
accepter 1 , que les éléments de l'esprit: idées, images, 
sentiments, tendances qui peuvent se grouper, s'as- 
socier en systèmes complexes, peuvent aussi, dans 
certains cas, agir d'une manière indépendante, comme 
des individus au sein d'une société qui les emploie 
sans se les assimiler entièrement. On voit ainsi, assez 
souvent, une idée s'implanter en nous malgré les 
efforts que nous faisons pour nous en débarrasser, 
un geste nous échapper malgré notre désir, etc. C'est 
surtout dans les moments de trouble et de désac- 
cord que se manifeste cette activité indépendante des 
éléments. Si les systèmes supérieurs qui en règlent 

i. Voir mon Activité mentale, i re partie. 



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84 LA VOLONTÉ 

le jeu se désorganisent ou ne sont pas encore for- 
més, les éléments agissent par eux-mêmes, d'une 
manière individuelle et pour ainsi dire égoïste, comme 
les soldats d'une armée privée de commandement, 
et où la discipline ne maintient plus les désirs parti- 
culiers de chacun. Aussi est-ce dans les cas de dé- 
sorganisation par la ruine d'une grande affection, par 
la chute de croyances longtemps dominantes, par la 
démence progressive, etc., qu'on peut la remar- 
quer, mais c'est aussi dans le cas où l'organisation su- 
périeure commence à s'ébaucher, par exemple chez 
l'enfant, chez le savant qui tâtonne pour arriver à sa 
théorie, chez l'homme religieux qui a perdu sa foi 
primitive et qui cherche à la remplacer, chez l'esprit 
qui doit agir et que ses tendances ne peuvent décider 
aisément à l'acte. C'est dire que l'invention et que 
la volonté sont des faits où doit se manifester plus ou 
moins cette indépendance des éléments psychiques 
dont le rôle est si considérable dans la vie mentale. 
C'est une ressemblance de plus et qui dérive de celles 
que nous avons déjà reconnues entre elles. Je me 
suis occupé de l'invention dans un autre livre et j'ai 
tâché d'y montrer le rôle qu'y prenaient l'anarchie 
mentale, l'activité indépendante des éléments et le 
désordre mental qui en résulte. J'aurai des remarques 
analogues à faire ici sur la volonté. 



§ 2. — L'activité indépendante des éléments à l'origine 
de l'acte de volonté et dans la délibération. 

L'activité indépendante des éléments est un mode 



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L ACTE DE VOLONTE 



85 



de fonctionnement de l'esprit tout à fait opposé à 
l'activité automatique. Sans doute un élément psy- 
chique, une idée, un désir peut fonctionner auto- 
matiquement et d'une manière indépendante, mais ce 
ce que je veux dire, c'est que ses éléments à lui sont, 
en ce cas, rigoureusement enchaînés, subordonnés à 
son but général. Dans l'activité automatique, l'indé- 
pendance des éléments est en général réduite au mi- 
nimum. Dans un réflexe, l'indépendance des éléments 
est à peu près nulle, dans l'instinct elle est encore 
extrêmement faible, les divers anneaux qui composent 
un acte instinctif sont très fortement et rigoureuse- 
ment enchaînés entre eux et aucun d'eux n'est mis 
indépendamment en activité, relié à d'autres chaînes 
qui ne se rattacheraient pas à la première. Au con- 
traire quand nous rêvons ou quand nous délibérons, 
il existe en général plusieurs idées, plusieurs images, 
plusieurs tendances en présence dont chacune, prise 
à part, peut bien agir automatiquement mais qui ne 
s'unissent pas en un tout unifié et gardent une cer- 
taine individualité, une activité indépendante. 

C'est ce qui se produit aussi quand nous avons à 
faire un acte de volonté. Alors, comme nous l'avons 
vu tout à l'heure, une synthèse spontanée des phéno- 
mènes psychiques ne peut s'opérer. C'est dire que les 
tendances qui sont actuellement en exercice agissent 
indépendamment (dans une certaine mesure, bien 
entendu), et même l'une contre l'autre, ne s'unissent 
pas en un tout unifié. Par exemple si j'hésite entre le 
travail et la promenade, les deux tendances qui cor- 
respondent aux deux partis à prendre agissent indé- 
pendamment l'une de l'autre et même elles agissent 



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86 



LA VOLONTE 



Tune contre l'autre et ne peuvent s'unir pour une un 
commune. Chacune d'elles lutte pour la suprématie et 
cherche à reconstituer à sa façon l'unité de l'esprit. 
C'est cette unité que refera momentanément l'acte 
de volonté en subordonnant ou en annihilant pour 
un temps quelques-unes des tendances, pendant que 
l'autre dominera l'esprit et orientera dans un même 
sens toute son activité. 

L'activité indépendante des phénomènes est donc 
une condition de l'acte de volonté, elle en marque le 
point de départ. Elle continue, dans une certaine 
mesure, pendant la délibération. 

La délibération, en effet, est un tâtonnement. Elle 
consiste en ce que les désirs opposés qui sont en jeu 
viennent essayer l'un après l'autre de s'harmoniser 
avec l'ensemble des tendances qui constitue le moi 
ou qui le représente d'une manière plus ou moins 
fidèle. En sorte que la délibération nous montre à la 
fois l'activité régulière et systématisée du moi qui 
choisit, examine et repousse les divers motifs, 
Ûtii arrête et critique les divers désirs, et aussi l'acti- 
\'\\é indépendante des différents éléments en lutte qui 
v îonnent chacun se proposer et tâcher de s'harmoniser 
joec le moi aux dépens des autres. Et chaque désir 
agit encore d'une manière indépendante en évoquant 
les idées, les images, les impressions, les souvenirs 
tjui peuvent le renforcer et l'aider à triompher, en 
luisant sortir de l'inconscient une multitude de phé- 
nomènes capables de le soutenir. Sans doute il arrive 
souvent que le moi, l'ensemble de la personnalité 
intervienne dans cette recherche des motifs et des con- 
séquences mais souvent aussi son rôle est moins 



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l'acte de volonté 87 

actif, il assiste un peu comme spectateur au dévelop- 
pement de chacune des tendances qui cherche à s'a- 
dapter à lui et aussi à l'adapter à elle. Nous sommes 
même parfois surpris des impressions nouvelles ou 
des idées qui sont ainsi évoquées. 

Quant à la décision elle est précisément la fin de 
cette activité indépendante et non coordonnée des élé- 
ments psychiques, auxquels elle a pour principal effet 
de substituer une coordination nouvelle en associant 
l'un des éléments au moi, en le rattachant étroite- 
ment à la personnalité, tandis que l'activité des autres 
est rigoureusement inhibée. L'activité indépendante 
des éléments cesse donc ici, d'une part parce que l'un 
de ces éléments se systématise avec l'ensemble de ten- 
dances qui constitue le moi, d'autre part parce que les 
autres cessent d'agir. L'activité indépendante disparaît 
d'un côté par la fin de l'indépendance et de l'autre par 
la fin de l'activité. Tant que je ne suis pas décidé, 
je suppose, à changer de genre de vie, de profession, 
de lieu d'habitation, mes différents désirs luttent, se 
heurtent, se développent chacun pour soi, suscitent 
des motifs, évoquent des idées, des impressions, des 
sentiments. Ils sont dans une certaine mesure indé- 
pendants les uns des autres, mal coordonnés entre 
eux et, aussi mal coordonnés avec le moi qui n'a encore 
adopté aucun d'eux, et indépendants de lui. Au 
moment où la volition se produit, où la nouvelle 
synthèse se fixe, l'accord avec le moi est fait, il y a 
combinaison, annexion réciproque du moi et de l'élé- 
ment choisi, pendant que les autres disparaissent, au 
moins pour un temps, de la vie de l'esprit. 

La décision est ainsi une combinaison d'un système 



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88 LA VOLONTÉ 

encore relativement indépendant, l'élément qui l'em- 
porte dans la lutte, et d'un système plus fixe de ten- 
dances, la personnalité. Ce qui se passe ici est tout à 
fait analogue à ce qui se passe dans l'invention, dans 
la fixation de la croyance, dans l'attention et aussi 
bien d'ailleurs la fixation de la croyance et l'atten- 
tion sont, comme la décision prise d'accomplir un 
acte, des manifestations de la volonté. Deux idées, 
par exemple, sont restées jusqu'ici, dans l'esprit qui 
les fait vivre, indépendantes l'une de l'autre, un fait 
nouveau, une expérience, une réflexion vient les unir 
en les modifiant souvent, c'est une invention. Une 
idée est restée longtemps en moi sans que je l'adopte, 
sans que je la fasse mienne, je l'ai toujours plus ou 
moins tenue à l'écart, puis, un jour, une raison nou- 
velle m'arrive d'admettre sa vérité, et la synthèse 
s'opère, ma croyance est fixée. Par exemple, j'entends 
parler de la théorie de l'évolution, mais cette théorie 
me semble invraisemblable, je la repousse, elle reste 
isolée dans mon esprit sans pouvoir s'associer systé- 
matiquement à mes opinions stables, puis j'étudie un 
peu la question, je vois les arguments qu'on donne 
pour la défendre, les faits qui viennent l'appuyer. 
Peu à peu le doute naît, la délibération commence, 
puis à un moment donné, soit par la lutte des an- 
ciennes opinions et des nouvelles théories, soit par 
l'influence de quelque argument nouveau qui vient se 
présenter, mon esprit se fixe. J'adopte la nouvelle 
théorie, ma croyance est faite et ma nouvelle opinion 
s'est systématiquement associée avec les autres qui se 
sont modifiées et ont éliminé quelques-unes d'entre 
elles pour la recevoir. De même encore l'attention 



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l'acte de volonté 89 

fait entrer dans un système d'images, d'idées, de 
sentiments une sensation, une idée qui jusque-là res- 
tait à l'écart vivant, dans une certaine mesure, de sa 
vie propre. Dans la décision volontaire active c'est 
l'idée d'un acte ou, plus généralement, d'un état 
quelconque qui vient ainsi s'amalgamer à la person- 
nalité, se faire recevoir par elle en la modifiant. 



§ 3. — L'activité indépendante des éléments dans la 
détermination de la décision. 

Mais nous retrouvons l'activité indépendante des 
éléments dans la manière dont la décision arrive à se 
former. Le passage de la délibération à la décision, 
cette fusion singulière du motif et de la personnalité 
nous en présente de nombreux exemples. C'est se le 
représenter d'une manière trop simple et un peu 
convenue, que de dire, comme on le fait communé- 
ment, que lé moi choisit, parmi les motifs, celui qui 
lui convient le mieux. Sans doute il arrive, il peut 
arriver que l'opération se réduise presque à cela, et 
alors c'est surtout l'activité systématique des ten- 
dances dominantes qui se remarque, mais souvent 
les choses sont bien plus compliquées et moins régu- 
lières. Nous retrouvons presque toujours, quand 
l'hésitation dure, une grande complication de phéno- 
mènes et l'immixtion de petits éléments psychiques 
plus ou moins accidentellement évoqués. Dans la voli- 
tion, comme dans l'invention, c'est parfois une cir- 
constance en apparence assez insignifiante qui vient 
fixer l'orientation et faciliter la synthèse nouvelle. 



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90 LA VOLONTÉ 

Une excitation quelconque peut favoriser l'invention. 
Quelquefois c'est une excitation spécialisée et qui peut 
entrer dans le nouveau système, c'est, par exemple, 
la lecture du traité de Malthus, les idées de l'écono- 
miste anglais arrivant à l'esprit de Darwin et venant 
précipiter la formation de la théorie de la sélection na- 
turelle, c'est aussi parfois une excitation générale et 
diffuse, sans rapport bien étroit avec l'invention qu'elle 
détermine: la musique qui fait penser trop fortement 
Darwin à l'objet de ses études, un vin grec inspirant une 
mélodie à M. Massenet, un bain forcé faisant trouvera 
Berlioz une mélodie longtemps cherchée. Les choses se 
passent de même pour la volonté. 

A côté des motifs logiques qui déterminent nos 
volitions, il y a ce qu'on pourrait appeler des exci- 
tants illogiques ou alogiques. Un verre de vin, une 
cigarette peuvent, par exemple, hâter une décision, 
dans un sens ou dans l'autre selon le moment. Sou- 
vent un petit détail assez insignifiant vient jouer 
ce rôle de l'excitant nécessaire, assez semblable, mal- 
gré l'illogisme relatif de l'opération, à celui de la 
mineure du syllogisme. Il vient en effet unir indissolu- 
blement une des tendances avec la personnalité même 
comme la mineure dans un syllogisme vient rattacher 
la majeure et la conclusion. 

Les faits de ce genre sont de tous les jours: on n'en 
trouve guère la narration dans les traités scientifiques, 
parce que ce sont des faits qu'on observe dans la vie 
ordinaire bien plus que dans les laboratoires ou les 
hôpitaux, mais chacun a pu les remarquer. Les ro- 
manciers, surtout depuis un demi-siècle peut-être, 
les ont bien souvent décrits. On en trouverait beaucoup 



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L ACTE DE VOLONTE <) 1 

dans Flaubert. Je rappelle, par exemple, le cas de 
M me Bovary décidée à l'adultère par l'idée de revêtir, 
pour ses promenades à cheval, un costume d'ama- 
zone. 

Ce petit motif qui détermine la volition et qu'on 
peut comparer au petit cristal qui détermine la pré- 
cipitation d'une solution sursaturée, est bien cu- 
rieux. Souvent il agit quand les plus graves raîeoaa 
sont restées impuissantes à vaincre l'inertie de l'esprit, 
Ce serait une vue un peu simple encore que de le pan i 
parer au poids très léger qui vient faire pencher ht 
balance. Les choses ne se passent pas tout à fait ainsi. 
Le petit motif n'agit pas toujours seulement en s'ajou- 
ta nt aux autres, et bien souvent même, quand c'est, 
par exemple, une excitation diffuse comme celle de la 
musique ou d'un verre de vin qui détermine un acte, 
la comparaison n'aurait guère de sens. Le petit motif 
opère dans l'esprit une sorte de déclenchement, il 
détourne l'attention et, supprime ainsi l'inhibition 
qui arrêtait jusque-là le triomphe d'une tendanre* 
Parfois aussi l'esprit, épuisé par une longue délibé- 
ration, reste insensible aux raisons trop souvent en- 
visagées, aux sentiments trop souvent évoqués. Tout 
lui devient indifférent. Dans cet état, parfois une 
impression presque insignifiante, mais qui n'a point 
encore été excitée, apparaît avec une fraîcheur, avec 
une vivacité extraordinaires et si elle est spécialement 
en harmonie avec une des tendances qui ont vaine- 
ment lutté jusqu'ici, elle peut fixer immédiatement 
dans le sens de cette tendance l'orientation de l'esprit. 
Il n'est pas impossible que l'idée d'essayer un para- 
pluie neuf détermine un homme raisonnable à faire 



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92 LA VOLONTÉ 

une visite qui l'ennuie. Au reste c'est un fait assez 
habituel que les motifs n'ont pas du tout en ce qui 
concerne leur action sur la volonté une importance, 
proportionnée à la profondeur et à la solidité des 
tendances auxquelles ils se rattachent. Un désir pas- 
sager, qui sera bientôt oublié, est parfois assez vif 
pour faire échec à de vieilles et toujours fortes habi- 
tudes, pour l'emporter sur la personnalité elle-même. 
Il est assez ordinaire de constater les regrets ou les re- 
mords qui suivent ce genre d'action. Des faits de cet 
ordre, qu'on pourrait multiplier, témoignent d'un 
manque de coordination de l'esprit, c'est-à-dire qu'ils 
montrent l'activité relativement indépendante des élé- 
ments. On voit que ce mode d'activité intervient tou- 
jours dans la formation de l'acte volontaire quand 
l'activité volontaire n'est pas parfaitement régulière. 
C'est dire que tel est le cas général, car le propre 
de l'activité volontaire est de n'être pas, en général, 
parfaitement régulière, et c'est en partie par là qu'elle 
se distingue de l'activité automatique. Le caractère 
de nouveauté de la synthèse volontaire implique à 
peu près forcément quelque désordre et quelque activité 
indépendante des éléments, pour les mêmes raisons 
que le caractère de nouveauté de la synthèse inven- 
tive. 



§ 4. — L'activité indépendante des éléments 
et l'exécution. 

Dans l'exécution le rôle de l'activité indépendante 
des phénomènes peut être réduit, car l'exécution 



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9 3 

doit être une suite logique de la décision et comporte 
une large part d'automatisme. Souvent même le 
principal effet de la décision est de préparer une 
série d'actes automatiques. Si je me décide à sortir et 
à marcher, par exemple, l'automatisme dont le rôle 
a été faible pendant la décision prend, au contraire, 
un rôle prépondérant dans l'exécution, surtout s'il 
s'agit de refaire une marche déjà faite bien souvent. 
Mais souvent aussi l'activité indépendante des phé- 
nomènes se manifeste encore çà et là, l'automatisme, 
en effet, n'est jamais absolument parfait, et, en cer- 
tains cas, de nouveaux actes de volonté sont nécessaires 
pour l'exécution d'une volition précédente. Nous re- 
trouvons en ce cas les mêmes phénomènes que pré- 
cédemment. 

En somme, l'état d'indépendance des éléments cor- 
respond à peu près et à certains égards à ce qu'il y a 
de volontaire dans notre activité, et au contraire l'état 
de systématisation avancée, de coordination parfaite 
correspond à ce qui s'y trouve d'automatique et de 
spontané. Comme les deux choses se mêlent constam- 
ment et que surtout il n'y a pas de volonté sans 
quelque automatisme, il faut s'attendre à trouver par- 
tout le jeu coordonné des éléments et aussi quelques 
imperfections de ce jeu et une certaine indépendance 
des idées et des désirs. Et c'est bien en effet ce que 
l'expérience nous paraît montrer autant que nous 
pouvons nous en rendre compte. 



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CHAPITRE VI 

L'ÉVOLUTION DE LA VOLONTÉ, 
DES CAPRICES OU POUVOIR PERSONNEL 

I. — LES CAPRICES 



Ainsi la volonté comporte deux conditions essen- 
r îi Iles : une activité régulière, systématisante, harmo- 
nieuse et aussi un certain jeu relativement indépen- 
dant des éléments psychiques. Si la systématisation 
si iapproche de la perfection, l'activité se rapproche 
tin l'automatisme, mais si le jeu indépendant des 
éléments psychiques l'emporte, l'activité tend vers 
une incohérence absolue qui diffère autant que l'auto- 
matisme le plus net de ce que nous entendons 
par volonté. De l'un de ces extrêmes à l'autre 
nous trouvons une immense quantité de formes 
variables de l'acte volontaire et si nous suivons la 
s('iie, nous voyons se former ce qu'on a appelé 
jadis le pouvoir personnel, la puissance coordonnée 
vi coordonnatrice de la volonté, de la personnalité 
agitante. Nous allons voir ces formes diverses de 
la volonté, et cette création progressive du pouvoir 



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l'évolution de la volonté 95 

personnel, que Ton a peut-être un peu trop confondu 
jadis avec la volonté même. 



§ 2. — Le caprice. Sa nature. 

Au plus bas degré nous trouvons une activité no- 
toirement incoordonnée, constituée par des actes 
incohérents; ce que M. Ribot a appelé le règne des 
caprices. Le caprice est un acte de volonté assez im- 
parfait. L'une des phases principales de la volition, 
c'est la délibération que je veux dire, y est, sinon 
complètement supprimée, au moins singulièrement 
écourtée. La décision au contraire, et c'est une con- 
séquence naturelle de l'affaiblissement de la délibé- 
ration, si ce n'en est pas la cause, y est prompte et 
vive et souvent aussi très nette. L'exécution n'est 
pas toujours parfaite et s'arrête parfois avant d'être 
achevée. 

A mon avis, l'étude du caprice est très importante 
et le caprice est un élément considérable dans l'évolu- 
tion de la volonté. Nous y retrouvons, à un très haut 
degré, quelques-unes des conditions qui caractérisent 
l'acte volontaire, et le grossissement, l'exagération 
même de ces conditions nous permet de les mieux 
comprendre et de les étudier plus aisément. 

Le caprice est une sorte d'impulsion consciente, 
qui n'aboutit pas à l'acte sans quelque lutte plus ou 
moins visible. L'impulsion contrarie toujours, ici, 
quelques tendances importantes. Visiblement, et c'est 

1. Voir Ribot: Maladies de la volonté. 



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96 LA VOLONTÉ 

un des caractères du caprice, elle n'est pas coordon- 
née avec l'ensemble des désirs. Elle est l'activité 
propre d'une tendance, activité assez forte pour se 
faire sentir très vivement et pour aboutir assez sou- 
vent à l'acte, mais trop peu importante pour déter- 
miner une orientation complète et durable de la per- 
sonnalité. 

C'est à cause de ce désaccord que le caprice s'op- 
pose à l'activité automatique. Sans doute il suppose 
tout d'abord une certaine activité automatique de la 
tendance qui le produit, mais cette activité ne peut pas 
se satisfaire automatiquement parce qu'elle n'est pas 
coordonnée avec celle de l'ensemble des tendances. 
C'est ce manque de coordination qu'on fait ressortir 
quand on oppose le caprice à la raison. Ce que l'on 
trouve « raisonnable » étant précisément ce qui est 
en harmonie avec l'ensemble des tendances ou avec 
quelques-unes d'entre elles prises comme symboles 
de l'ensemble. C'est un caprice, par exemple, que 
le désir d'une friandise qui risque de fatiguer l'es- 
tomac, d'une promenade par un temps humide si 
l'on est de santé délicate. Dans tous ces cas on 
voit sans difficulté l'impulsion produite par une 
tendance et son désaccord avec les principales ten- 
dances de l'organisme et de l'esprit. Ce n'est pas un 
caprice que d'avoir envie de manger quand vient 
l'heure du déjeuner ou de sortir pour prendre l'air 
quand le temps çst beau. 

Cette incoordination des tendances qui est, nous 
l'avons vu, une des conditions de la volonté, est 
aussi une des conditions du caprice. Cela suffit à 
rapprocher ces deux faits. L'activité capricieuse peut 



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l'évolution de là volonté 97 

ressembler encore à l'activité volontaire par d'autres 
côtés. Je ne parle pas du fait même de l'impulsion 
qui est, évidemment, un des éléments essentiels du 
caprice et de la volition, mais qui, sous diverses 
formes plus ou moins conscientes, est également un 
élément essentiel de l'activité automatique et de 
l'activité suggérée, et, même de l'activité en gé- 
néral. 

Le caprice peut avoir, comme l'acte de volonté, un 
caractère .de nouveauté. Il l'a même 'd'une manière 
générale, à la condition de bien s'entendre sur lé mot 
et d'en étendre un peu le sens. Le caprice ne porte 
pas toujours sur un acte qui n'ait jamais été accom- 
pli, pas plus d'ailleurs que la volonté, mais comme 
la volonté, il le fait accomplir dans des circon- 
stances différentes, dans des conditions nouvelles. Un 
caprice a facilement quelque chose d'imprévu, de 
bizarre, d'extraordinaire. Dès qu'il se répète trop et 
dans les mêmes circonstances ce n'est plus précisé- 
ment un caprice, c'est une routine vicieuse, une 
sorte de manie. Comme la volonté, le caprice rompt 
l'automatisme régulier des tendances et comme elle 
aussi il diffère quelque peu de l'activité suggérée, 
quoiqu'il doive conserver toujours quelque part d'auto- 
, matisme et qu'il puisse devoir beaucoup à la sugges- 
tion. Gomme la volonté il est une synthèse assez ori- 
ginale, et comme elle encore, on peut le rapprocher de 
l'invention intellectuelle dans ses formes inférieures. 
Gela est si vrai que l'on se sert également bien du 
mot caprice pour désigner les fantaisies de la volonté 
et celles de l'intelligence. On parle couramment des 
« caprices de l'imagination » et, en effet, les divaga- 
Pauluan. 6 

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yS LA VOLONTÉ 

lions plus ou moins neuves, les idées qui jaillissent à 
["improviste dans l'esprit et qui ne se développent pas, 
k-s images, sans rapports bien logiques avec nos préoc- 
cupations générales qui viennent assaillir l'esprit, 
l'amuser un moment et parfois le distraire de sa tâche 
sont tout à fait analogues aux désirs subits qui vien- 
nent modifier notre conduite, inspirer tout à coup des 
m tes peu importants en général, mais surtout peu 
raisonnables et assez mal harmonisés avec l'ensemble 
<le notre conduite et de nos tendances, avec les désirs 
fi mdamentaux de la vie organique et de la vie men- 
tale. 



S 3 ■ • — Le caprice et les trois phases de la volonté. 

Enfin on peut retrouver avec quelques modifica- 
tions, dans le caprice, les trois moments de la vô- 
li raté. Celui qui y est le plus modifié, la délibération, 
n'y disparaît pas entièrement. Il en reste au moins 
tins traces, des rudiments, insuffisants sans doute 
pour garder le nom de délibération — car les noms 
t lu délibération et de caprice s'associent assez mal 
Pli vérité — mais dont nous pouvons cependant 
reconnaître la nature. 

La phase de la délibération est représentée, dans 
Le* caprice, par l'hésitation, assez fréquente dans l'ac- 
I i vite capricieuse. Le désir qui naît ne se satisfait 
pas toujours sans éveiller quelques scrupules, sans 
( ►mvoquer quelques combats, Assez fréquemment il 
n Yst pas satisfait du premier coup, il éprouve un 
Lorlain retard dû précisément à ce qu'il choque les 



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l'évolution de la volonté 99 

idées admises et les tendances dominantes. Les 
inconvénients qu'il peut y avoir à lui céder se pré- 
sentent à l'esprit, et parfois avec assez de vivacité. 
Mais, en ce cas, il ne se produit pas normalement un 
examen approfondi et méthodique, c'est plutôt une 
suite rapide de pensées différentes et opposées, une 
oscillation de l'esprit entre deux attitudes incom- 
patibles. Il va et vient de l'une à l'autre et finit 
par se fixer brusquement sans avoir jamais com- 
paré les deux avec beaucoup de soin et pesé avec 
précaution leurs inconvénients et leurs avantages res- 
pectifs. 

Parfois aussi la phase délibérative est bien moins 
marquée encore. Cette oscillation de l'esprit, cette 
lutte entre le caprice et la raison est moins visible. 
La délibération n'est plus qu'un léger arrêt dans la 
satisfaction du désir, une hésitation irraisonnée et à 
peine perceptible, l'apparition dans la conscience 
d'une idée vague et d'un sentiment confus représen- 
tant la protestation des tendances qui s'effacent 
devant le désir vif et passager qui les inhibe momen- 
tanément. 

Si l'on diminue encore leur résistatnce, il ne 
reste plus qu'un phénomène assez singulier. La pro- 
testation est remplacée par une augmentation du 
plaisir avec lequel se satisfait le caprice. Ce plaisir 
prend une saveur spéciale, une vivacité remarquable 
précisément parce que le désir qui se satisfait est 
vaguement combattu et que l'automatisme régulier 
n'est pas tout à fait établi. Le fonctionnement par- 
faitement coordonné des tendances ne s'accompa- 
gnerait d'aucune conscience, la connaissance d'abord, 



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IOO LA VOLONTÉ 

puis le plaisir, puis la douleur sont en général les 
symptômes d'une activité toujours plus difficile. Nous 
respirons sans y prendre garde quand nous respirons 
librement. Nous remarquons une fonction si, quoi- 
qu'elle s'accomplisse assez bien, elle est cependant un 
peu gênée. Si notre activité en s'exerçant triomphe 
facilement de quelques obstacles nous éprouvons du 
plaisir, si elle triomphe moins aisément, ou si elle 
est arrêtée, de la gêne ou de la douleur. Tout ceci 
est schématique et comporte bien des nuances et des 
réserves mais cela est exact en gros. On sait bien, 
c'est une observation courante et mille fois notée, 
qu'un léger arrêt, une légère contrariété de la tendance 
augmente le plaisir que cause sa satisfaction. Je rap- 
pelle seulement le « doux nenni avec un doux sou- 
rire » demandé par Clément Marot, et le mot de 
la dame qui regrettait qu'il n'y eût pas de péché 
mortel à prendre du chocolat. 

Ainsi cet arrêt de tendance qui se manifeste par 
la délibération dans le cas de volonté réfléchie se tra- 
duit ici par le plaisir qu'on éprouve à satisfaire un 
caprice, plaisir plus vif, en certains cas, que celui 
que donne l'activité « raisonnable». Ce plaisir est le 
remplaçant, le succédané de la délibération. Il peut 
lui-même être remplacé simplement par la conscience 
du désir et de sa satisfaction, au delà, si le désir se 
satisfait sans plaisir apparent et même sans con- 
science nette, on retombe dans l'activité automa- 
tique. 

Ainsi, l'épreuve des sentiments actuels par les 
tendances et les idées acquises est réduite dans le 
caprice à une sorte de minimum. Cela rend la déci- 



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L ÉVOLUTION DE LA VOLONTE IOI 

sion plus prompte, plus brusque. Avec quelques dif- 
férences elle est semblable à celle de la volonté 
réfléchie. Elle constitue comme celle-ci un change- 
ment d'orientation de l'âme, la fixation de l'esprit 
dans une attitude nouvelle. Elle aussi transforme 
l'esprit dans une certaine mesure, et à certains 
égards. 

Mais l'importance de la décision est ici relativement 
assez faible. Le caprice est un désir qui générale- 
ment ne joue pas dans la vie normale un rôle pré- 
pondérant. Aussi la décision, plus prompte, a-t-elle 
moins d'ampleur, elle n'est qu'une création assez se- 
condaire, une transformation de l'esprit assez peu 
grave dans la plupart des cas, et parfois insigni- 
fiante. L'unité nouvelle qu'elle accomplit manque de 
profondeur et de solidité et quoiqu'elle possède 
plusieurs des caractères essentiels de l'unité produite 
par l'activité volontaire, elle les possède à un degré 
assez faible pour en paraître parfois une caricature 
plutôt qu'une reproduction. 

Même observation à faire à propos de l'exécution. 
Elle suit généralement de très près la décision. 
Celle-ci n'a pas, en ce cas, d'influence à longue 
portée. Il faut qu'elle dirige immédiatement la con- 
duite, et que le désir soit satisfait sans retard. Sou- 
vent si quelque circonstance vient empêcher l'exé- 
cution, même de façon à la retarder simplement, 
elle ne s'accomplit jamais. Le désir disparaît, la 
décision demeure inactive, non-avenue. Mais les 
caractères généraux de la délibération sont bien ici 
tels que nous les avons vus dans l'acte de volonté en 
général. 

6. 



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102 LA VOLONTE 

§ 4- — Différences de la volition et du caprice. 
Le caprice et la personnalité. 

L'analyse qui précède suffit déjà à montrer ce 
qu'est le caprice par rapport à la volonté réfléchie. 
Les principales différences qui existent entre eux, 
dérivent des relations du caprice d'une part et de la 
volonté réfléchie de l'autre avec la personnalité. La 
volonté réfléchie est le produit, l'expression de la 
personnalité prise dans son ensemble, ou tout au 
moins, d'une grande partie de la personnalité. Le 
caprice, au contraire, n'est que l'expression d'un 
très petit élément du moi, d'une tendance parfois 
accidentelle et souvent peu solide et peu durable. Il 
n'est pas en relation systématique régulière avec un 
grand ensemble de tendances, et, au contraire, il est 
un élément relativement indépendant. 

Si ce qu'on prend pour un caprice se rattache, ce 
qui arrive, à des tendances puissantes, c'est alors au 
mode d'association des tendances qu'est due l'apparence 
capricieuse des désirs. Certaines personnes paraissent 
agir par caprice même lorsqu'elles sont raisonnables, 
parce que leur activité est irrégulière, parce que 
leurs tendances, au lieu de se satisfaire harmonieu- 
sement, se satisfont par saccades. Ces personnes pas- 
sent aisément d'un extrême à l'autre, du repos 
excessif à l'activité fébrile, de l'affection expansive à 
l'indifférence affectée, etc. Elles se rattachent sou- 
vent au type de contraste 1 . L'équilibre chez elles ne 

1. On peut voir, à ce sujet, mes Caractères. a e éd. Paris, 
Alcan, 190a. 



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l'évolution de la. volonté io3 

résulte pas de la régularité de l'activité, mais plutôt 
d'excès successifs en sens inverse. Dans ces condi- 
tions la volonté peut prendre l'apparence du caprice 
même lorsqu'elle répond à des désirs puissants et à 
des conditions importantes de la vie. (On pourrait 
étudier à ce point de vue la conduite de Musset.) 
L'activité devient alors une véritable activité volon- 
taire, et c'est surtout la forme, non les caractères 
essentiels du caprice qu'elle conserve. 

Mais si nous ne considérons que le caprice vrai 
nous pouvons retenir qu'il diffère de la volonté réflé- 
chie en ce qu'il n'est pas comme celle-ci l'expression 
de la personnalité. Toutes les autres différences déri- 
vent plus ou moins directement et plus ou moins 
simplement de celle-là. Le caprice est l'expression 
d'un élément psychique qui agit pour lui-même 
d'une manière relativement indépendante. Il arrive 
souvent à ses fins malgré l'opposition des autres 
tendances, mais grâce aussi évidemment au concours 
de quelques-unes, car il ne faut pas exagérer son iso- 
lement dans le moi, isolement qui n'est jamais com- 
plet. La personnalité dans ce cas se subordonne à une 
partie très peu importante d'elle-même, elle se laisse 
diriger, elle se laisse momentanément représenter par 
cette partie. 

Il n'en est plus de même dans le cas de la volonté 
réfléchie. Ici c'est au contraire le moi qui dirige les 
tendances inférieures au lieu de se laisser absorber 
par elles, c'est l'ensemble qui détermine l'orientation 
de la conduite et qui dirige les éléments au lieu de 
se laisser diriger par un d'entre eux. 

C'est à cette forme d'activité que l'on réserve 



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104 LA. VOLONTÉ 

assez généralement le nom de volonté. On oppose la 
force de la volonté aux caprices et l'homme qui se 
laisse diriger par ses caprices passe généralement 
pour n'être doué que d'une faible volonté. Cette 
manière de parler n'est pas sans exactitude. Un 
homme, pris dans son ensemble, considéré dans sa 
personnalité synthétique, n'a évidemment qu'une 
volonté assez faible s'il ne peut pas coordonner et au 
besoin réduire les impulsions qui naissent en lui, 
mais si l'ensemble est faible, les éléments peuvent 
être vigoureux et vouloir mieux que lui-même. 

On peut dire, en effet, qu'il y a en nous, non pas 
une volonté, mais des volontés comme il y a des 
mémoires, des intelligences et des sensibilités. C'est 
au moins un cas fréquent, et sous sa forme absolue 
l'unité de la volonté n'est jamais atteinte, pas plus 
que l'unité de la personnalité dont elle serait l'ex- 
pression, pas plus que l'unité de la mémoire, de 
l'intelligence ou de la sensibilité. 

Le caprice marque l'état le plus diviséde la volonté, 
ou, du moins, l'un des plus divisés, car on pourrait 
descendre encore plus bas, seulement les phéno- 
mènes d'activité qu'on observerait alors mériteraient 
moins encore le nom de volonté. 



§ 5. — La part de la personnalité dans le caprice. 

Au contraire, on peut encore, en s'en tendant 
bien, conserver ce nom au caprice. Nous avons vu 
que les caractères généraux de la volonté, tels que 
nous les avons reconnus, y sont encore assez appa- 



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l'évolution de la volonté io5 

rents. Il nous reste à y examiner d'un peu plus près 
le rôle de la personnalité. 

Ce rôle est assez effacé et j'ai tâché de le montrer 
tout à l'heure. Il n'est pas nul cependant. La per- 
sonnalité ne domine pas, dans l'évolution, ordinaire- 
ment courte, du caprice, mais elle n'est pas tout à 
fait absente, elle ne saurait l'être. Quand nous avons 
obéi à une impulsion passagère, quand nous l'avons 
laissée aboutir à un acte que de sérieuses raisons 
auraient pu nous empêcher de commettre, c'est bien 
dans une certaine mesure, nous, qui l'avons au moins 
laiss4 faire et qui souvent même y avons pris plaisir. 
Notre moi tel qu'il est ordinairement constitué s'est 
laissé diriger exactement comme une assemblée 
obéit parfois, par une sorte de surprise, à un ora- 
teur dont elle ne partage pas les opinions mais 
qui l'a momentanément subjuguée par son élo- 
quence, par la force de sa croyance et la vivacité de 
ses expressions. Et ce qu'elle fera dans de tels mo- 
ments sera l'œuvre du meneur bien plutôt que la 
science propre, cependant il serait inexact de dire 
qu'elle y reste absolument étrangère. Ce n'est qu'en 
prenant sa force, en empruntant, pour ainsi dire, 
son esprit et son corps que le meneur a pu aboutir 
à quelque chose, et comme une assemblée entière 
n'est jamais absolument et pour tout de l'avis de 
celui qui parle, il n'y a qu'une différence de degré 
entre les cas où ce désaccord est à son maximum et 
celui où il est à son minimum, entre les cas où dans 
l'action de l'ensemble c'est l'influence individuelle 
d'un meneur, d'un élément de l'ensemble qui se ma- 
nifeste, et ceux où c'est l'influence de plusieurs élé- 



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106 LA VOLONTÉ 

ment s, «l'un groupe de membres de plus en plus im- 
portant, enfin de tous ou de presque tous. 

Kl rie même il n'y a que des différences de degrés 
entre le caprice et la volonté réfléchie et l'on trouve- 
rail en Ire les deux bouts de la série qui va de celle- 
ri à celui-là une infinité de termes intermédiaires. 
De T indépendance des éléments aussi grande que le 
comporte la continuation de la vie psychique à la 
systématisation aussi serrée que le permet l'imper- 
fection do notre monde ou peut-être même la nature 
essentielle des choses, on peut passer à des groupe- 
ment de plus en plus considérables, et ces groupe- 
ments peuvent s'unir en systèmes de plus en plus 
larges pour arriver à la volonté qui est l'expression 
d'une personnalité maîtresse d'elle-même et de ses 
éléments. 



g 6 , — Le caprice comme forme « élémentaire » 
de la volonté. 

Ainsi, le caprice nous apparaît comme la forme 
« élémentaire » de la volonté, comme la volonté des 
éléments de l'esprit, plutôt que de l'esprit même. 

[1 Suppose, donc, en un sens, à la volonté si l'on 
ne vàtil parler que de la volonté réfléchie, mais il s'op- 
pose h celle-ci, comme une espèce d'un genre 
s'oppose i\ une autre, et ce genre commun ne peut 
guère être désigné, par opposition à l'automatisme 
et h la suggestion que par le nom de volonté. C'est 
dire que la volonté n'implique pas toujours la for- 
mai inn «Tune personnalité bien unifiée, ou plutôt la 



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L ÉVOLUTION DE LA VOLONTÉ 107 

volonté n'existe que pour les ensembles, éléments, 
tendances, personnalités, qui sont déjà solidement 
organisés. Si la personnalité elle-même est bien orga- 
nisée, la volonté sera l'expression de la personnalité 
entière, si quelques tendances seulement sont très 
bien organisées, ce sont ces tendances-là qui vou- 
dront, et si rien n'est bien solidement organisé dans 
l'esprit, ce sont les éléments, des tendances secon- 
daires, des désirs subits et passagers qui montreront 
à leur tour de la volonté. Jusqu'à un certain point 
la volonté est proportionnelle à l'organisation, elle 
en est l'expression, elle en montre précisément la 
nature et le degré. 

La première proposition n'est vraie qu'avec la res- 
triction que j'indique, car l'automatisme indique — 
toutes choses égales d'ailleurs — une organisation 
encore supérieure à celle de la volonté. Mais la vo- 
lonté implique déjà une organisation assez avancée. 

L'activité capricieuse, quand elle se généralise, 
correspond à cet état de l'esprit où les grandes coordi- 
nations ne sont pas encore faites ou ont déjà dis- 
paru, mais où les éléments conservent, ou ont déjà 
acquis une assez bonne organisation, suffisante au 
moins pour diriger un moment l'activité, quoique 
parfois assez faible encore si on la compare aux 
tendances tenaces et fortes que montrent certains 
esprits. 



§ 7. — Le caprice et ses formes pathologiques. 
Nous prendrons une idée des formes inférieures 



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îo8 LA VOLONTÉ 

de la volonté et des types psychologiques que déter- 
mine leur prépondérance par l'examen de certains cas 
pathologiques. Les hystériques ont été souvent citées 
comme exemple d'incohérence mentale et les auteurs 
semblent bien s'entendre sur les faits eux-mêmes, 
sinon toujours sur leur interprétation. Legr\nd du 
Saulle montre les hystériques s'abandonnant à des 
impulsions de nature très différente selon les cas, 
mais ne montrant toujours qu'une activité variable, 
capricieuse, « élémentaire », sans suite et sans pro- 
fondeur, qu'elle simule la vertu ou le vice. « Qu'une 
famille soit frappée dans son honneur, dans ses 
espérances les mieux fondées, dans sa fortune, 
dans son repos et dans son bonheur, et l'hys- 
térique charitable, en pénétrant dans le milieu 
désolé, aura des élans surprenants et des sponta- 
néités émouvantes. Elle pleurera avec celui-ci, 
séchera les larmes de celui-là, réconfortera les plus 
accablés, ouvrira des horizons inattendus à tout le 
monde. A la façon d'un apôtre elle pare d'autant 
mieux aux douleurs d'autrui que ces douleurs sont 
plus poignantes. Vienne le calme et elle s'éteindra 
presque aussitôt. Essentiellement mobile et paroX 
mystique, elle n'est point bienfaisante à froid. La 
vertu véritable se reconnaît, au contraire, à des 
signes absolument opposés à ceux qui viennent d'être 
décrits. Le diagnostic différentiel est facile à établir. 
« L'hystérique charitable est susceptible d'accom- 
plir des traits de courage qui sont cités et répétés et 
qui deviennent même légendaires. Qu'un incendie 
éclate et elle pourra faire preuve d'une présence d'es- 
prit tout à fait supérieure, donnera des conseils 



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L 



l'évolution de la volonté 109 

excellents, fera mettre à l'abri les objets mobiliers et 
les bestiaux, ou se précipitera au milieu des flammes 
pour sauver un infirme, un vieillard ou un enfant. 
Qu'une insurrection se lève et attaque un édifice 
communal ou une caisse publique, et une névropa- 
the, dans un élan tout pathologique, en imposera, 
les armes à la main, à une troupe de révoltés. Cela 
s'est vu. Que des inondations surprennent tout à 
coup une localité, et une femme pourra déployer la 
bravoure la plus secourable. 

« Au lendemain de l'incendie, de l'insurrection ou 
de l'inondation, si l'on examine et si l'on interroge 
ces héroïnes, on les trouve complètement accablées 3jj 

et quelques-unes disent avec candeur : « Je ne 
sais pas ce que j'ai fait, je n'ai pas eu conscience du 
danger. » 

Même absence de sérieux dans le vice, Nulle part 
on ne voit la volonté réfléchie et la coordination 
complexe des tendances, la profondeur des désirs, 
c'est-à-dire leur durable et solide attache à la person- 
nalité entière. «... L'hystérique peut spontanément 
présenter une surexcitation des organes génitaux qui 
la pousse à rechercher les rapports sexuels. Mais le 
fait est beaucoup moins fréquent qu'on ne l'a cru, il 
ne faut pas l'oublier. D'ailleurs, dans ce cas, les appé- 
tits sensuels ne sont jamais aussi impérieux que dans 
la nymphomanie vraie. Nous dirons volontiers qu'il 
s'agit là d'une pseudo-nymphomanie, mobile dans 
ses désirs et ses penchants comme elle l'est dans ses 
goûts, ses affections et son humeur. L'hystérique se 
jettera aujourd'hui dans les bras d'un amant, avec la 
même ardeur, souvent plus apparente que réelle, 
Paulhan. 7 

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à 



ÎIO LA VOLONTÉ 

qu'elle mettra demain à s'abîmer dans la contempla- 
tion, la mélancolie ou la prière ; mais comme tout 
est différent ici de cette fixité d'idées, de cette conti- 
nuelle obsession des mêmes désirs impérieux et 
ardents qui caractérisent le délire systématisé de la 
nymphomanie 1 ! » 

Et j'emprunte aussi à M. Ribot quelques lignes 
où le genre de vouloir des hystériques, le « règne des 
caprices », comme dit M. Ribot, est très nettement 
décrit. Elles sont « tour à tour douces et empor- 
tées, ditMoREAu (de Tours), bienfaisantes et cruelles, 
impressionnables à l'excès, rarement maîtresses de 
leur premier mouvement, incapables de résister à des 
impulsions de la nature la plus opposée, présentant 
un défaut d'équilibre entre les facultés morales supé- 
rieures, la volonté, la conscience, et les facultés 
inférieures, instincts, passions et désirs. 

« Cette extrême mobilité dans leur état d'esprit et 
leurs dispositions affectives, cette instabilité de leur 
caractère, ce défaut de fixité, cette absence de stabi- 
lité dans leurs idées et leurs volitions, rendent compte 
de l'impossibilité où elles se trouvent de porter long- 
temps leur attention sur une lecture, une étude ou 
un travail quelconque. 

« Tous ces changements se reproduisent avec la 
plus grande rapidité. Chez elles, les impulsions ne 
sont pas, comme chez les épileptiques, privées abso- 
lument du contrôle de l'intelligence ; mais elles sont 
vivement suivies de l'acte. C'est ce qui explique ces 



i. Legrand du Saulle, Les Hystériques. Paris, J.-B. Baillière, 
i883. 



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l'évolution de la volonté 



îlt 



mouvements subits de colère et d'indignation, ces 
enthousiasmes irréfléchis, ces affolements de déses- 
poir, ces explosions de gaieté folle, ces grands élans 
d'affection, ces attendrissements rapides, ou ces brus- 
ques emportements pendant lesquels, agissant comme 
des enfants gâtés, elles trépignent du pied, brisent les 
meubles, éprouvent un besoin irrésistible de frapper. 

« Les hystériques s'agitent, et les passions les 
mènent. Toutes les diverses modalités de leur carac- 
tère, de leur état mental, peuvent presque se résumer 
dans ces mots : elles ne savent pas, elles ne peuvent 
pas, elles ne veulent pas vouloir. C'est bien, en 
effet, parce que leur volonté est toujours chance- 
lante et défaillante, c'est parce qu'elle est sans cesse 
dans un état d'équilibre instable, c'est parce qu'elle 
tourne au moindre vent comme la girouette sur nos 
toits, c'est pour toutes ces raisons que les hystéri- 
ques ont cette mobilité, cette inconsistance et cette 
mutabilité dans leurs désirs, dans leurs idées et leurs 
affections i . » 

M. Ribot, commentant cette description, ajoute 
que dans cet état mental, « il n'y a plus que des 
caprices, tout au plus des velléités, une ébauche in- 
forme de volition * ». Cela est très vrai si l'on 
considère l'individu dans son ensemble. On ne trouve 
plus, ici, cette unité de la personnalité qui fait de la 
volonté l'expression d'un moi solide et permanent. 
Celle-ci n'est plus guère que le résultat et le signe de 

i. Axenfeld et Huchard, Traité des névroses, 2 e édition, i883, 
p. 958-971. Cité par Th. Ribot, Les Maladies de la volonté, 
p. Ii4-n5. 

a. Ribot, ouvr. cité, p. 117. 



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IÎ2 LA VOLONTE 

l'activité indépendante d'éléments psychiques, de 
désirs et d'idées variables et mouvants. 



§8. 

Voilà ? à peu près, quelle est la forme inférieure, 
or élémentaire» de la volonté. De cette forme à la com- 
plète maîtrise de soi, à la volonté une, expression d'un 
esprit bien organisé la distance est grande et les 
intermédiaires nombreux. Nous pourrions ranger 
parmi ceux-ci et étudier successivement, comme je 
j'ai fait ailleurs, les impulsifs, les composés, etc. *. 
On y verrait la volonté devenir l'expression d'une 
tendance de plus en plus forte et de mieux en 
mieux organisée, de désirs plus soutenus, de grou- 
pes de tendances plus compacts, de croyances plus 
stables et plus vigoureuses. En même temps la 
personnalité s'organise et prend part de plus en 
plus à toutes les volitions, celles-ci sont de moins en 
j nui us indépendantes et de plus en plus rattachées à 
un ensemble systématisé, dirigées, ou tout au moins 
contrôlées par lui. On marche ainsi vers un état où 
toutes les tendances seraient harmonisées, et cons- 
tamment contrôlées et dirigées les unes par les autres 
où chaque acte engagerait l'organisme entier étroite- 
ment solidaire de chacune de ses parties et de leur 
activité, si minime fût-elle. 

Au reste il ne faut pas se figurer tous ces états 
divers comme forcément séparés les uns des autres. 

i. Voir qic s Caractères. 



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"Tgnr^vv. 



l'évolution de la: volonté ii3 

Ils se rencontrent fréquemment chez la même per- 
sonne. Si la personnalité n'est pas nulle chez les hys- 
tériques, elle n'est pas parfaite chez les esprits les 
plus équilibrés. Il n'est point d'homme si maître de 
soi qu'il ne puisse, à un moment donné, avoir un 
caprice, laisser agir des désirs qui s'insurgent et veu- 
lent recouvrer leur indépendance. Seulement tout cela 
peut être vite réprimé. 

Sans nous attacher à reconstituer ici la série des 
types possibles, nous allons examiner maintenant le 
mode de volonté le plus opposé à celui que nous 
venons de voir, au caprice. Nous allons étudier la 
maîtrise- de soi, le pouvoir personnel sous ses formes 
les plus hautes. Il sera plus facile, peut-être, après 
avoir vu les deux états extrêmes de la volonté, d'en 
comprendre les formes intermédiaires. 



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CHAPITRE VII 

L'ÉVOLUTION DE LA VOLONTÉ. DES CAPRICES 
AU POUVOIR PERSONNEL 

Il - LE POUVOIR PERSONNEL ET LA MAITRISE DE SOI 

£ i . — Définition sommaire du pouvoir personnel. 

Le fi pouvoir personnel » qui s'oppose nettement à 
l;i i h uni nation des caprices a été assez peu étudié par 
les psychologues de l'école expérimentale. C'est, en 
n \;mrhr, la forme de volonté dont parlaient le plus 
\o|onlirrs les psychologues de l'école philosophique 
spi rit nu liste. C'est à eux que nous en demanderons une 
première description qui sera notre point de départ, 
mais i\ laquelle nous ne nous en tiendrons pas. Cette 
description, en effet, s'applique à un fait certainement 
réel cl qui a sans doute été depuis longtemps trop 
négligé, niais elle est incomplète au point de vue de 
l'analyse et trop excessive dans sa forme générale. 

Voici rnmment Jouffroy définit le pouvoir person- 
nel : ë ( V qui distingue une chose d'une autre, dit-il, 
<"i-< < pi Vile a des propriétés ou des capacités naturelles 
(lillrivrilrs: l'homme, ayant des capacités spéciales, 
rst ;< ce litre, comme toutes les choses possibles, un 



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l'évolution de la volonté ii5 

être d'une espèce particulière et qui mérite un nom 
particulier. Mais, indépendamment de cette spécialité 
de nature qui lui est commune avec tputes les choses 
du monde, car toutes les choses du monde ont leur 
nature spéciale, il jouit d'un privilège tout particulier 
et qui le sort de la foule, c'est celui de pouvoir dis- 
poser de ses capacités naturelles. Il a non seulement 
des capacités spéciales comme chaque chose en a et 
par exemple celles de penser, de se souvenir, de se 
mouvoir, mais, de plus, il gouverne ses capacités, 
c'est-à-dire qu'il les tient dans sa main et s'en sert 
comme il veut. Ainsi il se meut comme il veut, il 
dirige sa mémoire, il applique sa pensée où il veut ; 
en un mot, il est maître de lui et des capacités qui 
sont en lui . Or, il n'en est pas ainsi dans les choses : 
elles ont aussi des capacités naturelles, mais il n'y a 
point en elles de pouvoir autonome, qui s'approprie 
ces capacités et qui les gouverne. Ainsi, l'arbre a 
beaucoup de capacités naturelles, mais elles se déve- 
loppent en lui sans sa participation ; ce n'est pas lui 
qui les dirige, c'est la nature, elles existent en lui, 
elles opèrent en lui, mais elles ne lui appartiennent 
pas et ce qu'elles produisent ne saurait lui être attribué. 

a Le pouvoir que l'homme a de s'emparer de ces 
capacités naturelles et de les diriger fait de lui une 
personne et c'est parce que les choses n'exercent pas 
ce pouvoir en elles-mêmes qu'elles ne sont que des 
choses... » 

« De l'existence du pouvoir personnel dans l'homme 
et de son absence dans les choses résulte une différence 
entre les capacités naturelles de l'homme et celles des 
choses. En effet, nous régnons sur nos capacités natu- 



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Il6 LA. VOLONTÉ 

relies et nous nous en servons, tandis que les choses 
ne disposent pas des leurs et ne s'en servent pas... La 
capacité de marcher ne serait en nous qu'une simpje 
propriété comme celle de sécréter la bile, si nous n'a- 
vions pas le pouvoir de marcher ou de ne pas marcher, 
de marcher vite ou lentement, à droite ou à gauche 
selon notre volonté. Mais comme nous gouvernons 
cette capacité naturelle, elle devient en nous une faculté. 
Telle est la véritable force de ce mot. Si donc, pour le 
dire en passant, nous n'étions, comme le prétendent 
quelques physiologistes et même quelques philosophes, 
qu'une espèce d'alambic où les idées, les images, les 
souvenirs, les déterminations et les actes se distillent 
sous l'influence d'une excitation extérieure, il faudrait 
commencer par réformer la langue qui consacrerait 
de vaines distinctions entre des choses identiques... » 

Je ne relèverai pas maintenant les assertions contes- 
tables ou erronées que renferme ce morceau. Je l'ai 
dit ailleurs et je le pense toujours : « il y aurait beau- 
coup à critiquer ou à interpréter dans la description 
de Jouffroy, on ne peut nier qu'elle se rapporte à un 
fait réel et qu'elle en donne une idée exacte. Il est vrai 
qu'il y a une différence entre voir et regarder, entre 
réfléchir et rêver, entre l'automatisme et la volonté : 
quelle est la nature de cette différence 1 ? » 

Nous le verrons en analysant les faits et nous com- 
prendrons, sans que j'aie sans doute besoin de le dire 
expressément, ce qu'il y a d'erroné dans certaines 
affirmations de Jouffroy et en même temps quelles 
sont les apparences qui ont pu le tromper et comment 

I. L'activité mentale, p. 159-160. 



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-W *'- 



l'évolution de la volonté 117 

il faut les interpréter. On peut apercevoir, dans le pas- 
sage que j'ai cité, à travers les interprétations de Jouf- 
froy, les deux grands éléments de l'activité qui prend 
la forme volontaire, l'automatisme d'une part, et, de 
l'autre, l'impuissance de cet automatisme et le jeu 
relativement indépendant des éléments. On peut y 
retrouver cette vérité que la volonté est une systéma- 
tisation nouvelle, encore assez éloignée de la perfection. 
Mais l'analyse des faits doit nous renseigner sur la 
nature et les tendances du pouvoir volontaire et nous 
permettre de rectifier et de compléter les idées de 
Jouffroy. 



§ 2. — Analyse du pouvoir personnel. 

Nous pouvons, pour notre analyse, prendre le fait 
mentionné par Jouffroy, celui de la marche. Nous 
devons y voir nettement dans quel sens et jusqu'à 
quel point on peut dire que « nous régnons sur nos 
capacités naturelles et nous nous en servons, tandis 
que les choses ne disposent pas des leurs et ne s'en 
servent pas » . 

a La capacité de marcher, dit Jouffroy, ne serait 
en nous qu'une simple propriété, comme celle de 
sécréter la bile, si nous n'avions le pouvoir de mar- 
cher ou de ne pas marcher, de marcher vite ou len- 
tement, à gauche ou à droite selon notre volonté. 
Mais comme nous gouvernons cette capacité naturelle, 
elle devient en nous une faculté. Telle est la véritable 
force de ce mot. » 

Il est incontestable que, d'une manière générale, 



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Il8 LA VOLONTÉ 

l'homme normal peut marcher selon son désir et selon 
sa volonté réfléchie. Ce pouvoir se retrouve encore à 
des degrés affaiblis chez l'animal et un pouvoir ana- 
logue n'est peut-être pas aussi nul chez le végétal que 
le dit Jouffroy, mais il n'est pas douteux qu'il y soit 
bien moins visible et bien moins" développé que dans 
l'homme. Qu'est-ce donc que ce « pouvoir personnel » 
et de quel état des phénomènes est-il l'indice ? 

Trois grands faits semblent surtout indiqués par 
lui : la complication des systèmes dans l'être vivant et 
le choix qu'elle nécessite, l'imperfection de l'automa- 
tisme et enfin la formation d'un système général de 
tendances qui est à peu près ce que nous entendons 
par la personnalité et qui supplée aux défauts de l'ac- 
tivité automatique. 

Je puis marcher ou non, aller à droite ou à gauche, 
vite ou lentement selon mon désir. C'est-à-dire que 
les différents éléments de la marche peuvent se modifier 
selon le besoin que j'en ai et se systématiser ainsi avec- 
des désirs très différents et même opposés. Sortant de 
chez moi, je puis remonter ma rue si j'ai décidé de 
marcher vers l'Observatoire ou la descendre si je veux 
aller vers la Seine. Il y a là une adaptation remarquable 
des moyens à la fin, une souplesse qui ne se trouve 
pas en général au même degré dans les fonctions 
organiques et qui disparaît à peu près complètement 
dans la manifestation des propriétés purement phy- 
siques. Cette systématisation précise et variable des 
différents phénomènes qui constituent l'activité est 
une des caractéristiques du pouvoir personnel. 

Cette complexité impose naturellement un choix. 
Tous les possibles ne peuvent se réaliser parce qu'ils 



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L ÉVOLUTION DE LA VOLONTE 1 1 9 

ne s'adaptent pas au désir le plus fort au à celui 
que la personnalité fait dominer à un moment 
donné. Ou, si l'on désire plus de rigueur dans les 
termes, tous les possibles abstraits ne sont pas réelle- 
ment possibles dans certaines circonstances données 
et la manifestation de la possibilité ne s'obtient parfois 
que par un long tâtonnement. Je demande encore ici 
la permission de reproduire un passage de mon 
Activité mentale où j'ai analysé le choix du pouvoir 
personnel : « Je puis marcher plus ou moins vite. Il 
arrive que je marche plus ou moins vite sans m'en 
rendre compte, sans que la volonté intervienne, parce 
que l'air est plus vif, parce que le temps est lourd, 
mais aussi je puis prendre une allure déterminée après 
une délibération raisonnée. Je me dispose à prendre 
le train, je suis à deux kilomètres de la gare, je dois 
aller à pied et j'ai vingt minutes devant moi, je puis 
hésiter pour savoir si je dois retourner et continuer 
ma route et si je prends ce dernier parti, je sens qu'il 
me faut aller au pas de six kilomètres à l'heure envi- 
ronne connais à peu près les impressions musculaires 
et autres que fait naître cette allure ou une allure plus 
rapide et je les suscite volontairement. Nous avons ici 
un exemple de l'activité du pouvoir personnel qui 
peut servir de type. En quoi consiste au juste cette 
activité ? 

« Elle consiste en ceci que le nouveau fait psychique 
qui tend à s'établir a été mis successivement en rela- 
tion avec un grand nombre de tendances et que ces 
tendances, soit séparément, soit réunies, ont essayé 
de se l'assimiler, l'ont éprouvé pour voir s'il pouvait 
entrer comme élément dans un système coordonné 



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120 LA VOLONTÉ 

dont elles feraient partie. L'allure que je devais prendre 
a fin être représentée comme devant amener une cer- 
taine fatigue, d'un autre côté l'intérêt que je puis avoir 
à ne pas retarder mon voyage et par suite mon arrivée 
;i du se présenter à l'esprit et servir à apprécier la 
\ àleuj de la considération précédente, mes dispositions 
personnelles à ce moment-là, l'état de fatigue ou de 
repos de mes muscles, la température, la qualité de 
la rau te, tout cela a pu être évalué ; d'un autre côté, 
l'idée des personnes qui m'attendent a dû se présenter 
aussi. Une grande quantité d'éléments psychiques sont 
j<insî mis en activité, ils doivent s'harmoniser, se coor- 
ilnnner d'une certaine façon, de manière à produire 
snil l'arrêt ou le retour, soit la marche en avant. Il y 
u une sorte d'essai de divers systèmes psychiques, 
rliiicun tendant à s'imposer jusqu'à ce que tous se soient 
<-'''Mi|>lètement ou à peu près réunis pour déterminer 
une manière d'être définitive. Le pouvoir personnel 
consiste ici dans cet essai, fait par un certain nombre 
âv tendances, d'un nouveau phénomène qui tend à 
*Y(ablir dans l'esprit. Il s'oppose à l'automatisme en 
i t que celui-ci se produit quand il n'y a pas éveil de 
srnfirnents et d'idées complexes, quand, par exemple, 
mie personne craint d'être en retard et se met à courir 
suis que l'idée des inconvénients possibles de la course, 
- %i elle a une santé générale délicate ou une maladie 
organique particulière, — se présente à elle, sans qu'il 
i ihlisse une sorte d'épreuve de la tendance mise en 
activité par les autres tendances de l'organisme et la 
['m me même de leur association 1 . » 

p L'Activité mentale, p. 160-161. 



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l'évolution de la VOLONTÉ 121 

Cette complexité dans les possibilités de phéno- 
mènes, dans les sentiments éveillés, dans les rap- 
ports des uns avec les autres sont assez caractéris- 
tiques du pouvoir personnel. Pour que celui-ci se 
manifeste, il faut qu'il y ait hésitation entre plusieurs 
partis à prendre, qu'il y ait plusieurs désirs plus ou 
moins éveillés et qui ne peuvent se satisfaire à la fois. 
Cela saute aux yeux quand on compare le pouvoir 
personnel à l'automatisme et même quand on le com- 
pare au caprice. Dans le caprice en général la déli- 
bération est moindre, le choix moins hésitant. Cepen- 
dant cela n'est pas absolu et ce n'est pas là qu'il faut 
chercher la principale différence entre l'activité volon- 
taire capricieuse et l'activité volontaire réfléchie. 



§ 3. — Le pouvoir personnel et les imperfections de 
V automatisme. 

Selon notre désir, notre activité prend telle ou 
telle forme et telle ou telle voie. A chaque instant la 
fin que nous poursuivons détermine notre choix. 
Mais dans l'activité automatique, ce choix se fait spon- 
tanément, sans réflexion. Dans l'activité volontaire, 
au contraire, la spontanéité reste impuissante, au 
moins pour un temps. Nos désirs se combattent et 
s'équilibrent, ou bien ils ne sont pas encore assez fer- 
mes, assez solides pour déterminer des actes. Dans un 
cas comme dans l'autre, l'activité s'arrête. Nous avons 
déjà examiné ces deux cas pour distinguer l'automa- 
tisme de la volonté. Je n'y reviens pas ici, je les 
signale seulement comme se présentant nettement 



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122 LA VOLONTÉ 

dans les manifestations du pouvoir personnel, qui sont, 
à certains égards, la forme la plus accusée de la vo- 
lonté. Le moi doit intervenir pour décider si je vais 
continuer à marcher afin de prendre le train ou me 
retourner, c'est que mes désirs spontanés ne suffisent 
pas à régler ma conduite. Dans l'exemple que j'ai pris 
tout à l'heure, ils sont à peu près équilibrés. Si au con- 
traire il était un quart d'heure plus tard ou un quart 
d'heure plus tôt, si je découvrais tout à coup que ma 
montre est en retard ou en avance, l'automatisme du 
désir suffirait soit à me faire retourner dans le premier 
cas, soit à me faire poursuivre ma route dans le second. 
Mais les désirs ne sont pas naturellement assez bien sys- 
tématisés pour abou tir à l'acte sans heurt et sans trouble, 
quand il n'y a entre eux que de petites différences d'in- 
tensité ou que les conditions de leur satisfaction sont 
un peu mêlées et compliquées. Chacun d'eux éveille 
alors par association systématique un certain nombre 
d'impressions, d'idées, de sentiments, qui peuvent 
s'harmoniser avec lui et tendre à déterminer l'acte 
dans le sens indiqué par lui, et la délibération, plus 
ou moins longue, plus ou moins compliquée, s'im- 
pose. 

La volonté doit venir forcément renforcer l'auto- 
matisme inefficace. Mais, on le voit, si la compli- 
cation est une cause d'intervention de la volonté, si 
elle caractérise souvent les actes du pouvoir per- 
sonnel, il n'est pas absolument nécessaire qu'il en 
soit ainsi. En fait, un acte compliqué peut, s'il est 
devenu assez habituel, s'effectuer automatiquement 
et un acte relativement simple peut exiger l'inter- 
vention de la volonté, s'il est accompli pour la pre- 



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l'évolution de LA VOLONTÉ 123 

mière fois. Seulement il y a deux remarques à faire. 
Relativement , et toutes choses égales d'ailleurs, un 
acte accompli par la volonté est plus compliqué que le 
même acte automatiquement accompli. Il suffit, pour 
le voir, de se rappeler que l'intervention du pouvoir 
volontaire suppose soit un conflit de désirs, c'est-à- 
dire l'existence du désir qui l'emportera et d'un ou de 
plusieurs autres, soit une imperfection du désir, c'est-à- 
dire un état moins unifié de l'esprit, un état d'ébauche 
vague qui contient en général des éléments discor- 
dants, et que, en outre, la volonté, par la délibération, 
complique forcément l'état psychologique. D'autre 
part, il est assez naturel que les actes les plus simples 
deviennent plus facilement habituels et automatiques 
que les actes les plus compliqués. Dans tous les cas, 
la complication fait par conséquent présumer cette 
impuissance de l'activité spontanée, qui est une 
des conditions de l'intervention du pouvoir per- 
sonnel. 



§ 4- — Le pouvoir personnel et le caprice. 

Le choix conscient devient donc nécessaire, par 
suite de l'impuissance de l'automatisme. Mais com- 
ment ce choix se fera-t-il ? C'est ici que nous trou- 
vons la grande différence, différence qui admet d'ail- 
leurs tous les intermédiaires possibles, entre le règne 
des caprices et le pouvoir personnel. 

Ce choix peut se faire, après une courte délibé- 
ration, ou plutôt après une certaine hésitation, par le 
triomphe de l'activité relativement indépendante d'un 



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124 LA VOLONTÉ 

des désirs en présence. Par exemple, toujours en nous 
tenant au même cas, l'idée du plaisir que j'aurai à 
revoir telle ou telle personne, se présente tout à coup 
si vivement à moi que mon hésitation cesse, je cours 
vers la gare et, faute d'avoir assez réfléchi au temps qui 
me restait effectivement, ou faute d'avoir justement 
apprécié celui qui m'était nécessaire, j'arrive après le 
départ du train. C'est là un exemple d'activité capri- 
cieuse, une manifestation inférieure de la volonté. Un 
désir est intervenu vivement et a fait cesser la délibé- 
ration sans avoir été suffisamment éprouvé. (Ce qui, 
dans l'exemple que j'ai pris, peut servir de circonstance 
explicative et atténuante, c'est qu'une trop longue ré- 
flexion pourrait m'amener à manquer aussi le train, 
mais il serait facile de trouver d'autres exemples où la 
même circonstance n'interviendrait point, et d'ail- 
leurs il n'est point toujours impossible d'apprécier 
vite et d'une manière suffisamment complète une 
situation). 

J'ai donné tout à l'heure un assez grand dévelop- 
pement à l'examen des caprices pour ne pas avoir à 
y revenir longuement. Nous avons vu que le rôle du 
moi y était très effacé. Le moi assistait simplement 
au jeu des éléments psychiques, ou bien il se laissait 
entraîner par l'un d'eux qu'une circonstance spéciale 
ou un ensemble particulier de circonstances faisait 
momentanément triompher. Il est un mot qui revient 
assez souvent dans la bouche de ceux dont le pouvoir 
personnel est faible, et ne peut triompher du jeu 
indépendant des éléments. Ils disent volontiers : 
« Cela à été plus fort que moi, je n'ai pas pu 
résister à mon envie. » Ce mot nous montre bien 



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l'évolution DE LA VOLONTÉ 125 

clairement l'opposition du premier personnel au ca- 
price. Dans le premier, le moi est le plus fort et di- 
rige les actes, dans le second, il est complice ou vic- 
time. 

Il est complice ou victime, en effet, et souvent les 
deux en même temps toutes les fois qu'il consent à ce 
qu'un désir l'emporte quand il est en opposition avec 
l'ensemble des tendances qui constitue le moi, ce qui 
est la définition même du caprice. Sacrifier sa santé 
pour un plaisir d'un moment (à moins qu'on n'ait 
le désir de se tuer), laisser perdre sans réflexion, en 
un instant d'égarement, le bénéfice d'une longue vie 
d'honnêteté, voilà des faits pris au hasard et qu'on 
peut réaliser de bien des façons, qui montrent le 
mécanisme essentiel du caprice, et le rôle sacrifié 
de la personnalité. Quand le pouvoir personnel 
est fort, au contraire, c'est le moi qui dirige toute 
l'activité, et il peut se tromper ou faire le mal, mais 
ce n'est point alors par irréflexion ou par étourderie, 
c'est parce que le mal qu'il commet ou l'erreur qu'il 
adopte expriment bien sa réalité propre et le fond 
même de sa nature. Il se traduit par elles, et si l'acte 
est mauvais, c'est que le moi est mauvais. Dans l'ac- 
tivité capricieuse, au contraire, il arrive qu'un acte 
bon soit accompli inconsidérément par une mau- 
vaise personnalité et qu'un acte blâmable échappe 
à une personnalité d'ailleurs bonne. L'acte n'est 
ici qu'une expression très partielle et très incom- 
plète de la personnalité qui le commet, il n'en 
représente guère qu'un élément et l'on commettrait 
une erreur grave en jugeant l'ensemble d'après 
lui. 



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12 fi LA VOLONTÉ 



§ 5. — Le moi et son action. 

11 nous reste à examiner le rôle que joue le moi 
dans la volonté réfléchie, c'est-à-dire ce qu'il y a au 
jii>-lç de « personnel » dans le pouvoir personnel 1 . 
« L:l personnalité consiste essentiellement dans l'en- 
h inble des tendances réunies et associées d'après 
q iniques principes généraux, c'est un système plus 
ou moins bien coordonné de tendances, c'est-à-dire de 
phénomènes psychiques de toute sorte. Or, il est assez 
naturel que l'on appelle « personnel » un acte, une 
croyance où la personne entière est intéressée, où la 
P'i sonne entière a pris part, c'est-à-dire un acte ou 
une croyance qui a été éprouvée par toutes les ten- 
dances qui entrent dans la personnalité ou au moins 
par le plus grand nombre des plus importantes d'entre 
elfes. Il est quelquefois des actes, des théories, qui 
semblent d'abord s'imposer à nous, qui s'adaptent 
merveilleusement à certaines parties de notre person- 
nalité et les éveillent rapidement, risquant, si d'autres 
tendances n'interviennent pas, de faire adopter des 
Idvus fausses, de faire accomplir des actes nuisibles 
ou coupables. » C'est là ce que nous avons étudié 
su us le nom de caprice. « En ce sens le premier mou- 
vcmettt est souvent le mauvais — en effet, une idée 
lend facilement à n'éveiller dans l'esprit que ce qui 
rst favorable à son admission définitive — mais si 



r Je crois pouvoir emprunter encore quelques pages à mon 
livre Y Activité mentale, n'ajant rien d'important à modifier dans 
I analyse que j'y donnais du pouvoir personnel. 



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l'évolution de la volonté 127 

l'esprit est bien organisé, si l'assimilation de la nou- 
velle impression ne se fait pas trop vite, d'autres ten- 
dances latentes, indirectement ou directement froissées 
par le nouveau phénomène, entreront en activité et 
jugeront à leur tour la nouvelle idée. Nous n'avons à 
nous occuper ici que de celles qui s'éveillent selon la 
loi d'association systématique, mais un certain nom- 
bre prennent la forme du contraste. Dans un esprit bien 
équilibré, dont la personnalité est fortement consti- 
tuée, c'est-à-dire chez lequel les diverses tendances sont 
suffisamment solidaires les unes des autres et assez étroi- 
tement reliées entre elles selon une loi d'association sys- 
tématique, une tendance ne peut entrer en activité sans 
que les autres tendances ne s'éveillent faiblement, mais 
assez pour pouvoir entrer complètement en activité 
si le besoin s'en fait sentir, c'est-à-dire encore selon 
la loi d'association systématique. Le pouvoir person- 
nel se réduit donc à un mode particulier de la finalité 
de l'esprit — celui où toutes les tendances de l'orga- 
nisme, ou au- moins les principales, sont en connexion 
assez étroite pour que l'activité de l'une éveille fai- 
blement d'abord, et surtout éveille complètement s'il 
le faut l'activité des autres, afin que nulle nouvelle 
tendance, nulle croyance, nulle théorie nouvelle, ne 
puisse s'établir dans l'esprit qui ne soit susceptible de 
s'accommoder au moins aux plus importantes des 
tendances acquises et à l'ensemble qu'elles forment, 
c'est-à-dire à la personnalité. 

« Ce qui précède nous permet aussi de comprendre 
comment le moi semble s'isoler de ses états, se tenir 
à part comme un être qui persiste, tandis que ses 
états paraissent et disparaissent tour à tour, qui juge, 



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128 LA VOLONTÉ 

qui choisît, qui décide. Il en est réellement ainsi, il 
y a bien un moi qui persiste et qui agit, mais ce 
n'est pas dans une substance métaphysique qu'il faut 
chercher sa réalité. Cette collection systématisée de 
tendances, qui s'éveille faiblement ou fortement cha- 
que ibis qu'un, phénomène important se produit, qui 
reste sensiblement là même pendant un temps très 
long, car les tendances ne varient pas très vite, ni 
surtout Tordre dans lequel elles sont coordonnées, 
nous finissons par les reconnaître, par les considérer 
à part, par les regarder comme un tout naturel et 
indivisible — et, en effet, nous les vojons agir géné- 
ralement dans le même sens, et elles sont bien réel- 
lement, h certains égards, abstraites des phénomènes 
particuliers qui peuvent en certains cas les compléter. 
Si jai h juger une théorie psychologique, je n'ai pas 
en généra) besoin de faire revivre en moi tout ce que 
je sais de psychologie ; les tendances qui correspon- 
dent a des faits souvent répétés, souvent organisés, 
s'éveillent d'une manière abstraite, je sens qu'elles 
s'accordent ou ne s'accordent pas avec la nouvelle 
théorie qui m'est proposée. Si, par exemple, on me 
dit que tout fait psychique est comme tel parfaite- 
ment connu par le sens intime, je sens immédiatement 
que celte idée ne s'accorde nullement avec mes opinions 
— et sans doute je puis, si je veux, me développer 
tous les motifs que j'ai de croire que ce désaccord 
existe réellement et aussi toutes les raisons qui me 
font trouver mon opinion bonne, mais si mes opi- 
nions sont snflisamment formées, je n'en ai pas be- 
soin, — il se peut que je le fasse par scrupule de 
conscience , mais immédiatement je sais que je ne 



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r 



L'ÉVOLUTION DE LA. VOLONTÉ I2Q 

pense pas comme mon interlocuteur et que j'ai 
des raisons pour ne pas penser ainsi, et même, 
je le sais sans me le dire, sans le formuler comme je 
viens de le faire. Mon esprit rejette la nouvelle pensée, 
et l'état de conscience qui se manifeste alors est un 
état abstrait, contenant implicitement, mais non ex- 
plicitement, tout ce que je viens de dire que j'en puis 
tirer. Toutes les tendances qui sont en nous suffisam- 
ment organisées sont susceptibles de se manifester 
ainsi et de manifester ainsi leur coordination par des 
états abstraits, par l'éveil seulement de quelques-uns 
de leurs éléments, sans que les faits qui les ont cons- 
titués, les images, les perceptions, les idées nom- 
breuses qui relèvent d'elles à quelque degré, aient à 
entrer sur la scène de l'esprit — mais elles se mani- 
festent par un état de conscience que nous connais- 
sons bien — ce qui équivaut à dire que cet état s'as- 
socie à certaines idées. 11 en résulte que l'ensemble 
de ces tendances souvent éveillées d'une manière 
abstraite nous est connu comme se manifestant à la 
conscience d'une certaine façon ; l'état de conscience 
ainsi suscité pendant la réflexion, la volonté et en 
général pendant tous les actes du « pouvoir per- 
sonnel » , c'est à peu près ce qui correspond au sens 
du moi. Ce sens du moi est ainsi en action dans 
les actes volontaires et réfléchis, ce qui justifie encore 
le nom du pouvoir personnel, mais jusqu'à un certain 
point seulement, car ce sens du moi n'est qu'un 
phénomène accompagnant le jeu des tendances dans 
les conditions que je viens d'indiquer, et d'autre part 
il est loin de constituer la personnalité dont, comme 
nous le voyons, il n'est qu'une sorte de représentation 



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l3û LA VOLONTÉ 

abstraite, correspondant à l'éveil coordonné de quel- 
ques-uns des éléments des tendances dont la réunion ' 
constitue le moi. 

« Toutefois, s'il ne constitue pas la personnalité, 
il la représente et il la représente d'une manière effi- 
cace, car ce simple éveil d'éléments abstraits et coor- 
donnés suffit pour déterminer l'adoption ou le rejet 
de certaines croyances » et aussi l'accomplissement ou 
le non-accomplissement de certains actes, comme 
s'adaptant ou ne s'adaptant pas à notre personnalité, 
à l'ensemble de nos tendances, considérées ou plutôt 
senties, non pas les unes après les autres, mais dans 
leur coordination, dans leurs rapports réciproques. 
11 est important de bien constater ce fait qui justifie 
suffisamment le nom du pouvoir personnel et qui per- 
met d'en expliquer la nature par les lois de la psycho- 
logie expérimentale 1 . 

« Nous voyons, au reste, que le pouvoir personnel 
varie beaucoup, et que le sens du moi, s'il est indis- 
pensable » pour rendre possible un acte de volonté 
réfléchie, de pouvoir personnel, « ne suffit pas à le 
constituer. Le fait que je viens de citer en effet, celui 
où le moi organisé repousse une opinion qui ne 
s'adapte pas à ses habitudes, est à peine un fait de 
volonté, il n'est pas un fait de réflexion, mais il nous 
montre comment le moi, en tant que groupe d'élé- 
ments abstraits, et forme de coordination, peut s'éveil- 
ler facilement et se séparer des autres phénomènes. Il 



i . Il est à peine besoin de faire remarquer ici que les tendances 
organiques, celles qui constituent proprement la vie des organes, 
sont largement représentées dans le sens du moi. 



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Dévolution de la volonté i3i 

nous montre aussi la transition entre la volonté et 
l'automatisme marquée par la coordination croissante 
des phénomènes et l'éveil d'un moins grand nombre 
d'entre eux» . 

« Souvent il arrive, si la lutte est vive, si la ré- 
flexion est intense, que des phénomènes particuliers, 
idées, images, etc., s'éveillent, mais ils sont facilement 
considérés à part des tendances ; c'est que ces phé- 
nomènes sont variables, tantôt l'un, tantôt l'autre, 
selon le cas, se présentera à l'esprit, c'est tantôt telle 
tendance, tantôt telle autre qui, pour maintenir son 
organisation, aura besoin de se compléter par tel ou 
tel phénomène particulier. Au contraire, les tendances 
elles-mêmes, et leurs coordinations sont relativement 
stables. Il semble donc que dans ce jugement : je vois 
ceci, je pense à cela, il n'y a pas seulement, comme l'a 
dit M. Taine, le rapport d'un composé à l'un de ses 
éléments 1 , il y a aussi le rapport de tendances 
abstraites à des phénomènes concrets qui viennent en 
certains cas compléter une ou plusieurs d'entre elles. 
Il me semble que cette conception du pouvoir per- 
sonnel permet... d'expliquer la partie vraie des doc- 
trines spiritualistes sur la conscience, la volonté, la 
responsabilité, etc., tout en restant absolument indé- 
pendante de toute hypothèse sur la substance... Il 
ne s'agit jamais que de certaines circonstances parti- 
culières du jeu des tendances et d'une forme, que 
j'ai tâché de déterminer, de la loi d'association systé- 
matique. » 



i. Taine, Les Philosophes classiques du XIX e siècle. Paris, 
Hachette, a e éd., 1868. 



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À 



I 3'J LA VOLONTÉ 



§ 6- — La marche du pouvoir personnel vers l'automa- 
tisme. 

Il se forme ainsi, soit peu à peu, soit plus ou inoins 
vite, une personnalité bien unifiée, où les tendances, 
les désirs, les idées sont étroitement associés avec le 
maximum d'harmonie que comporte la condition hu- 
maine, cl sont, a niant que possible, solidaires les uns 
des autres. Le moi est alors réellement son maître, et 
cela veut dire qu'aucun de ses éléments n'agit d'une 
manière indépen tante, que tout désir qui nuirait à 
l'harmonie de l'ensemble, tout caprice trui tenterait, 
de se satisfaire aux dépens des tendances profondes 
et des croyances fixées, est arrêté ou même prévenu, 
enrayé ou empêché de naître. 

Mais a mesure que cet état se précise et se confirme, 
le pouvoir personnel marche vers l'automatisme. Il 
représente un moment d'un processus qui parlant de 
l'incoordination relative des phénomènes d'activité 
psychiques et de l'activité indépendante des éléments 
va vers leur coordination complète, leur solidarité 
absolue et la parfaite régularité de leur fonctionne- 
ment. 

Nous pouvons à ce point de vue comparer l'évolu- 
tion de la personnalité prise dans son ensemble, du 
pouvoir €pii lui appartient, de la volonté qui eu est l'ex- 
pression a révolution d T im de ses éléments, d'une ten- 
dance quelconque. Cette évolution plus ou moins 
nette, plus ou moins longue et plus ou moins vi- 
sible, s'effectue, en général, à peu près de la même 
manière. 



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- p. ^mC^ts; ^«çt, ,' J i'. 



l'évolution de la volonté i33 

Au début c'est l'incoordination et l'indépendance 
des systèmes. Le désir ne peut spontanément aboutir 
à l'acte et son influence suscite par association sys- 
tématique, une quantité de phénomènes psychologi- 
ques très divers, idées, désirs secondaires, etc., qui 
finissent par changer l'orientation du moi, par dé- 
terminer des décisions, des arrangements nouveaux 
de phénomènes psychiques, des coordinations des 
idées, des désirs et des actes. Quel que soit l'acte 
que nous tendions à commettre, quelque soit le désir 
qu'il s'agisse de satisfaire, et, en le satisfaisant, de 
créer et de développer, les choses se passent au fond 
à peu près de même. Mais l'ensemble des phénomè- 
nes éveillés peut varier beaucoup de complexité et 
d'importance. Il est très considérable si la tendance 
nouvelle a de la peine à s'organiser, et généralement 
très peu important dans le cas contraire. Peu à peu 
l'exercice de la tendance se régularise, les caprices des 
éléments diminuent, les éléments parasites sont eux- 
mêmes écartés et les phénomènes s'associent d'une 
façon de plus en plus systématique et serrée. L'exemple, 
si souvent cité, de l'homme qui apprend à jouer du 
piano, qui commence par tendre son esprit, par 
vouloir avec application pour coordonner les mouve- 
ments de ses doigts avec ses impressions visuelles et 
chez qui la tendance s'organise peu à peu de façon 
à devenir automatique et inconsciente est un exemple 
de cette évolution. 

L'évolution du moi ne diffère pas essentiellement 

de cette évolution d'une tendance. Ici aussi, au 

début, nous avons des caprices, des idées, des désirs, 

des actes mal coordonnés. Cependant quelques désirs 

Paul h an, 8 

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ï34 LA VOLONTÉ 

plus profonds, plus tenaces représentant les tendances 
essentielles de la vie organique et de la vie psychique 
s'harmonisent entre eux et tendent à soumettre les 
autres, à les transformer ou à les inhiber. Ce travail 
qui ne va jamais jusqu'à conduire l'esprit à l'harmo- 
nie parfaite et à l'unité absolue l'en rapproche plus ou 
moins selon les cas. Il laisse subsister beaucoup d'in- 
cohérences chez certains individus, et relativement très 
peu chez d'autres. Dans ce dernier cas, on voit les 
éléments du moi, comme tout à l'heure les éléments 
de la tendance, se coordonner de mieux en mieux en se 
transformant, ou bien disparaître, et comme tout à 
l'heure nous voyions les perceptions visuelles et les 
mouvements musculaires du pianiste se combiner à 
ses perceptions auditives, de manière à former un 
système très bien unifié, nous voyons maintenant des 
quantités d'éléments divers, tendances et idées, désirs 
et impressions, habitudes automatiques et volitions, 
converger vers un même centre, s'unir en un seul tout. 
Dans le premier cas, le travail aboutit à une tendance, 
élément du moi, dans le second, il aboutit à un moi, 
système de tendances, mais dans les deux cas, il est 
essentiellement le même, à deux échelles différentes. 
11 part de deux états analogues, et par des moyens 
identiques il conduit à des états semblables. 



§7- 

Quand cette unité du moi est arrivée à se consti- 
tuer et que le pouvoir personnel se manifeste tel que 
nous l'avons analysé tout à l'heure, la volonté est 



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l'évolution de la volonté i35 

devenue une sorte de forme générale de l'activité, 
toujours analogue à elle-même, présentant des carac- 
tères généraux toujours semblables. Cela arrive, en cer- 
tains cas, pour l'intelligence, pour la sensibilité, pour 
quelque grande fonction psychologique. On a beau- 
coup dit, depuis quelque temps, que la mémoire se 
résout en des mémoires, on a pu ajouter que la vo- 
lonté se résout en des volontés, l'intelligence en des 
intelligences, etc. Cela est vrai, très certainement, en 
un sens, si l'on veut exprimer, parla, que l'activité des 
éléments de l'esprit s'exerce parfois d'une manière 
individuelle et indépendante, et que cette indépen- 
dance subsiste toujours au moins à l'état virtuel. Mais 
en fait elle disparaît souvent, dans une assez large 
mesure, devant l'unification delà personnalité, comme 
les divisions naturelles d'un pays peuvent s'effacer 
devant son unification politique. Alors, s'il s'agit de 
la volonté, les volitions sont toutes orientées dans le 
même sens, elles ne sont plus des caprices, expressions 
des désirs des éléments, elles ne sont plus des volontés 
indépendantes et séparées, elles sont unies, elles for^ 
ment un seul ensemble, exprimant la réaction toujours 
la même, au fond, d'une personnalité fixée et stable, 
elles sont devenues une volonté, tout à fait comme 
les mouvements incoordonnés et divers du pianiste dé- 
butant sont, chez l'artiste exercé, confondus et réunis 
en une tendance. 

Le moi entier est devenu, dans -e cas-là, une sorte 
de tendance ou de désir très compliqué, le désir de 
vivre, mais de vivre d'une cert*ine façon, en faisant 
prédominer et en développant els et tels désirs spé- 
ciaux. La volonté, le pouvoir r-rsonnel n'est plus que 



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f %y*^ 



i36 



LA VOLONTE 



l'expression de ce désir, de cette personnalité. Et cette 
personnalité se subordonne ainsi et dirige toutes ses 
facultés, tous ses actes, car c'est simplement dire que 
les actes comme les désirs secondaires, les idées, etc. 
sont subordonnés aux tendances principales, au sys^ 
terne bien coordonné qui constitue le moi et ne laisse 
rien s'y produire qui ne soit en harmonie avec lui. 
Le pouvoir personnel, tel que l'ont décrit les philoso- 
phes spiritualistes, est simplement le cas où la finalité 
de l'esprit est arrivée à un degré très avancé, et où 
cependant cette habitude du moi, de tout régler à sa 
convenance, et de se soumettre, dans une grande mesure, 
tous ses désirs et tous ses actes reste encore consciente 
et volontaire. 

§8. 

Mais on voit vite comment et pourquoi un tel état 
tend vers un état de coordination plus complète encore, 
qui nous ramène à l'automatisme et supprime les 
^^onditions de la volonté. 

X^volonté, le pouvoir personnel par conséquent, 
suppose encore une certaine indépendance des sys- 
tèmes psychiques, une certaine hésitation de l'orga- 
nisme psychologique, une adaptation déjà assez avan- 
cée, mais encore imparfaite. A mesure que l'adaptation 
se perfectionne, que toute hésitation dans le choix se 
supprime, et que l 'indépendance des systèmes psy- 
chiques va s'affaiblissant et tend à disparaître, la 
volonté se rapproche de plus en plus de l'automatisme, 
et ce dernier peut finir par prédominer presque com- 
plètement. 



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l'évolution de la volonté i3y 

Le pouvoir personnel devientalors toulà fa il semblable 
à une tendance automatique ordinaire. La plupart des 
. choix auxquels il est obligé sont si bien prédétermi- 
nés par la nature fixée du moi qu'on peut les pré- 
voir et les prédire avec peu de ehances d'erreur. 
Tant que l'individu ne sort pas des conditions habi- 
tuelles de son activité, il agit presque aussi régu- 
lièrement et aussi sûrement qu'un automate. Le 
pouvoir personnel en tant que (orme de vol on lé a 
presque disparu, il ne subsiste plus guère qu'en tant 
que forme synthétique individuelle de I automa- 
tisme. 

Les réactions de la personne, en ce cas, expri- 
ment toujours sa nature propre, elles en portent la 
marque, elles décèlent parfois des nuances de carac- 
tères très fines et très spéciales, et l'automatisme 
d'un individu ne ressemble pas complètement a l'au- 
tomatisme d'un autre. Mais elles onL perdu leur 
souplesse, elles n'évoluent plus. 

Surtout elles ne témoignent plus de nouvelles 
adaptations sous la réserve, bien entendu, des 
nuances déjà indiquées à propos de l'automatisme et 
du mélange toujours obligatoire de l'automatisme et 
de la volonté. Le caractère de nouveauté qui caractérise 
l'acte volontaire et qui en fait une création a pres- 
que complètement disparu. Sans doute Inactivité de 
l'individu reste originale si nous la comparons à 
l'activité des autres personnes, elle ne l'est pas, si 
nous la comparons à elle-même. L'individu n'innove 
plus, sa croissance morale est arrêtée. 

Cet état serait évidemment la perlée lion relative si 
l'homme qui le présente était adapté à un ensemble 

8. 

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l38 LA VOLONTÉ 

de conditions suffisamment larges et représentant 
pour lui l'univers entier, si au moins les conditions 
de l'existence restaient, autour de lui, toujours les 
mêmes. Il serait arrivé à l'harmonie complète de ses 
fonctions, et à l'harmonie avec le monde, il aurait 
atteint le seul idéal positif abstrait que l'on puisse 
peut-être concevoir. 

Sans rechercher ici si cet idéal n'est pas, en lui- 
même, contradictoire, il suffira de remarquer qu'en 
tout cas il ne saurait, à notre connaissance, être 
actuellement atteint par l'humanité. L'individu qui 
se laisse envahir par l'automatisme est forcément en 
désaccord ayec un ensemble de conditions qui change 
sans cesse et qui changera continuellement tant que 
le milieu social dont il fait partie ira se transfor- 
mant. Son automatisme, sa routine, si bien adap- 
tés à ce milieu qu'ils aient pu paraître tout d'abord, 
seront bientôt en désaccord avec lui. Il se peut 
qu'il ne s'aperçoive pas de ce désaccord, et qu'il 
n'en souffre pas, ce désaccord n'en existe pas moins 
et la valeur propre de l'individu en est diminuée. Il 
y a là une raison générale pour que le passage du 
pouvoir personnel à l'automatisme doive être consi- 
^ déré comme un mal plutôt que comme un bien. Il 
supprime à peu près la possibilité des progrès futurs, 
cela ne serait un avantage que si l'on était arrivé au 
bout du progrès possible. 

L'automatisme, la routine deviennent ainsi, en bien 
des cas, terriblement gênants lorsqu'un changement se 
produit dans les changements de vie de la personne 
qui les a réalisés. On peut voir assez souvent des gens 
s'acquitter très bien de leur tâche quotidienne, toujours 



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l'évolution de la volonté 139 

la même, remplir exactement leurs devoirs de famille, 
avoir les sentiments qu'il faut avoir et faire les actes 
qu'il faut faire. Ils montrent même du dévouement, 
de l'énergie, de la pondération et l'on est porté à leur 
attribuer une assez grande puissance de volonté. C'est 
que leur personnalité est bien organisée pour certai- 
nes conditions d'existence, le « pouvoir personnel » est 
assez développé et suffisamment fort pour les condi- 
tions ordinaires de la vie. Mais si ces circonstances 
viennent à changer, ce pouvoir personnel qui s'est 
trop raidi, fixé, rapproché de l'automatisme peut se 
trouver en quelques instants amoindri, détraqué, 
presque détruit. Des gens qui dans leur routine de 
chaque jour paraissaient actifs, énergiques, décidés, 
se trouvent, du jour au lendemain, si leur situation 
change brusquement, s'ils perdent leur place, si 
quelqu'un de leurs proches leur manque, s'ils 
se trouvent dans un milieu qu'ils ne connaissent 
pas, mous, hésitants, déséquilibrés, incapables de 
vouloir avec intelligence et avec énergie. 

Le pouvoir personnel, sous sa forme volon- 
taire, est donc un moment, important au point de 
vue de notre étude, d'une évolution qui va de 
l'activité indépendante des phénomènes psychiques, 
à la coordination presque parfaite et^ à la soli- 
darité la plus grande. Ce moment est celui où le 
moi s'est organisé, où il est maître de ses élé- 
ments, maître du choix de ses actes, mais où il 
n'exerce pas encore cette maîtrise d'une manière 
absolument sûre, où cette maîtrise ne s'exerce 
pas encore, pour ainsi dire, d'elle-même et sponta- 
nément. 



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I^O LA VOLONTÉ 



§ 9. — La délibération et la décision dans V exercice 
du pouvoir personnel. 

La délibération, la décision et l'exécution varient 
beaucoup suivant les différentes phases de l'évolution 
du pouvoir personnel. 

La délibération qui est à peu près nulle dans le 
caprice se développe au contraire beaucoup quand le 
pouvoir personnel arrive à être fort, quand la 
personnalité est déjà assez solidement constituée, mais 
que cependant elle est toujours très riche en élé- 
ments, qu'elle n'est pas tout à fait organisée et que 
l'indépendance réciproque de désirs assez vifs et de 
tendances assez fortes se manifeste encore d'une 
manière sensible. A ce moment, la personnalité n'est 
pas encore assez avancée dans l'automatisme pour 
supprimer les conflits, mais elle l'est assez déjà pour 
que l'appel des motifs et la discussion des tendances 
se fassent d'une manière systématique et suivie. Au 
heurt des caprices, à la domination tyrannique et 
instable de velléités diverses et incohérentes a succédé 
l'examen des raisons, l'appel successif et la mise à 
l'essai des désirs, des tendances et des idées. Puis, si 
l'évolution vers l'automatisme continue, la délibé- 
ration diminue d'importance et de durée, les hésita- 
tions se font plus rares et plus faibles, l'orientation de 
l'esprit est plus facilement déterminée. La délibéra- 
tion a donc une importance très petite au début 
de l'évolution du pouvoir personnel et son impor- 
tance est encore très faible à la fin de cette évolution > 



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r 



l'évolution de la volonté i4i 

mais pour des raisons opposées. Dans le premier 
état c'est le défaut de l'organisation qui produit cette 
nullité de la délibération, et dans le second c'est au 
contraire sa perfection. 

La décision varie aussi, mais d'une autre manière. 
Dans le caprice elle est souvent prompte, et souvent 
aussi faible. Un caprice s'impose vite à l'esprit, et il 
est vite remplacé par un autre. A mesure que le 
pouvoir personnel se forme, la décision est retardée 
par la délibération, mais son importance est de plus 
en plus considérable. Elle engage une partie toujours 
plus grande de la personnalité, elle est l'expression 
de tendances déplus en plus complexes et ensuite 
du moi tout entier, ou peu s'en faut. Elle devient 
ainsi plus stable, plus sérieuse, plus importante, 
à proportion du nombre et de l'importance des 
tendances, des désirs et des idées qu'elle associe 
systématiquement, de la grandeur de la fraction de 
personnalité qu'elle représente et qu'elle crée. Puis, 
quand le moi marche encore vers la systématisation 
parfaite et que le pouvoir personnel se rapproche 
encore plus de l'automatisme, la décision devient de 
plus en plus prompte, et, toutes choses égales, d'ail- 
leurs, de plus en plus stable, de plus en plus im- 
portante, de plus en plus représentative de l'ensemble 
de la personnalité. Quand le moi est bien coordonné, 
la personne ne revient plus sur une décision prise, 
elle n'éprouve plus ces fluctuations, ces retards qui 
sont de règle dans l'activité capricieuse et qui se ma- 
nifestent encore dans les premiers états du pouvoir 
personnel. La décision prise est irrévocable. 

Mais il faut bien spécifier que les choses doivent 



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I^a LA VOLONTÉ 

rtie égales d'ailleurs. C'est ce qui n'arrive pas tou- 
jours. A mesure qu'une routine se forme, que le moi 
^r rapproche de l'automatisme il arrive assez souvent 
fjue de nouvelles forces qu'il ignore lui-même s'orga- 
nisent en lui. Alors l'automatisme, au lieu d'être une 
<h mi se de force pour la décision, peut, à cause de son 
ihoitesse inévitable, devenir une cause de faiblesse. 
U n jour vient où les désirs nés et développés peu à 
1 11 u dans l'obscurité de la conscience font irruption 
dans la vie mentale et vont briser les habitudes 
<li in lia souplesse est trop faible pour qu'une systé- 
matisation spontanée puisse s'accomplir. C'est un 
ils cas où se montrent les défauts de l'automatisme. 
Toutes choses égales d'ailleurs, il représente la 
perfection, mais il implique précisément que, par 
ji il leurs, les choses ne sont pas égales. Il n'est pas 
i ;*rc de voir des hommes satisfaits de leurs occupa- 
tions devenues régulières et devenues automatiques, 
m mis il n'est pas rare non plus d'en voir qui, à me- 
sure précisément que leurs occupations se font plus 
routinières, s'y intéressent moins et laissent grandir 
i n eux, plus ou moins ignorés, des désirs nouveaux, 
jusqu'au moment de la crise qui éclatera tôt ou tard 
vi deviendra le point de départ d'une évolution nou- 
voile. Remarquons seulement que dans les cas de ce 
tirnre la personnalité n'était point tout entière, il 
*Yn faut, organisée par les tendances que Tauto- 
niiitisme gagnait. 

Au point de vue de la création du moi par la 
M'Ionté le caractère de la décision change aussi, à 
mesure que se poursuit l'évolution du pouvoir per- 
-unnel. Au début de cette évolution, dans l'activité 



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l'évolution de la volonté 1^3 

capricieuse nous ne pouvons guère observer cette 
création du moi par la volonté que nous avons indi- 
quée tout à l'heure, ou, du moins, elle y prend des 
caractères assez particuliers. La satisfaction d'un ca- 
price ne transforme le moi, en général, que d'une fa- 
çon superficielle et passagère, parce que c'est précisé- 
ment un des caractères du caprice d'être une velléité 
sans grande importance. Il peut arriver sans doute 
que la satisfaction d'un caprice ait des suites graves 
et puisse devenir le point de départ d'une grande 
modification du moi, mais c'est alors que le caprice 
correspondait à une tendance assez puissamment or- 
ganisée déjà et qu'il n'avait, vraisemblablement, du 
caprice que l'apparence, ou bien encore le caprice 
n'a dû qu'à une chance heureuse de commencer un 
développement qui s'est longuement poursuivi. Dans 
ce cas, généralement, le caprice a été pour le moi 
une occasion de se développer et de passer à un genre 
d'activité tout à fait différent de l'activité capricieuse. 
Ou bien encore le caprice est devenu le point de dé- 
part d'une désorganisation du moi par l'affaiblisse^ 
ment de la coordination générale des phénomènes, 
par la désagrégation des quelques tendances qui les 
dirigeaient encore un peu. 

A mesure que nous passons de l'état du règne des 
caprices à celui du règne du pouvoir personnel, le 
changement du moi par la volonté prend une autre 
apparence. Il y a surtout un moment où ce change- 
ment peut être très important. C'est celui où le 
moi, commençant à s'organiser, peut encore s'orga- 
niser suivant des principes très différents. Il peut ar- 
river qu'un seul acte de volonté, ou une petite série 



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l44 LA VOLONTÉ 

d'actes de volonté forme et transforme ainsi presque 
complètement le moi. Nous rencontrons à tout mo- 
ment dans la vie des chemins qui bifurquent et nous 
peuvent conduire à des points bien différents. Sou- 
vent, surtout au début de notre carrière, mais quel- 
quefois aussi plus tard, nous hésitons entre plusieurs 
voies. Selon celle que nous allons prendre, notre 
vie entière peut être changée, et, avec elle, notre per- 
sonnalité. La vieille fable d'Hercule ayant à choisir 
entre le vice et la vertu symbolisera, si l'on veut, 
cette situation. Ici le premier acte de volonté qui va 
naître peut déterminer l'orientation de toute une 
vie et de toute une âme. C'est qu'il va déterminer 
les conditions dans lesquelles cette âme se dévelop- 
pera, dans lesquelles cette vie va se dérouler, con- 
ditions qui en se combinant avec les traces laissées 
dans l'esprit par sa volition, par la synthèse nouvelle 
qui va se produire à un moment donné, peuvent fort 
bien ne plus permettre jamais aucun retour en ar- 
rière. 11 est, dit-on, sur la ligne de partage des eaux en 
France, une maison si justement bâtie sur la ligne 
de faîte que la goutte d'eau qui tombe sur un côté de 
son toit est entraînée vers la Méditerranée, tandis que 
celle qui tombe sur l'autre côté se dirige vers l'Océan. 
Le moindre vent qui, pendant sa chute, la pousse vers 
l'un ou vers l'autre va décider de sa route, et une fois 
qu'elle sera tombée sa destinée sera fixée. De même 
la moindre circonstance qui vient déterminer la for- 
mation dans un sens ou dans l'autre de la synthèse 
volitive, peut, en certains cas, fixer d'une manière 
irréparable non seulement l'orientation de la vie, mais 
le développement d'une âme, le triomphe ou la défaite 



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Dévolution de la volonté i45 

de ses vertus ou de ses vices, de telle ou telle de ses 
aptitudes ou de tel ou tel de ses goûts. 

Plus tard et à un état d'organisation plus avancé, 
l'influence de la décision sur la transformation du 
moi est incomparablement plus faible. Maintenant 
le moi est trop formé pour pouvoir se modifier beau- 
coup ; les volitions l'expriment toujours, mais elles 
ne le transforment plus, elles se bornent à le mainte- 
nir, à le faire durer, à lui conserver la systématisa- 
tion acquise, tout au plus à l'accentuer encore un 
peu. La transformation suppose, en effet, l'existence 
dans la personnalité d'éléments encore mal harmoni- 
sés dont les uns vont être éliminés tandis que les 
autres se développeront, à moins qu'elle ne produise 
elle-même cette désharmonie. Mais la transformation 
produite par le pouvoir personnel ne peut guère se 
manifester que dans le premier cas. Ce qui peut arri- 
ver parfois aussi, comme la coordination n'est jamais 
parfaite, ni la personnalité complètement unifiée, 
c'est qu'un caprice vienne, à un moment donné, 
grâce à des conditions. exceptionnellement favorables, 
commencer une transformation nouvelle qui va se dé- 
rouler selon le même processus que nous avons exa- 
miné déjà, mais la transformation ici encore peut 
aboutir à l'organisation d'un pouvoir personnel auto- 
matique, elle n'en part pas. .Elle a pour germe, au 
contraire, la défaite du pouvoir personnel antérieure- 
ment établi qu'un caprice a vaincu grâce à une heu- 
reuse rencontre de circonstances, et grâce aussi, en 
général, à la persistance dans la personnalité d'éléments 
mal soumis, de désirs assoupis mais non éteints 
qu'une circonstance favorable peut toujours rallumer. 
Paulhan. 9 

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1/46 LÀ VOLONTÉ 

§ 10. — Le pouvoir personnel et V exécution. 

Les qualités de l'exécution dépendent dans une 
assez grande mesure des qualités de la décision et 
nous voyons l'exécution se modifier en conséquence 
du caprice au pouvoir personnel. Si dans le caprice 
l'exécution est souvent vive, prompte et peu sûre, 
car si elle est retardée elle peut être complètement 
supprimée, il en est tout autrement d'une manière 
générale, dans l'exercice du pouvoir personnel. Quand 
le pouvoir personnel est dans la période d'organisa- 
tion, l'exécution présente des caractères assez varia- 
bles. Parfois elle est précipitée et prompte. On cher- 
che volontiers, après avoir pris une résolution grave 
et qui nous a fait longtemps hésiter, à se rendre 
tout retour impossible, à s'obliger à aller jusqu'au 
bout. On, veut, à tout prix, éviter de recommencer 
les hésitations et les luttes qu'on a subies, et l'on se 
presse d'exécuter après avoir été lent à se décider. 
Mais le contraire se produit aussi. Il arrive que l'hé- 
sitation se fait sentir encore, quoique à un moindre 
degré, une fois la délibération terminée et la dé- 
cision prise. Parfois aussi on souffre encore d'avoir 
renoncé, par une décision pénible, à des choses aux- 
quelles on tenait. On voudrait bien que quelque circon- 
stance, plus ou moins prévue, vînt rendre notre 
sacrifice inutile. Alors on tarde, on fait traîner 
l'exécution, on a de la peine à entrer dans l'irrévo- 
cable. Même si on n'espère pas pouvoir l'éviter on 
peut y arriver sans enthousiasme. D'autres fois enfin 
on ne remarque ni cette hâte ni ce retard de l'exécu- 
tion. Parfois un peu de maladresse et de gaucherie, 



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l'évolution dk la volonté t^7 

résultant du manque d'habitude, vient la troubler. 
En ce cas, les caractères de l'exécution ne dépendent 
pas complètement des caractères de la décision, 
mais de ses rapports avec l'activité ordinaire de l'es- 
prit. On peut déciiler péniblement des projets très 
faciles à exécuter, et réciproquement. Toutefois en 
ce dernier cas, de nouvelles décisions, comme nous 
l'avons vu, doivent intervenir et le pouvoir person- 
nel a de nouvelles occasions de s'exercer, ce qui com- 
plique la question sans la changer essentiellement. 

A mesure que le pouvoir personnel se rapproche 
de l'automatisme l'exécution prend, elle aussi, un 
caractère général de régularité, en tant que, comme 
cela est assez ordinaire, les décisions qu'il s'agit 
d'exécuter perdent en grande partie leur caractère 
de nouveauté et deviennent, à bien des égards, au 
moins, et de plus en plus babil uel les. En revanche 
l'exécution, comme la décision, d'actes inaccoutumés, 
quand la nouveaulé dépasse un certain degré et que 
l'adaptation devient pins difficile, se fait, en même 
temps, de plus en plus pénible. 

§11. — Les formes intermédiaires et les formes 
composées. 

Nous avons étudié surtout les Cormes extrêmes de 
la volonté : les caprices et le pouvoir personnel. La 
première exprime une très faible partie de la person- 
nalité, la seconde exprime la personnalité presque 
entière. De l'une à l'autre il y a bien des intermé- 
diaires que j'ai à peine indiqués mais qu'il est assez 
facile de restitue^. Il est en effet bien des acles de 



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1^8 LA VOLONTÉ 

volonté qui, sans engager la personne entière, en 
engagent cependant une assez grande partie, qui 
sont, beaucoup plus qu'un caprice et bien moins 
qu'un acte de volonté réfléchie, une manifestation 
d'un pouvoir personnel bien coordonné. C'est ce qui 
arrive par exemple chez les impulsifs. On ne pour- 
rait définir leur manière d'être en l'appelant une ac- 
tivité capricieuse. Ce nom s'appliquerait assez mal, par 
exemple, à des caractères comme celui de Benve- 
nuto Cellini. Les impulsifs ont souvent des passions vio- 
lentes et dont le fond est très durable si les explosions 
en sont soudaines et parfois assez brèves. D'un autre 
côté on ne peut pas dire que le pouvoir personnel 
soit bien développé chez eux puisque, réellement, ils 
ne se possèdent pas, puisque leurs désirs, certains de 
leurs désirs au moins, sont assez puissants pour do- 
miner absolument la personnalité lorsqu'ils viennent 
à se manifester, lorsque quelque circonstance, par- 
fois insignifiante, les déchaîne. Leur activité est donc 
intermédiaire entre l'activité capricieuse et le pou- 
voir personnel. Elle exprime plus qu'un désir passa- 
ger et bien moins qu'une personne entière. (Je sup- 
pose, bien entendu, que nous ne considérons que 
les impulsifs chez qui, comme il est fréquent, la per- 
sonnalité est assez divisée. En certains cas l'impulsi- 
vité peut se rattacher à des caractères psychologiques 
différents et elle est alors elle-même une autre chose.) 
Du caprice à l'impulsion et de l'impulsion à la vo- 
lonté réfléchie on peut encore placer bien des degrés. 
Il y a là une série de types sensiblement continue et 
l'on peut passer aisément de l'un à l'autre. 

De plus il est fréquent que ces différents types 



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l'évolution de la volonté i4o, 

s'associent plus ou moins dans un même individu. 
Si la prédominance de Tune des différentes formes 
de l'acte de volonté donne différents types, il ne 
faut pas en conclure que ces formes s'excluent au 
point de ne pouvoir subsister dans un même esprit. 
Rien n'est plus fréquent au contraire que de voir 
un homme capricieux sur certains points et réfléchi 
en certains cas, impulsif quand il s'agit de certains 
sentiments et, à d'autres égards, plein d'empire sur 
lui-même. C'est que tous nos sentiments, toutes nos 
idées, toutes nos tendances ne sont pas développés 
également et associés aux autres de la même manière, 
— et pour toutes sortes de raisons, — et qu'il en est 
de même et de leurs éléments et de leurs composés, 
depuis la plus mince combinaison de phénomènes qui 
ait le droit de s'appeler un désir jusqu'à l'ensemble 
de la personnalité et à ses grandes subdivisions. 

§12. 

La volonté est une chose très variable, un phéno- 
mène dont les formes différentes sont extrêmement 
loin de se ressembler entièrement. Nous n'avons pas 
épuisé la série des distinctions qu'on peut établir entre 
elles. Cependant nous avons montré comment elle 
différait de l'automatisme et de l'imitation et com- 
ment elle leur ressemblait, nous avons vu comment 
les actes de volonté pouvaient différer les uns des 
autres dans leurs rapports avec la personnalité. Nous 
devons voir, à présent, comment ils peuvent diffé- 
rer les uns des autres selon les phénomènes psychiques 
qu'ils dirigent. 



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CHAPITRE VIII 



LE DOMAINE DE LA VOLONTE 



La volonté prend des formes diverses selon les objets 
auxquels elle s'applique, selon les faits qu'elle coor- 
donne. Ces formes diffèrent assez Tune de l'autre pour 
qu'on ait pu souvent méconnaître leurs ressemblances. 
Par exemple les rapports de la volonté et de la croyance, 
de la volonté et de l'invention ne sont pas étudiés et 
connus en partie depuis fort longtemps. Et l'on ren- 
contre encore beaucoup d'erreurs très généralement 
adoptées qui ont pour point de départ une insuffisante 
analyse des caractères essentiels et généraux de la 
volonté et des différents phénomènes concrets auxquels 
ils peuvent s'associer. Il y a une certaine tendance 
dont il faut se défier dans l'appréciation des différentes 
classes d'esprits, à confondre la volonté avec l'acti- 
vité motrice. 

D'autre part, si la volonté a des formes plus variées 
qu'on ne l'a souvent voulu reconnaître et si, par là, 



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LE D0MÀ1SE DE LA VOLONTÉ t5l 

son domaine est plus étendu qu'on ne Ta peut-être 
pensé, cependant ce domaine a certaines limites. Ceci 
est une vérité qui est très généralement acceptée et 
qui ne soulève aucune difficulté — sous les réserves 
que nous avons indiquées plus haut et aussi en réser- 
vant certaines interprétations métaphysiques ! dont je 
n'ai pas à m'occuper ici. Tout le monde distingue 
plus ou moins un fait involontaire d'un acte volon- 
taire. L'empire de la volonté ne s'étend pas sur tout 
l'esprit. 

La considération de ces diverses formes el de ces 
limites de la volonté soulève bien des problèmes inté- 
ressants. Je voudrais, à présent, en examiner quel- 
ques-uns. 

Pour cela nous devons revenir sur quelques points 
de l'analyse de l'acte volontaire et indiquer aussi 
quelques points nouveaux que nous n'avons pas encore 
eu besoin de considérer et que d'ailleurs nous ne pou- 
vions examiner utilement qu'après avoir éLudié le 
pouvoir personnel. 



§ 2. — Conscience et volonté. 

L'acte de ^volonté, surtout l'acte de volonté réfléchie, 
la volition sous sa forme la plus accentuée, est une 
chose très complexe et comprenant beaucoup d'élé- 
ments différents, des désirs, des idées» des tendances, 
des souvenirs, des images anticipées de l'avenir, des 

i . Celle de Schopenhauer, par exemple. 

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I 52 LA VOLONTÉ 

représentations de mouvement, des sensations d'effort, 
des sensations diverses associant les divers organes du 
corps, des représentations plus ou moins compliquées 
de ce qui se passe dans le moi, et aussi un grand 
nombre d'éléments plus ou moins inconscients, d'ac- 
tions automatiques très variées. 

C'est une croyance assez naturelle que la volonté 
est un acte essentiellement conscient. Cette croyance 
n'est pas absolument erronée, car la conscience de 
certains phénomènes est, en effet, un des caractères qui 
peuvent servir à distinguer la volonté de l'acte réflexe 
H de certaines formes inférieures de l'automatisme. 
La conscience de la volonté même, la connaissance de 
la synthèse même qui s'opère peut distinguer la volonté 
de certaines formes de l'automatisme supérieur. Mais 
cette croyance est assez grossière et, en somme, par 
quelques points, inexacte. Elle s'accompagne généra- 
lement d'opinions fausses sur la nature de la conscience 
et aussi sur la nature et la portée de l'influence de la 
Yolition. 

Tout d'abord on se trompe en croyant à une con- 
science qui nous révèle immédiatement et sans erreur 
possible les actes et les états de l'esprit. La conscience 
est une connaissance relative et non immédiate, comme 
la perception externe. Nous connaissons nos désirs et 
nos opinions exactement comme nous percevons un 
mouvement, une couleur, une résistance quelconque, 
et notre conscience, si l'on veut employer ce mot, 
ne constitue pas plus le fait psychique que nous con- 
naissons que notre perception ne constitue le mouve- 
ment ou la résistance, elle a avec lui exactement les 
mêmes rapports. Je ne saurais examiner ici la ques- 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l53 

tion de psychologie générale et les problèmes philo- 
sophiques que soulève cette conception de la con- 
science. Il me suffit de l'indiquer et d'en voir les- 
applications relativement à la psychologie de la vo- 
lonté. 

Il y a, dans un acte de volonté, bien des éléments 
conscients. L'expérience nous le montre chaque jour. 
Il y a aussi bien des éléments inconscients. Ce qui 
est conscient, c'est souvent quelques-uns des désirs 
qui nous poussent, qui s'harmonisent, qui s'associent 
pour nous inciter à agir ou qui luttent l'un contre 
l'autre, c'est aussi une bonne partie des idées qui 
les appuient ou qui les composent, c'est encore, dans 
la décision, une partie des fins poursuivies, c'est un 
sentiment d'effort, d'autres phénomènes encore qui 
constituent des éléments de la délibération, de la déci- 
sion ou de l'exécution, c'est enfin le fait total de la 
volition perçu comme tel, le « je veux », la con- 
science de la décision prise, en qui l'on aurait jadis 
vu volontiers le phénomène essentiel de la volonté et 
qui se retrouve surtout dans les actes du pouvoir 
personnel. 

Les phénomènes inconscients qui constituent aussi 
pour leur part l'acte de volition sont, au fond, de la 
même nature que les autres. On retrouve dans tout 
fait de volition des désirs inconscients et des idées 
inconscientes, des tendances qui passent à peu près 
complètement inaperçues et insoupçonnées. Ni les 
moyens, ni les fins ne sont jamais complètement con- 
scients et, en certains cas, il semble bien que ni les prin- 
cipales fins, ni les principaux moyens ne sont conve- 
nablement appréciés de celui qui veut. 



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?x*««P^. 



l54 LA VOLONTÉ 

Tour les principaux désirs cela est si évident que 
Ton se demanderait >comment on a pu admettre la 
théorie de la conscience immédiate des états psychiques 
si Ton ne savait combien la contradiction est naturelle 
n l' homme. Il est très rare qu'on se rende compte des 
motifs qu'on a de faire une action ou d'être tenté de 
la faire. Rien n'est plus ordinaire que de s'illusionner 
sur leur nature par amour-propre, par amour de l'ordre 
el du convenu, par idée préconçue, par simple igno- 
rance. Tout le monde a remarqué certainement des 
erreurs de ce genre. Avec un peu d'habitude, au reste, 
on arrive vite à reconnaître en soi-même combien nous 
sommes ignorants au sujet de ce qui se passe en nous. 
Il nous est souvent impossible, si nous sommes de 
bonne foi , rie dire pour quelle part les motifs désintéres- 
sés, l'amitié, la pitié, l'admiration, le zèle pour le bien 
public ou pour un idéal abstrait entrent dans nos dé- 
cisions et jusqu'à quel point elles sont déterminées en. 
même temps par l'amour-propre, l'intérêt et quelque- 
fois par de petits sentiments éveillés au hasard. Au 
reste ce n est pas un fait extrêmement rare que l'on soit 
inquiet sur ses propres intentions et qu'on se demande 
avec anxiété si l'on ne se méprend pas sur le sens de 
ses propres actes. 

S'il fallait illustrer par un exemple des faits géné- 
raux bien connus de tous ceux qui s'intéressent à 
l'étude de l'homme, on pourrait choisir les effets de 
la tendance sexuelle. Il est très fréquent que cette 
tendance pousse l'homme et la femme à une quantité 
d'actes dans lesquels son intérêt n'est nullement aperçu 
tout d'abord. A ses débuts elle est même souvent 
ignorée et tout à fait méconnue, parfois on n'en soup- 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l55 

çonne pas le sens, ni même l'existence et Ton « veut » 
sans savoir pourquoi ni comment. 

Quant aux moyens, il est également évident que 
nous les voulons, en général, implicitement et sans 
nous en rendre compte. On a depuis longtemps fait 
remarquer que lorsque Ton veut remuer son doigt, 
on ne veut nullement, d'une manière consciente, les 
moyens employés. Un anatomiste seul pourrait avoir 
une conscience claire de ce qu'il voudrait faire, quand 
il se décide à accomplir un mouvement, encore pour- 
rait-il peut-être se tromper en certains cas sur quel- 
ques détails et en ignorerait-il toujours un grand 
nombre. Mais comme j'ai eu déjà l'occasion de le faire 
remarquer, quel que soit l'acte voulu, ce que nous 
voulons réellement est bien autre chose que ce que 
nous avons conscience de vouloir. L'acte de volonté 
comprend une immense quantité d'éléments automa- 
tiques d'abord, mais il implique aussi de futurs actes 
de volonté qui sont déjà décidés sans que nous en 
ayons conscience. Si je veux, par exemple, partir pour 
la Hollande, ma décision implique l'accomplissement 
d'un grand nombre d'actes automatiques et aussi 
d'actes dont j'aurai conscience sans que je pense le 
moins du monde à tous ces actes, sans que j'aie con- 
science de les vouloir, pas plus que je n'ai connaissance 
de tous les mouvements musculaires que je vais pro- 
voquer quand je décide de lever le bras en l'air ou de 
poser ma main sur ma tête. 

Sans doute, très souvent les volitions secondaires ne 
sont pas toutes étroitement engagées d'avance. Notre 
volonté principale, l'ensemble de notre esprit avec 
toutes ses dispositions et toutes ses idées, avec l'en- 



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iTïfi LA VOLONTÉ 

semble de nos dispositions organiques, ne donnent 
mie quelques-unes des conditions de nos volitions 
secondaires. Elles seront complétées plus tard par les 
conditions diverses que le hasard nous fournira et 
pourront varier avec ces conditions. Par exemple, si 
je décide d'aller prendre le train à une gare un peu 
éloignée de chez moi, à Paris, il se peut que je ne 
» >is pas décidé à l'avance à prendre un omnibus ou 
une voiture pour me rendre à cette gare, si je me 
déride à inviter des amis à dîner, je puis hésiter encore 
^nr le jour pour lequel je les inviterai. Selon les diverses 
< iivonstances encore inconnues de moi qui se présen- 
teront je me déciderai d'une manière ou de l'autre. 
\nanmoins, je suis déjà engagé jusqu'à un certain point 
H d'une manière un peu abstraite à me décider d'une 
manière ou de l'autre, mais de façon à ce que cette 
décision s'accorde avec la décision principale que j'ai 
formellement prise. 

On a parfois si peu conscience des volitions secon- 
daires qui s'ébauchent ou se décident même par le 
imil fait de la volition principale qu'on est sur- 
pris de voir à quoi l'on s'était engagé et que lorsqu'on 
s'en rend bien compte on est tenté de reculer, de 
revenir en arrière. Parfois on est engagé, suggestionné 
\mv soi-même, on n'ose revenir sur sa décision et l'on 
- aperçoit qu'on a voulu un acte qu'on aurait énergi- 
i| Elément refusé d'accomplir si l'on avait bien su ce 
qu'on faisait. Parfois aussi ce heurt suffit pour réveiller 
dans l'esprit les tendances inhibées par l'acte de volonté, 
ï h )ur faire renaître de nouvelles hésitations, pour défaire 
r effet de la décision première et susciter une volition 
nouvelle. 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTE 




§ 3. — Le a je veux ». 

Notre ignorance à l'égard des éléments de l'acte 
de volonté, et de l'ensemble même de cet acte est 
donc naturellement considérable, contrairement aux 
premières apparences. Cette ignorance est encore 
très grande à l'égard de l'acte du pouvoir personnel 
proprement dit, à l'égard du « fiât » du « je veux », 
et c'est de ce point qu'il faut nous occuper à présent 
en analysant le « je veux ». Les illusions spontanées 
sur ce sujet sont à peu près inévitables. 

Le « je veux » ne suffit pas à constituer un véri- 
table acte de volonté, et même il n'y est pas indis- 
pensable. J'entends par là que nous pouvons avoir 
parfois la conscience illusoire d'une volition réelle 
sans que cette volition se produise, sans que la syn- 
thèse nouvelle d'idées et de sentiments qui la cons- 
tituerait se soit produite, et que d'autre part cette 
synthèse se produit parfois sans que nous en ayons 
une idée bien nette, sans que nous nous disions que 
nous voulons telle ou telle chose. La conscience de 
l'exercice du pouvoir personnel est souvent associée à 
la vraie volition, elle n'est ni suffisante, ni tout à 
fait nécessaire pour la constituer. 

Elle n'est pas suffisante. En effet le moi qui est 
représenté dans la conscience n'est pas toujours le 
moi réel, le moi actif et agissant. Notre représenta- 
tion de notre propre personnalité est symbolique, 
comme toutes nos représentations d'ensemble, comme 
notre représentation de la France ou de l'Europe, 
mais elle est aussi incomplète et erronée. Nous y 



Vfjji" 



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l58 hk VOLONTÉ 

faisons aussi une part trop grande à certaines ten- 
dances, à certains sentiments (ou aux états de con- 
science qui les représentent) au détriment de 
certaines autres. Quand nous disons « je », ce que 
nous désignons ainsi, ce n'est pas, en bien des cas, 
notre vraie personnalité, c'est notre moi tel que 
nous arrivons à nous le figurer. 

Parfois cela n'entraîne pas de graves inconvé- 
nients. Quand je dis : je marche, par exemple, il 
importe peu que je me fasse de moi telle ou telle 
idée, je ne me tromperai pas en général et je ne 
tromperai pas les autres sur ce fait que je marche. Le 
moi qui marche pourra bien ne pas être tel que je 
le crois, mais que ce moi, quel qu'il soit, marche, 
c'est un fait sur lequel il est aisé de s'entendre et qui, 
dans les conditions normales, ne prête guère à 
l'illusion. 

Il n'en est plus tout à fait de même si je 
dis : « je suis bon » . Ici l'affirmation porte sur une 
qualité du moi au sujet de laquelle celui qui affirme 
peut très bien se tromper, quel que soit le témoi- 
gnage de son sens intime. Il n'affirme sa bonté 
qu'en interprétant dans un certain sens les données 
de son expérience interne. Et bien souvent il se 
trompe sur certaines impressions qu'il a eues, il 
peut attribuer à la tendresse des émotions qui 
proviennent de l'amour-propre ou de l'intérêt, de 
plus il peut négliger aussi bien des impressions, 
bien des souvenirs qui contrediraient son diagno- 
stic. Quelle que soit l'idée que nous nous fassions de 
notre moi, elle ne nous conduira guère à nous trom- 
per sur un fait comme l'action de marcher mais 



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LE DOMAINE DE IA VOLONTÉ l5^ 

elle pourra très bien au contraire nous induire en 
erreur sur une disposition générale conime la bonté, 
l'avarice, la tendance à la rancune. 

Elle peut même très bien nous amener à l'er- 
reur sur un fait particulier se rattachant à ces dis 
positions générales. Nous nous trompons très son 
vent sur notre état d'âme, on entend dire à de* 
gens furieux : je ne suis pas en colère, sans qu'il* 
mentent précisément, ou bien encore on surprend 
des affirmations comme celle-ci « moi, je ne suies 
pas superstitieux, mais je n'aime pas être treize a 
table » où, quoique l'interprétation puisse laisser 
place à quelque doute, la contradiction paraît bien 
au moins probable. Souvent on se méprend sur ses 
émotions, sur le sens de ses impressions, parfois sur 
son plaisir ou sa peine. Il est des gens qui se croient 
heureux d'événements qui, au fond, leur sont philo t 
désagréables. 

A la racine de ces erreurs et des mensonges qui 
les accompagnent et parfois les remplacent, on trouvv 
souvent une idée préconçue du devoir, une con- 
ception de ce qu'on doit être avec un désir puissant 
d'être tel qu'on le doit. On ne voudrait ni s'avouer, 
ni même se savoir autre qu'il ne convient d'être. 

Alors on interprète ses impressions en les torlu 
rant. L'idée dominante n'en laisse arriver à la cou 
science que ce qui peut s'accorder avec elle et il se 
produit une illusion tout à fait semblable par le mé- 
canisme à des illusions sensorielles, aux illusions 
visuelles qui se produisent par exemple, quand T in- 
fluence d'un sentiment, d'un souvenir, d'une idée 
préconçue, d'une habitude de l'esprit, dénature une 



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ï6o LA VOLONTÉ 

perception en en exagérant certains éléments, en en 
in h il tant certains autres. Tel est, entre mille, le cas 
du lapsus visuel de M. Egger lisant, par un coup 
<Tœil rapide, Velpeau, sur une affiche qui portait l'ins- 
criphon Ville de Pau. 

Si nous regardons de près les illusions du sens 
intime que nous venons d'indiquer, nous voyons que 
\o moi y est considérablement morcelé. Le « je suis 
hon » pensé par un homme qui n'est pas bon, im- 
plique que ce qu'il considère comme son moi n'est 
ru milité qu'une faible partie de son moi à laquelle 
viennent s'associer un système d'idées et de senti- 
un ni s qui ne pouvaient nullement s'harmoniser avec 
le moi réel. Toute une grande partie du moi réel, 
tous les sentiments, toutes les impressions, toutes 
tes lendances, toutes les idées auxquelles l'idée de 
honte ne pourrait s'associer sont systématiquement 
écartées de cette représentation du moi. Le reste, dé- 
figure et complété, représente le moi entier bien 
souvent comme un député représente ses électeurs, 
et est associé par l'esprit à toutes les conditions 
stables de la personnalité, à la cènes thésie, aux fonc- 
tions organiques vaguement perçues et à tous les 
cléments, indifférents à telle ou telle qualité morale, 
qui contribuent à former l'idée et le sentiment de 
noire personnalité. 

Le « je veux » repose souvent sur une illu- 
sion de ce genre. Le « je » auquel on attribue la 
volonté n'est pas toujours le véritable moi. Nous 
avons eu déjà l'occasion de relever quelques-unes 
des illusions de la volonté. Il en est de nombreuses 
et d<5 significatives, qui se rapportent aux erreurs 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l6l 

dont je viens de parler, et qui nous trompent sou- 
vent sur la nature et la portée de nos volitions 
ou de nos velléités. Quand le moi qui veut est 
trop fragmentaire, trop différent du moi réel, com- 
pris dans sa plénitude, la volition est faible, ineffi- 
cace, ce n'est plus guère qu'une apparence de volition, 
une impuissante velléité. Il ne représente plus qu'une 
partie insignifiante des vrais désirs et des tendances 
solides de la personnalité. Je le comparerais volon- 
tiers à un roi qui ne serait pas en harmonie d'idées 
et de sentiments avec son peuple et ne pourrait faire 
exécuter par lui ses décisions, il resterait sans auto- 
rité et sans force. Le moi est incapable de rien exé- 
cuter de difficile sans l'ensemble des tendances et des 
désirs, c'est d'eux qu'il tire sa principale force, comme 
le roi la tire de son peuple. 

Et il arrive assez souvent que les raisons, les mo- 
tifs les plus conscients, ceux qui frappent le plus 
vivement le moi apparent et l'émeuvent sont prési- 
siment ceux qui ont le moins d'influence sur les 
désirs naturels, les tendances organisées déjà. Ils 
correspondent précisément aux situations nouvelles, 
aux changements dans l'existence, à tout ce qui 
n'est pas encore suffisamment systématisé pour faire 
partie de la vie automatique. Ce sont en même 
temps, bien souvent, les désirs, les idées qui offrent 
un caractère moral et nous semblent s'imposer à nous 
comme un devoir à réaliser et comme correspondant, 
en même temps, à des tendances que nous estimons 
exister chez nous, que nous ne voudrions pas ne pas 
y trouver. 

Cette opinion souvent un peu conventionnelle que 



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IÔ2 LA VOLONTÉ 

nous avons de nous et de ce que nous devons faire 
détermine de nombreuses illusions de la volonté. 
Nous nous imaginons vouloir des choses que nous ne 
voulons pas en réalité, que notre vrai moi, mal repré- 
senté dans la conscience que nous en avons, ne veut 
pas et ne peut pas vouloir. On prend ainsi, ou l'on 
voit prendre aux autres des résolutions généreuses, et 
parfois des décisions héroïques. Elles sont accompa- 
gnées du sentiment que Ton veut réellement. Seule- 
ment le moi qui a voulu n'est pas celui qui est ca- 
pable d'exécuter. Et c'est ici que l'exécution vient 
utilement servir de pierre de touche et nous renseigner 
sur la valeur et la portée, c'est-à-dire sur la réalité 
même de nos décisions. Il est toujours relativement 
facile, pour une âme un peu étourdie et qui se 
connaît mal, de se complaire en des résolutions 
qui flattent certains de ses penchants. Mais quand 
le moment de l'exécution arrive, on voit combien la 
synthèse volitive avait été faible, partielle, et demeu- 
rait instable. Le vrai moi s'éveille, les tendances, les 
intérêts que le petit jeu d'imagination de la velléité 
antérieure avait laissés indifférents se raniment et 
dirigent l'activité dans un tout autre sens que ne 
l'aurait cru un observateur naïf, et, bien souvent, que 
ne le croyait l'agent lui-même. 

Rien de plus commun que ce fait de la décision 
prise avec une bonne foi relative et ne pouvant, mal- 
gré tout, aboutir à l'exécution. Rien de plus ordinaire 
que d'entendre dire : «je veux faire », «je ferai », 
«je dirai », « je ne souffrirai pas que... », « je 
ne veux pas supporter. . . » par des personnes qui ne 
feront rien, qui ne diront rien, qui supporteront 



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LE DOMAINE DE LA. VOLONTÉ l63 

parfaitement, mais qui se dupent elles-mêmes (dans 
une mesure d'ailleurs très variable) et que le méca- 
nisme que je viens d'analyser aveugle sur leur volonté 
réelle. 

Aussi le « je veux », la conscience de la volition, 
peut être erronée et ne suffit pas du tout à l'acte de 
volonté. Cependant il répond bien à une certaine 
réalité. Il répond à la synthèse du moi, tel qu'il est 
représenté dans la conscience, avec certaines idées, 
certaines représentations d'acte. Ce phénomène pré- 
sente bien quelques-uns des caractères de la volition 
réelle, mais l'efficacité lui fait défaut. Cette effica- 
cité il ne pourrait la tirer que de ce qui lui manque, 
de l'ensemble des désirs et des tendances qui restent 
en dehors de lui. Il est une synthèse trop partielle 
et trop incomplète, il est en somme, malgré les ap- 
parences, un élément devenu indépendant. 

Au reste il n'est pas impossible à l'observation 
intérieure d'arriver à démêler la vraie et la fausse 
volition. Avec un peu d'habitude et de bonne foi 
vis-à-vis de nous-même, nous parvenons à reconnaître 
que certaines décisions prises à de certains moments, 
sous l'influence d'un sentiment passager, bon ou mau- 
vais, attendrissement ou colère, par exemple, ne tien- 
dront pas lorsqu'il faudra passer de la résolution à l'ac- 
tion, que des résolutions auxquelles nous a conduits 
une délibération même longue en présence et sous 
l'influence de certains témoins s'affaibliront et s'an- 
nuleront quand ces témoins ne seront plus là et malgré 
la conscience que nous avons bien pu croire consta- 
ter en nous de leur solidité. Et nous arrivons à 
juger ainsi, la plupart du temps, par le souvenir 



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l64 LA VOLONTÉ 

des cas antérieurs analogues au cas présent plutôt 
que par les avertissements que notre conscience nous 
donne sur le moment même, bien que la perception 
interne puisse aussi se développer et reconnaître bien 
des nuances et même voir des faits assez gros qu'elle 
ne pouvait tout d'abord distinguer. 

On voit, il me semble par ce qui précède, en quoi 
j'accepte certaines idées de M. Ribot, et comment aussi 
je meséparede lui. « La volition, dit M. Ribot, que les 
psychologues intérieurs ont si souvent observée, ana- 
lysée, commentée, n'est donc pour nous qu'un simple 
état de conscience.. Elle n'est qu'un effet de ce travail 
psycho-physiologique, tant de fois décrit, dont une 
partie seulement entre dans la conscience sous la 
forme d'une délibération. De plus, elle nest la cause 
de rien. Les actes et mouvements qui la suivent résul- 
tent directement des tendances, sentiments, images 
et idées qui ont abouti à se coordonner sous la forme 
d'un choix. C'est de ce groupe que vient toute l'effi- 
cacité. En d'autres termes, — et pour ne laisser aucune 
équivoque, — le travail psycho-physiologique de la 
délibération aboutit d'une part à un état de con- 
science, la volition, d'autre part à un ensemble de 
mouvements ou d'arrêts. Le a je veux» constate une 
situation, mais ne la constitue pas l » . Je pense que la 
volition est autre chose qu'un état de conscience et 
qu'elle peut exister sans que nous le sachions bien 
nettement, elle est une synthèse d'éléments divers et 
comme telle elle peut être active et efficace. Quand 
elle est consciente, ses conditions et sa nature chan- 

i. Ribot, Maladies de la volonté, p. 175. 



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LE DOMÀTNE DE LA VOLONTÉ 1 65 

gent un peu, mais je ne crois pas qu'on puisse rap- 
porter son influence au côté conscient plutôt qu'au 
côté tactile ou visuel du phénomène, si la conscience 
est une perception comme les autres. Ce qui est par- 
faitement exact, c'est qu'on rencontre assez souvent 
une volition consciente qui peut être inefficace et 
impuissante, parce qu'elle est un illusion du sens 
intime, et qu'elle ne correspond pas à la réalité du 
moi. Mais elle répond bien toujours à la réalité d'une 
partie du moi, et, à ce point de vue, si son action 
est faible et souvent presque nulle, elle ne l'est pas 
absolument. Elle a toujours, en tant que synthèse 
nouvelle, la force des sentiments et des idées qu'elle 
synthétise. Et elle a beau être faible et illusoire elle 
correspond toujours à quelque réalité, et garde tou- 
jours quelque force. Je crois dpnc que le « je veux » 
ne constate pas toujours la situation aussi bien qu'il 
le semble et qu'on est porté à l'admettre, mais aussi 
qu'il la constitue dans une certaine mesure, bien 
moindre que nous ne serions portés à le croire par 
suite de l'illusion si naturelle et si fréquente du sens 
intime. 



§ fa. — Le a je veux » nest pas nécessaire à la 
volition. 

La conscience de la volition et les phénomènes 
qui l'accompagnent et la provoquent ne sont pas suf- 
fisants pour constituer une volition réelle et effi- 
cace, ni même pour la déceler sûrement. Ils en sont 
parfois le signe, mais parfois aussi ils n'indiquent 



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4ÊË 



l66 LA VOLONTÉ 

qu'une apparence, c'est-à-dire une réalité fragmentaire 
et superficielle. 

Non seulement ils ne sont pas suffisants pour con- 
stituer la volition, mais ils ne sont pas non plus né- 
cessaires. Il arrive très souvent qu'il se forme en nous 
une synthèse nouvelle et active de phénomènes 
psychologiques sans que nous pensions à nous dire : 
«je veux. » Nous pouvons vouloir sans penser que 
nous voulons, comme nous pouvons penser sans pen- 
ser que nous pensons. 

Assurément cette inconscience n'est pas absolue 
mais elle est réelle. Ce qui est conscient, c'est sou- 
vent, plus que la volition elle-même, les sentiments, 
les désirs qui la provoquent. Encore cette conscience 
est-elle en bien des cas implicite, un peu comme la 
conscience des mots quand nous lisons un livre 
qui ne nous donne aucune peine. C'est-à-dire que 
notre état, quoique très précis, ne se manifeste à 
nous que par des signes, des symboles que nous 
sentons que nous pourrions interpréter si nous le 
voulions, mais que nous nous contentons de per- 
cevoir vaguement et surtout d'utiliser sans chercher 
à les traduire. Une conscience — ou une incon- 
science — semblable de la volition prise dans son 
ensemble est assez ordinaire aussi. Nous n'avons 
pas précisément conscience de vouloir, nous ne nous 
disons pas positivement « je veux telle chose » mais 
nous avons cependant une certaine connaissance de la 
décision qui se forme en nous, sans chercher à l'anse 
lyser et à en préciser le caractère psychologique. 

La volonté n'est pas dans ce cas-là moins efficace, 
elle n'exprime pas moins la nature essentielle de la 



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■ W' * * 



Le domaine de La Volonté 167 

personnalité. A vrai dire on peut considérer cette di- 
minution de la conscience comme un pas fait vers 
l'automatisme, mais il n'y a pas de limite précise 
entre l'automatisme et la volonté. Il y a toujours 
quelque automatisme dans une volition quelconque- 
Dans ces conditions les formes les plus rapprochées 
de la volonté la plus caractérisée doivent être consi- 
dérées encore comme se rattachant à la volonté 
bien plus qu'à l'automatisme. Elles en présentent 
d'ailleurs les caractères essentiels : la nouveauté 
de la synthèse, les trois phases caractéristiques : dé- 
libération ou hésitation, décision et exécution, et 
elles sont bien plus éloignées de l'inconscience et de 
la régularité que l'automatisme. 

Il faut bien se rendre compte, en tout cas, que ce 
qui importe pour l'efficacité de la volition, ce sont 
les désirs et les idées qu'elle synthétise en un fait 
nouveau, et non la conscience que nous avons de 
cette synthèse. Ce qui importe, ce n'est pas que le 
moi se dise qu'il prend telle ou telle résolution, cY*L 
qu'il la prenne réellement. Et s'il lui arrive de se 
dire qu'il la prend sans la prendre en effet, il lui 
arrive aussi de la prendre sans songer beaucoup à se 
\e dire. La conscience même n'a de valeur que 
par le désir dont elle témoigne, par la petite 
synthèse dont elle est l'indice. Lorsqu'elle est seule, 
avec son seul cortège obligatoire de phénomè- 
nes psycho-physiologiques, elle ne suffit pas à assu 
rer l'efficacité du vouloir, et lorsqu'elle fait plus ou 
moins défaut, pourvu que la synthèse nouvelle des 
idées et des sentiments s'opère, l'efficacité du vouloir 
est assurée par cela même. 



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l68 LÀ VOLONTÉ 

§ 5. — Le domaine de la volonté. La volonté et les 
autres phénomènes psychiques. 

Ainsi l'efficacité de la volonté c'est surtout l'effica- 
cité des désirs et des idées qui en sont les éléments, 
c'est aussi l'efficacité de l'ensemble dans lequel elle les 
unit, car toute synthèse mentale agit comme ensem- 
ble, elle constitue une sorte de désir nouveau, de 
tendance nouvelle, de force nouvelle. En tout cas 
elle est un nouvel élément de l'esprit agisssant selon 
sa nature propre, et suscitant les phénomènes qui la 
complètent, qui constituent l'exécution de la volition. 

Le domaine delà volonté a des limites. Dans notre 
personnalité les divers éléments lui sont plus ou moins 
soumis, peuvent plus ou moins être influencés par 
elle, il en est sur lesquels sa prise est généralement 
considérée comme nulle, c'est-à-dire qu'ils ne sont 
pas influencés par les nouvelles synthèses psychiques 
qui sont des volitions. Nous verrons avec quelles 
réserves et quelles interprétations il faut accepter cette 
idée. t 

Ce domaine de la volonté varie extrêmement d'une 
personne à l'autre et aussi chez une même per- 
sonne, selon le temps et les circonstances. Il n'a 
rien d'absolu. De plus entre les états du moi qui 
échappent à la volonté et ceux qui lui sont soumis, 
on trouve, au point de vue psychologique, toutes les 
transitions possibles. Et ces transitions ne s'établissent 
pas d'une manière fixe, mais on peut dire qu'elles 
sont constamment plus ou moins en train de varier. 
Il est des états, des actes qui tantôt sont soumis à 



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LE DÔMAtNË t)E LA VOLONTE 169 

la volonté, tantôt se laissent un peu influencer par 
elle et tantôt lui échappent pour être parfois reconquis 
ensuite. 

Sous le bénéfice de ces observations nous pouvons 
constater l'existence de toute une zone de phénomènes 
qui sont assez bien soumis, plus ou moins directement, 
à la volonté. Par exemple, à l'état normal, les mouve- 
ments ordinaires de nos membres sont assez rigou- 
reusement sous sa dépendance, au moins chez l'adulte, 
une fois qu'a été fait l'apprentissage nécessaire et que 
les premiers réflexe sont été coordonnés, et, en même 
temps, analysés plus ou moins instinctivement au fur 
et à mesure de la formation et de l'organisation du 
moi. Il suffit que je veuille écrire, si toutes les condi- 
tions extérieures nécessaires sont réunies, pour que ma 
main fasse les mouvements appropriés. Il suffit que 
je veuille marcher pour que je marche en effet, et si 
je veux remuer la tête, c'est bien la tête que je 
remue. 

En outre nous pouvons agir volontairement sur 
les phénomènes de la vie psychique et cette action 
est régulière et précise. Je puis me rappeler à vo- 
lonté certains événements, certaines dates, certaines 
notions scientifiques. Il y a ainsi en nous une 
foule d'idées virtuelles que nous pouvons évoquer 
dès que nous en prenons la décision. Nous pouvons 
de plus, jusqu'à un certain point, les faire vivre un 
moment en nous, les faire prédominer quelques instants 
dans le champ de la conscience, et c'est ce qu'on 
appelle l'attention. L'attention, en effet, qu'elle s'ap- 
plique à des idées, à des sentiments, à des images est, 
sous certaines de ses formes au moins, car il faut faire, 
Paul» an. 10 



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Î^Ô LA VOtONTE , 

avec M. Ribot, la part très large à l'attention 
spontanée 1 , une manifestation de la volonté. L'at- 
tention spontanée ne s'oppose pas d'ailleurs abso- 
lument à l'attention volontaire. Chacun a remar- 
qué qu'il peut, en bien des cas, penser à ce qu'il 
veut. Sans doute souvent l'enchaînement des idées 
se fait automatiquement et sans l'intervention de 
la volonté, mais il arrive aussi que la volonté 
intervienne, d'une manière plus ou moins nette et 
plus ou moins marquée. Les conditions qui lui sont 
nécessaires sont, en effet, souvent réunies, je veux 
dire un certain degré de perfectionnement de l'auto- 
matisme et en même temps son insuffisance à régler 
d'une manière tout à fait convenable le jeu des idées et 
leurs combinaisons. 

L'invention dont j'ai eu souvent à faire remar- 
quer les analogies avec la volonté peut elle-même 
être considérée, en bien des cas, comme une appli- 
cation de la volonté se portant vers certaines combi- 
naisons d'idées et d'images. Il y a, en effet, toujours 
ou presque toujours quelque chose de volontaire dans 
l'invention. Les tâtonnements qui la précèdent sont 
des essais assez semblables à la délibération, ils con- 
stituent une sorte de délibération intellectuelle, en tant 
qu'ils consistent à éprouver l'accord de quelques ten- 
dances intellectuelles avec quelques idées, quelques 
images qui doivent les compléter. C'est le cas de 
l'élève qui examine un problème, et essaye plusieurs 
solutions, ou même plusieurs méthodes pour arriver 
à trouver la bonne réponse. C'est le cas de l'auteur 

i. Voir Ribot, Psychologie de l'attention. Paris, Alcan, 1889. 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ I7I 

qui évoque plusieurs dénouements possibles pour un 
roman, plusieurs combinaisons possibles pour le déve- 
loppement d'une intrigue. Il y a sans doute, en tout 
cela, autre chose que des phénomènes de volonté mais 
les phénomènes de volonté y sont et y tiennent une 
place considérable. 

La formation de nos croyances implique aussi une 
bonne part d'intervention de notre volonté. Le choix 
d'une croyance n'est pas moins volontaire que celui 
d'un acte. Sans doute l'évidence, au moins apparente, 
peut parfois ne pas nous laisser le choix entre plusieurs 
croyances et en imposer une d'emblée à notre auto- 
matisme intellectuel, mais la nécessité, l'utilité au 
moins apparente peut aussi bien parfois ne pas nous 
laisser le choix entre plusieurs actes et en imposer un, 
d'emblée, à notre automatisme affectif. 

Dans le mécanisme des phénomènes, tout se passe 
de même, en somme, qu'il s'agisse d'adopter une 
croyance ou de décider un acte. Nous examinons les 
différentes opinions en les mettant en rapport avec 
les idées acquises, avec les habitudes, les tendances 
intellectuelles déjà formées, et aussi avec nos idées 
et nos paroles (d'une manière souvent irrationnelle) 
comme nous éprouvons la représentation d'un acte 
en la mettant en rapport avec nos désirs acquis et 
nos tendances organisées et aussi avec nos idées et 
nos croyances. La délibération ne diffère pas, d'un 
cas à l'autre, essentiellement. La décision aussi est 
identique. Elle consiste ici et là dans la formation 
d'une synthèse nouvelle englobant des éléments variés 
et succédant à des ébauches de synthèses diverses. 
La fixation de la croyance correspond tout à fait à la 



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172 LA VOLONTÉ 

décision, on adopte une opinion comme on prend une 
résolution. Il y a, dans un cas comme dans l'autre, 
enrichissement et développement du moi. L'opinion 
que je fais mienne, me fait sienne à son tour, elle est 
une partie de moi comme la décision que j'ai prise. 
Et, comme la décision aussi, elle crée le moi, elle le 
fixe, elle détermine dans une certaine mesure son 
orientation future. 

Nous pourrions retrouver encore ici les diverses 
formes de la volonté, le caprice, le pouvoir personnel 
et les états intermédiaires. Il est des gens qui ont 
l'intelligence capricieuse, qui adoptent des croyances, 
des opinions et les abandonnent au gré de leur 
fantaisie sans qu'une raison sérieuse les y pousse, 
comme d'autres agissent au gré de désirs inconstants 
et peu coordonnés. Il en est aussi qui réfléchissent 
mûrement avant de laisser leur esprit se fixer, s'ar- 
rêter sur une opinion, chez qui la délibération est 
une phase importante, qui ont des habitudes d'esprit 
impérieuses, des croyances générales, des principes à 
l'épreuve desquels ils soumettent toutes les idées qui 
leur arrivent ou qu'on tente de leur suggérer et qui 
ne se décident qu'après mûre réflexion. Chez eux le 
pouvoir personnel est très fort, au moins au point de 
vue intellectuel, car il se peut que dans leurs actes 
ils soient beaucoup plus impulsifs que dans la con- 
stitution de leurs croyances. 



§ 6. — La volonté et les phénomènes intellectuels. 
Malgré les analogies et les identités partielles qui 



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'. 



LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 1^3 

relient si étroitement Tune à l'autre la volonté mo- 
trice et la volonté intellectuelle, on paraît générale- 
ment méconnaître leurs rapports et on les oppose 
volontiers Tune à l'autre. 

Sans doute cette opposition repose sur des faits. 
Certains hommes qui ont une volonté assez développée 
pour agir ont peu de volonté pour penser, et récipro- 
quement. Seulement les deux formes d'esprit qui 
s'opposent ainsi se différencient beaucoup moins par 
l'opposition de la non-volonté à l'absence de vouloir 
que par l'opposition d'une forme de volonlé a une 
autre forme de volonté. 

L'intelligence, en effet, est une activité, tout comme 
l'activité motrice qu'elle peut, du reste, mettre en 
jeu, et, comme l'activité motrice, elle peut être auto- 
matique ou volontaire. Elle est souvent automatique, 
mais souvent aussi c'est un acte volontaire plus ou 
moins caractérisé qui la dirige l . 

Nous avons vu que la délibération et fa décision 
étaient, dans les deux cas, parfaitement comparables. 
Peut-être jugera-t-on qu'il n'en est pas de même 
pour la troisième phase de l'acte volontaire, l'exé- 
cution. Je crois bien que c'est là, en effet, que se fonde 
l'opinion ordinairement acceptée sur l'opposition de 
la volonté et de l'intelligence. Mais si Ton y regarde 
de près, cette opposition s'atténue et même disparaît 
je crois. J'ai défini l'exécution en montrant quelle 
était essentiellement une conséquence ou un ensemble 

i Pour les rapports de l'intelligence avec les phénomènes af- 
fectifs et les tendances, rapports qui éclairent ceux de l'intelli- 
gence et de la volonté, je renverrai le lecteur à mes volumes : 
Les Phénomènes affectifs et Esprits logiques et Esprit* faux-. 



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174 LA VOLONTÉ 

t le conséquences logiques de la synthèse nouvelle que 
représente la décision, un groupe de phénomènes 
-vstématisés qui conforme l'organisme psychologique 
et corrélativement, au moins dans une certaine me- 
sure, l'organisme physiologique à cette décision. J'ai 
In désir de partir, je décide de partir, je veux partir, 
et j'exécute cette décision en lui associant les idées, 
les sentiments, les paroles, les mouvements des bras 
et des jambes qui lui adaptent, dans la mesure du 
possible, ma personnalité. 

Mais nous trouvons des phénomènes exactement 
analogues dans le fonctionnement de l'intelligence. 
Les diverses idées, les diverses conceptions intellec- 
\ uelles que nous formons en nous sans y adhérer po- 
sitivement, sans les faire naître, sont les analogies 
des idées d'actes, des représentations de mouvements, 
des désirs vagues, des sentiments qui s'agitent en 
nous sans s'imposer à notre activité, sans chercher à 
la diriger. La critique d'une idée, son examen, son 
adoption réfléchie, sa transformation en croyance 
raisonnée équivalent à la délibération et à la décision. 
Mais ce qui suit l'adoption d'une croyance, la trans- 
formation que subit corrélativement le reste de nos 
idées, et même l'influence qu'exerce cette croyance 
sur nos actions, voilà, dans le domaine de l'intelli- 
gence, l'équivalent de l'exécution. 

Tout n'est pas fini, en effet, et il s'en faut, 
quand nous avons adopté une croyance, c'est là déjà 
pourtant un commencement d'exécution. La déci- 
sion, on le sait, ne s'en distingue pas essentiellement. 
Mais il faut encore, pour que notre acte de volonté 
ait été bien sérieux, quand nous avons accepté comme 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 176 

vraie une nouvelle idée, que cette idée, que la synthèse 
nouvelle qui la représente, transforme notre intelli- 
gence dans la mesure qu'exige la logique, qu'elle 
éveille tout un système d'idées qui viennent la com- 
pléter et la maintenir comme les volitions secondaires 
et les mouvements appropriés venaient compléter la 
synthèse primitive de la décision. 

Si, en effet, j'accepte comme vraie telle opinion que 
je me suis faite sur la meilleure constitution politi- 
que et sociale pour la France à l'heure actuelle, il 
faut, c'est l'exécution de cette décision de mon esprit, 
que je renonce à quelques-unes de mes anciennes 
idées et de plus que je transforme ma façon de voir 
sur des points de détail ou que je me fasse une opi- 
nion sur des points qui ne m'auraient point encore 
intéressé. Cela est exactement l'analogue de l'action 
motrice dans les cas de la volonté telle qu'on la com- 
prend ordinairement. De plus il faudra aussi que 
je conforme ma conduite à ma croyance, que je vote 
d'une certaine façon, ou que je m'abstienne pour 
certaines raisons, etc. Ici de nouvelles décisions 
interviendront sans doute, mais elles-mêmes seront, 
à bien des égards, l'exécution de ma décision intel- 
lectuelle primitive, comme les volitions secondaires 
qui accompagnent et qui suivent une volition prin- 
cipale. 

Et cette exécution, ce système d'actes, d'idées, 
de sentiments qui vient compléter la décision intel- 
lectuelle, mesure la force et le sérieux de cette déci- 
sion comme l'exécution motrice, l'action, mesurait 
le sérieux de la décision active, et nous renseigne 
même sur l'existence réelle de cette décision. 



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I76 LA VOLONTÉ 

La velléité dans la croyance . n'est pas moins fré- 
quente que dans l'activité extérieure. Bien des gens 
s'imaginent avoir adopté une croyance, comme d'au- 
tres s'imaginent avoir pris une décision, qui, en 
réalité, se trompent et n'ont eu que des velléités, des 
ébauches de croyances. Sans doute la décision, intel- 
lectuelle ou concernant l'activité extérieure, même 
faible, est toujours un phénomène réel et appréciable, 
mais on conçoit que sa valeur puisse varier infini- 
ment de la foi active et conquérante à l'opinion ac- 
ceptée et presque oubliée immédiatement, de la vo- 
lonté énergique à la velléité douteuse. Les deux séries 
se suivent parallèlement d'une de leurs extrémités à 
l'autre. 



§7. — Volition et perception. 

Peut-être l'action de la volonté sur les perceptions, 
et les images vives en général, paraîtra- t-elle plus 
douteuse, à première vue, que son action sur les idées 
et les images qui se rapprochent plus de l'idée. Il 
semble bien pourtant que cette action soit loin d'être 
nulle dans la plupart des cas. 

Il suffira, sans doute, de rappeler tout d'abord 
l'influence de l'attention volontaire. Elle rend certai- 
nement nos perceptions plus distinctes et plus pré- 
cises. Si nous regardons, c'est souvent parce que nous 
voulons voir, et si nous voyons, c'est souvent parce 
que nous avons regardé. Une foule de perceptions 
n'existent en nous que parce que nous avons voulu 
les avoir. La vision automatique et spontanée laisse 



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LE DOMAINE DE LA. VOLONTE I77 

souvent échapper bien des éléments auxquels la vi- 
sion attentive et réfléchie permet de se développer. Il 
en est de même pour tous les ordres de perception. 
Si nous voulons avoir la perception nette d'un 
goût complexe et la représentation des différents 
goûts simples qui le composent il n'est pas inutile de 
tendre notre attention et de faire un acte de volonté, 
La volonté, l'attention, disposent les systèmes psy- 
chiques à recevoir, à accepter, à isoler, à faire vivre 
avec plus d'ampleur un plus grand nombre des 
éléments d'une impression qui provient d'une cause 
extérieure. 

Cette influence de la volonté sur la perception 
n'est pas absolument identique à celle qu'exerce 
la volonté sur les souvenirs par exemple. Cepen- 
dant il y a entre les deux plus de ressemblances 
qu'on ne paraît le croire communément. Sans don le 
la volonté se borne ici à mettre l'organisme dans les 
meilleures conditions pour recevoir l'excitation du 
dehors. Seulement il ne faut pas oublier que l'exci- 
tation extérieure est la condition nécessaire de la per- 
ception et on ne peut exiger de la volonté qu'elle y 
supplée. Et d'autre part la volonté se borne aussi 
bien souvent, en ce qui concerne l'activité, à laisser 
s'accomplir une action automatique, à mettre l'or^ 
ganisme dans les meilleures conditions voulues pour 
que l'exercice spontané de l'activité motrice puisse 
s'effectuer sans obstacles. Les deux phénomènes sont 
donc assez semblables l'un à l'autre. 

La volonté intervient utilement aussi sur les ima- 
ges vives, par le mécanisme de l'attention. On sait 
que certains observateurs peuvent se représenter men- 



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I78 LA VOLONTÉ 

talement une croix rouge avec une vivacité suffisante 
pour faire apparaître ensuite, par contraste successif, 
l'image complémentaire verte. Sans discuter ici l'in- 
terprétation de l'expérience à d'autres égards, nous 
pouvons y trouver, au moins, une preuve de l'in- 
fluence de la volonté sur les images. Naturellement, 
ici encore, la volonté ne fait que permettre à nos fa- 
cultés personnelles de s'exercer dans de bonnes con- 
ditions. Tout le monde ne peut pas, à son gré, 
reproduire cette expérience. Il y faut un ensemble 
de conditions psycho-organiques que nous appelle- 
rons puissance de visualisation et qui est assez rare. 

Nous avons ici une occasion de reconnaître en- 
core ce que c'est que le pouvoir de la volonté et com- 
ment il s'exerce. Il ne crée pas de lui-même la force 
qu'il laisse manifester, et profite des forces automa- 
tiques et spontanées de l'organisme. La volition seule, 
sans associations psycho-physiologiques suffisantes 
reste sans efficacité. Mais cependant elle a une cer- 
taine force par elle-même, une force analogue à celle 
des idées et des désirs, à celle des autres systèmes 
psychiques, parce qu'elle est elle-même un système 
psychique. Sans cette synthèse psychique nouvelle, 
il arrive assez souvent que les idées et les désirs 
demeureraient impuissants comme elle serait impuis- 
sante sans eux. Et les faits que nous examinons main- 
tenant confirment et complètent ce que nous disions 
tout à l'heure au sujet du pouvoir personnel, du « je 
veux », de sa nature et de son influence. 

La volonté peut aller jusqu'à déterminer des sen- 
sations, des hallucinations d'espèces variées. Voici 
quelques cas que j'emprunte à un livre bien connu 



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LE DOMAINE DÉ LÀ VOLONTE Î79 

de Hack Tuke, où l'on en trouvera d'autres qui ne 
sont peut-être pas tous très satisfaisants. « Le D r Guy 
raconte que, tout enfant, il était chétif et malingre, 
et qu'il avait alors la faculté de se créer à volonté des 
visions très nettes. « Je pouvais, dit-il, dessiner en 
petit, sur fond noir, les tableaux même les plus com- 
pliqués, compléter l'un après l'autre tous les objets 
et leur donner leurs contours et leurs couleurs véri- 
tables. A cette époque, j'avais, pendant le sommeil, 
l'imagination extraordinairement active, et qui me 
causait les songes les plus terrifiants. Ma santé s'étant 
améliorée, je perdis cette faculté de me créer à vo- 
lonté des visions ; depuis ma septième année je ne 
l'ai jamais recouvrée,... » 

« Un médecin de mes amis, actuellement décédé, 
avait la faculté remarquable de pouvoir volontaire- 
ment se représenter les visages soit de personnes qu'il 
connaissait, soit d'autres personnes. Comme il des- 
sinait fort bien, nous l'engageâmes à dessiner des 
visages qu'il voyait ainsi, et en 1874, nous présentâ- 
mes ses dessins à la séance annuelle de la Société 
Médico-Psychologique de Londres. 

« Le fait suivant montre l'influence de la volonté 
sur la sensation normale : Il y a, dans la province 
d'Anvers, un médecin distingué qui peut, ajoute 
heure du jour, et dans n'importe quelle partie de 
son corps, produire, à volonté, une douleur plus 
ou moins vive d'intensité variable ; il la produit plus 
ou moins facilement, suivant les différentes parties du 
corps. Des articulations la douleur s'irradie dans 
toutes les parties inférieures du membre, de la région 
cervicale à toute la tête ; du dos^elle donne à la poi- 



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l8o LA VOLONTE 

trine une sensation de constriction ; des reins elle se 
répand vers l'abdomen. » Et le fait qui nous 
montre l'influence de la volonté nous en montre 
aussi les limites. « Mais c'est dans la paume des 
mains que la force de la volonté produit les sensa- 
tions les plus marquées. Partout ailleurs, la douleur 
disparaît dès que la volonté qui l'a produite cesse 
d'agir, mais aux mains elle persiste longtemps, elle y 
est même très vive, et il faut au patient une distrac- 
tion très puissante pour qu'il puisse s'en débarrasser. 
Il faut ajouter qu'au moment où ce médecin repro- 
duit ainsi une douleur, les pulsations des vaisseaux 
sont beaucoup plus appréciables dans les parties où 
la douleur est produite 1 . » 



§ 8. — La volonté et V activité intellectuelle générale. 

Nous pourrions multiplier les exemples de l'action 
de la volonté sur l'intelligence. Nous en trouverions de 
nouveaux dans les recherches de Gai ton sur les 
images mentales et la possibilité de les faire revivre 2 , 
possibilité qui varie beaucoup d'une personne à l'autre, 
nous pourrions citer aussi des cas plus spéciaux à 
certains égards, mais où se montre l'action de 
la volonté sur l'intelligence en général. Ribot cite 
d'après Billod, un fait très intéressant : « J'ai vu à 
Bicêtre, dit Billod, un paralytique général, dont le 

i. « Cité par Warlomont, dans son rapport sur Louise La- 
teau. » Hack Tuke, Le Corps et l'Esprit, trad. de V. Parant, 
p. 289, 291-392. Paris, J.-B. Baillière, 1886. 

2 . Galton , Inquiry into human faculty and its développement. 



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niF^ 



LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l8l 



délire des grandeurs était aussi prononcé que possible, 
s'évader, se rendre pieds nus, par une pluie battante, 
et de nuit, aux Batignolles. Le malade resta dans 
le monde un an entier, pendant lequel il lutta de 
toute sa volonté, contre son délire intellectuel, sentant 
très bien qu'à la première idée fausse, on le ramène- 
rait à Bicêtre. Il y revint cependant. — J'ai rencontré 
plusieurs autres exemples de cette intégrité de la 
volonté se conservant assez longtemps chez les para- 
lytiques généraux 1 . » 

Nous remarquons dans tous ces faits la grande 
différence qui sépare les individus les uns des autres, 
au point de vue de l'influence de la volonté. Les mêmes 
choses ne sont pas pareillement soumises à la vo- 
lonté chez les différents individus. Sans doute cer- 
tains phénomènes dépendent d'elle à peu près chez 
tous les hommes normaux, sans doute aussi certains 
autres restent à peu près chez tous hors de son do- 
. maine, mais il y a toute une grande zone où la volonté 
gouverne plus ou moins. Il faut rapporter ces diffé- 
rences aux différences d'organisation des différentes 
personnalités. L'empire de la volonté est d'autant 
plus grand que l'association systématique est plus 
généralisée, plus forte et plus simple à la fois, pourvu 
que ces qualités n'aillent pas toutefois jusqu'à substi^ 
tuer à ]a volonté un automatisme supérieur, ce qui 
n'est d'ailleurs jamais le cas chez l'homme pour 
l'ensemble de la personnalité 2 . 

i. Ribot, Maladies de la volonté, p. 101. 

2. M. Zola apparaît, dans l'observation si détaillée du 
D r Toulouse, comme très remarquablement doué pour l'utili- 
sation volontaire de l'activité intellectuelle en général. Cela se 

Paulhan. II 



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i8a Là Volonté 



§ g. — La volonté et les phénomènes affectifs. 

Sur les phénomènes affectifs aussi la puissance de 
la volonté varie d'une personne à l'autre. Il semble 
que la volonté expresse, le « je veux », intervient 
moins. Cependant nous avons une certaine influence 
directe sur nos sentiments et nos passions. Nous pou- 
vons dans une certaine mesure les diminuer ou les 
grandir. 

Il est assez rare que nous en disposions à notre gré. 
Ce n'est guère en examinant l'empire incontesté de 
la volonté, le pouvoir qu'elle exerce le plus facilement 
et le plus communément que. l'on doit étudier son 
influence sur les phénomènes affectifs. 

Voici cependant le peu qu'on peut tirer, à mon 
avis, de la question au point de vue qui nous inté- 
resse. Il semble que notre volonté influe plus que 
nous ne croyons sur l'arrêt et le développement de 
nos dosirs et de nos tendances, quand ces désirs et ces 
tendances ne sont pas encore très forts et bien or- 
ganisés. Je crois que ce genre d'influence passe bien 
souvent inaperçu. Chacun de nous porte en lui une 



marque par les « procédés rationnels, scientifiques », qu'il em- 
ploie pour faire ses romans. La mémoire involontaire est moins 
développée chez lui que la mémoire volontaire, et quoique 
celle-ci ne soit pas trop développée a certains égards. Mais, c'est 
h leur plus ou moins grande utilité actuelle » qui fait fixer, 
conserver et rappeler ses souvenirs et « celte dernière condition 
permet à M. Zola de tirer de sa mémoire le meilleur rende- 
ment avec le minimum de déchet. » Voir E. Toulouse, Emile 
Zofa r p, 223, 191, 272, etc. Paris, Société d'éditions scientifi- 
ques, [S 96. 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l83 

foule de sentiments très conventionnels, bien moins 
naturels en un sens, et bien moins vivaces qu'il ne 
pense, bien moins réels en somme. Ils ont cependant 
quelque réalité, et cette réalité, ils la doivent soit à 
notre volonté, plus ou moins expressément formulée, 
soit au fonctionnement automatique de la personnalité, 
de l'ensemble de nos pouvoirs, de nos tendances et 
de nos idées qui inhibe ou exalte continuellement nos 
impressions. 

Je crois bien qu'ici la volonté se rapproche beaucoup 
quand elle se manifeste, de l'automatisme et de l'ins- 
tinct. C'est qu'il faut, en général, une organisation 
très forte et très bien systématisée, pour agir sur les 
phénomènes affectifs. La velléité n'y parviendrait pas. 

La volonté consciente, la volonté sous toutes ses 
formes, d'ailleurs, impliquant à des degrés divers une 
certaine imperfection de l'organisation, il ne faut pas 
être surpris de ne pas reconnaître toujours bien vi- 
siblement son action, dans les cas où précisément une 
très forte organisation est nécessaire. Surtout, il ne faut 
pas s'attendre à voir, en général, son action s'opposer 
nettement à l'action de l'automatisme. Si elle s'op- 
pose ici à certains processus automatiques, c'est en 
s'appuyant sur un automatisme plus fort qu'eux. 

La force de la volonté ne s'exerce guère sur nos 
sentiments qu'en s'appuyant sur des sentiments très 
puissants et solidement organisés, sur des croyances an- 
ciennes ou extrêmement vivaces. Et bien souvent le 
rôle actif de la volonté sera complètement ou presque 
complètement éclipsé par le jeu plus ou moins conscient 
et à peu près automatique des tendances, des idées 
et des phénomènes affectifs. 



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l84 tA VOLONTÉ 

Sous le bénéfice de ces réserves, nous pouvons 
rapporter en partie à l'action de la volonté le déve- 
loppement ou l'arrêt d'une foule de sentiments qui 
vivent en nous ou qui s'y atrophient, et dont quel- 
tpies-uns, parmi ceux que nous croyons les plus 
solidement établis, n'ont qu'une vie d'emprunt, due 
à des préjugés, à des influences extérieures, ou bien 
encore à la pression de nos besoins, de nos sentiments, 
pression dont bien souvent nous n'avons à peu près 
aucune connaissance directe ou non. 

Il est assez évident, mais il n'est pas moins remar- 
quable que les sentiments qui se développent en nous 
sont, en général, malgré des exceptions qui ne sont 
pas très rares et qui se font d'ailleurs assez aisément 
reconnaître, en harmonie avec l'ensemble de notre 
personnalité, etceux qui ne peuvent s'harmoniser ainsi, 
s'ils viennent à se produire, sont assez souvent arrêtés 
dans leur développement et dissous peu à peu, par les 
antagonistes qu'ils rencontrent. 

C'est là une des expressions de la systématisation 
psycho-organique. Elle va même jusqu'à donner sou- 
vent l'apparence et parfois la réalité de la vie à des 
sentiments que l'individu n'est pas très disposé à 
éprouver, mais qu'il éprouve tout de même et surtout 
qu'il croit éprouver, parce qu'il croit devoir les éprou- 
ver, parce qu'il « veut » les éprouver, parce que ses 
autres sentiments et l'ensemble de ses idées le portent 
à les ressentir. 

Beaucoup de nos sentiments en effet ne correspon- 
dent pas à la réalité psychique qu'ils semblent indi- 
quer. Dans l'affection que les gens éprouvent les uns 
pour les autres il entre beaucoup de mensonge, de 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l85 

convention et une certaine dose de volonté. Les affec- 
tions basées sur des liens de famille, sur des rappro- 
chements dehasard, ne sontpas toujours, maissont bien 
souvent dans ce cas. Je crois que si chacun voulait 
s'examiner soi-même il verrait assez souvent, avec une 
certaine habitude de l'observation, que bien des per- 
sonnes qu'il a aimées, il les a aimées, au fond, 
beaucoup moins qu'il n'a cru et aussi bien moins 
spontanément, par entraînement, par convenance, 
par habittude, pour une foule de raisons dans les- 
quelles la volonté intervient pour une part, si petite 
soit-elle. 

De même, il est des affections que nous n'éprou- 
vons pas, parce que nous ne youlons pas les éprouver. 
Nous les aurions éprouvées si nous nous étions lais- 
sés aller à nos penchants naturels, mais d'autres pen- 
chants ont contrarié ceux-ci, et la volonté, le pouvoir 
personnel se sont prononcés pour eux, et ont avec eux 
empêché les autres de se développer. 

Il faut ajouter, d'ailleurs, que le pouvoir de la vo- 
lonté peut s'exercer d'une façon plus ou moins di- 
recte et très indirecte souvent. La volonté peut in- 
fluer beaucoup sur le développement et l'arrêt des 
sentiments, en agissant sur les conditions favo- 
rables ou défavorables à ces sentiments, et il faut 
compter, parmi ces conditions, l'exercice de l'intelli- 
gence. 

Nous pouvons en effet, agir avec efficacité pour 
nous placer dans les conditions qui entraîneront 
la floraison d'un sentiment quelconque, ou son 
avortement pourvu qu'il ne soit pas encore trop 
fort. C'est une des choses les plus importantes 



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l86 LA VOLONTÉ 

pour la conduite de la vie, que de pouvoir discerner 
à l'avance la nature et le rôle possible, et même 
l'existence possible d'un désir dont le germe existe 
encore à peine. Bien des gens ignorent leurs propres 
sentiments jusqu'à ce qu'ils aient acquis une force 
à peu près irrésistible, d'autres se méprennent tota- 
lement sur leur valeur. Ceux qui montrent plus de 
perspicacité peuvent intervenir utilement, s'ils se 
décident vite à intervenir. Ils pourront d'abord 
s'opposer directement à la passion naissante, ou l'en- 
courager, au contraire, ils pourront surtout se placer 
dans des conditions qui amènent automatiquement, 
pour ainsi dire, son atrophie ou son développement. 
Si l'on craint par exemple, après avoir joué quel- 
quefois, de trop prendre goût au jeu, il sera peut- 
être difficile de s'obliger directement à trouver le jeu 
désagréable ou ennuyeux mais on pourra plus aisé- 
ment s'abstenir de fréquenter les endroits où l'on 
joue, et d'autre part, susciter des sentiments en con- 
currence avec l'amour du jeu, se créer des distrac- 
tions, des occupations, un peu absorbantes engager 
ses soirées à l'avance. 

On agit aussi sur les sentiments par les idées. 
Nous savons que certaines idées entraînent natu- 
rellement avec elles des sentiments déterminés. 
La croyance qu'une chose doit nous être nuisible 
tend à nous inspirer un certain éloignement pour 
elle. Il se peut donc que la considération réfléchie 
des inconvénients du jeu puisse avoir quelque in- 
fluence sur nos sentiments à l'égard de cette dis- 
traction. Et l'opération inverse, celle qui consiste à 
fortifier un sentiment au lieu de l'appauvrir est évi~ 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 187 

demment analogue et plus ou moins facilitée par de 
semblables moyens 1 . 

L'intelligence donne à la volonté un moyen assez 
faible mais très général d'agir sur les sentiments. 
Comme nous pouvons, en effet, diriger souvent selon 
notre volonté le cours de nos idées et de nos images, 
comme aussi ces idées et ces images sont systémati- 
quement rattachées en bien des cas à des sentiments 
précis, nous pouvons, dans une certaine mesure, exciter 
ou arrêter à notre volonté tel ou tel sentiment. Il est 
assez fréquent que le désir d'éprouver, à un degré plus 
ou moins élevé mais souvent assez bas, telle ou telle 
émotion nous induise à penser volontairement à tel ou 
tel fait, à telle ou telle scène, à nous souvenir, à pré- 
voir ou à imaginer de façon à susciter en nous l'émo- 
tion souhaitée. Et, au contraire, nous évitons volon- 
tairement de penser à certaines scènes pénibles, de 
laisser s'évoquer en nous certains souvenirs ou se 
former certaines imaginations pour éviter les émotions 
désagréables qui les accompagnent d'ordinaire ou que 
nous prévoyons bien devoir les accompagner. 

Nous sommes ainsi les maîtres de nos émotions, 
nous les évoquons ou nous les écartons selon notre 
désir et conformément à notre volonté. Seulement 
les émotions que nous dirigeons ainsi sont surtout 
celles qui sont liées au jeu volontaire des images et 
des idées, c'est-à-dire des émotions de souvenir et 
d'imagination. Ce ne sont guère, d'une manière 



1. Voir à ce sujet le livre de M. Payot sur Y Education de la 
volonté. Paris, Alcan, 1894. L'auteur y a bien indiqué et 
analysé les différents moyens d'agir sur ses sentiments. 



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l8S LA VOLONTÉ 

générale, celles qui sont liées à des perceptions, 

< 'est-à-dire à la vie objective réelle. Sur celles-ci 
nous agissons plutôt indirectement, comme sur les 
perceptions elles-mêmes, en nous plaçant, ou au 
i un traire, en évitant de nous placer dans les 

< 'mditions voulues pour que ces perceptions se 
produisent, et, avec elles, les sentiments et les émo- 
tions qui les accompagnent naturellement. 

Cette maîtrise des émotions est donc une maî- 
1 1 îse de virtuose, plutôt que d'homme pratique. Elle 
varie beaucoup, comme les facultés analogues que 
nous avons déjà étudiées, selon les personnes. Il en 
est qui évoquent, bien plus facilement que d'autres, 
ries impressions affectives. Il en est qui s'y com- 
plaisent, en font une sorte d'art. Et d'ailleurs la 
poésie ou plutôt un certain genre de poésie me pa- 
raît généralement conditionné par une aptitude de 
ce genre en même temps que, sans doute, elle sert à 
la développer et à satisfaire le besoin qui lui corres- 
pond. J'en dirai autant pour certaines formes du 
roman, en considérant bien entendu les auteurs des 
romans et non leurs lecteurs dont le cas est quelque 
peu différent et que nous retrouverons plus loin. 

Ce n'est pas à dire pourtant que si cette influence 
lIc la volonté sur les émotions, s'exerce plutôt dans 
I ordre esthétique que dans l'ordre réel elle n'ait 
; vu s si son importance pour la pratique et la direction 
de la conduite. En habituant l'esprit à certains sen- 
liments, en en facilitant les manifestations, l'esprit 
peut rendre ces sentiments plus forts, leur appren- 
dre à diriger la conduite, à exercer au moins quel- 
que influence sur elle, à arrêter les impulsions que 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 189 

tendent à provoquer d'autres sentiments différents 
ou opposés. Un esprit adroit, une volonté souple et 
persévérante peuvent ainsi tirer parti d'une qualité 
d'ordre apparemment esthétique et s'en servir pour 
un but pratique et moral. 



§ 10. — La volonté de vouloir. 

La volition peut exercer son influence sur les vo- 
irions elles-mêmes. Quelquefois nous voulons vou- 
loir, et quelquefois aussi nous ne pouvons arriver à 
former réellement la volonté que nous désirerions. 
Cette complication paraît au premier abord un peu 
subtile, en somme elle est très simple, on veut par- 
fois une volition comme on désire un désir ou 
comme on comprend l'intelligence. Avoir la volonté 
de vouloir une chose n'est pas tout à fait la même 
chose que vouloir cette chose, c'est vouloir cette 
synthèse nouvelle qui n'est pas encore faite, dans 
laquelle le moi entre comme un élément essentiel, 
c'est se la représenter avant qu'elle soit faite, alors 
qu'elle s'ébauche seulement, et s'efforcer de tendre 
vers elle. 

Souvent on la veut pour un avenir plus ou moins 
lointain. On s'oblige soi-même à vouloir quand telle 
condition, non encore réalisée, se présentera, on se 
représente le moi, ses hésitations futures et sa déci- 
sion, et c'est cette décision, plutôt que son objet, 
qui forme la matière de notre volition actuelle. 

Toutes les fois que nous prenons une résolution, 



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<T' 



IQO LA VOLONTÉ 

nous voulons, en même temps qu'une action (in- 
Irnir ou externe) actuelle, un certain nombre de vo- 
lïtions futures qui, comme je l'ai déjà montré, sont 
impliquées par la résolution primitive. C'est-à-dire 
que ces volitions futures sont comprises comme élé- 
ilfoxita dans la synthèse nouvelle qui constitue notre 
;u-|r de volonté d'à présent. Et elles comprennent 
non seulement l'acte lui-même que nous devons 
mvumplir plus tard, mais un certain nombre de 
ilir-|». isiLions psychiques qui leur donnent leur carac- 
lère <le volition 1 . 

CHLe influence de la volonté sur la volonté 
îDpmQj. de la volition sur les volitions futures est 
d'il il leurs une des conditions de l'éducation de la 
volonté, du dressage moral. Il est tout naturel que 
iihIît volonté d'aujourd'hui engage jusqu'à un cer- 
hiïn point notre volonté de demain, c'est un des 
mille exemples toujours actuels de la solidarité des 
(Utîéreûts éléments de l'esprit. 

Il n T y a pas là de difficulté particulière. Et nous 
rrhntivons toujours dans ce nouveau sujet les iné- 
$t\ I i I es de nature que nous avons eues à signaler déjà 
m plusieurs cas. Il est des gens, les seuls dont nous 
ii y mis à parler pour le moment, puisque nous étu- 
ilimis d'abord l'empire incontesté de la volonté, qui 
\H\\ « l'esprit de suite ». Leur empire sur leurs pro- 
pres décisions s'étend très loin. Lorsqu'ils ont dé- 
ride de vouloir, malgré les obstacles qu'ils peuvent 



t Voir à ce sujet le livre de Marion : La Solidarité morale 
MVï 1 -. Alcan, 1860), intéressant bien qu'appelant certaines rç- 
ïi rvfts. 



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LE DOMAINE DE LA VOLQNTE 191 

rencontrer en eux-mêmes, malgré leurs regrets 
quelquefois et quelquefois malgré leurs remords, ils 
ne reviennent pas en arrière, et, le moment venu, 
ils veulent comme ils ont décidé de le faire. Chez 
eux l'inhibition des tendances et des idées antago- 
nistes s'exerce rigoureusement. Ils tâchent aussi 
d'oublier même les bonnes raisons qu'ils pouvaient 
avoir d'hésiter, ils se sont suggestionnés eux-mêmes 
et ils veulent selon l'ordre qu'ils se sont donné 
comme un hypnotisé agit d'après l'ordre de son 
magnétiseur. Leur activité est presque aussi régu- 
lière et aussi sûre et, elle a parfois aussi, comme celle de 
l'hypnotisé, quelque chose d'étriqué et d ? artificiel, 
parce qu'elle n'exprime pas complètement la person- 
nalité dont elle émane, parce que le besoin d'inhiber 
une grande partie des sentiments et des idées dont 
l'activité pourrait la contrarier et l'effort qui en 
résulte lui imposent en certains cas un caractère 
de raideur, de brusquerie et de rudesse. 



§11. — Le domaine contesté de la volonté. 

Nous avons examiné jusqu'ici le domaine où 
l'autorité de la volonté est le moins contestée. Ce do- 
maine, très variable selon les personnes, ne s'étend 
en général pas bien loin. Les personnes chez qui il 
est ou paraît le plus vaste sont celles chez qui les 
conflits de la volonté et de l'automatisme se produi- 
sent le moins, non point parce que l'automatisme 
obéit à la volonté, mais parce que l'activité volon- 
taire et l'activité automatique sont en harmonie 



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1Ç)3 LA VOLONTE 

naturelle, parce qu'il ne viendrait pas à l'esprit de 
V individu de vouloir contre son automatisme. C'est 
le cas des personnalités bien unifiées, où l'automa- 
llsme est déjà très fort et où le pouvoir personnel 
lui-même, très bien organisé, tend à prendre un 
mode de fonctionnement qui le rapproche de l'auto- 
matisme. 

Mais souvent, au contraire, nous pouvons consta- 
ler des luttes singulières entre l'automatisme et le 
nuuvoir personnel. Il arrive très souvent que nous 
ne pouvons vouloir efficacement, malgré tout le 
il (-sir que nous en avons, et que nos idées conti- 
nuent à se dérouler malgré nous, nos sentiments à 
s'imposer à notre attention et à tenter de diriger 
noire conduite. 

Les faits de ce genre sont de chaque jour, et il 
n'est pas besoin d'avoir recours à la pathologie pour 
les évoquer en grand nombre. Nous sommes au tra- 
Viiil, nous concentrons notre attention sur ce que 
nous lisons ou écrivons, mais certaines idées, cer- 
taines préoccupations assiègent notre esprit. À la 
première occasion favorable elles entrent et s'instal- 
lent. Le hasard d'un mot équivoque, d'un bruit 
{ \terieur, d'une porte qui s'ouvre, soit en les favori- 
*ciiiL directement, soit en affaiblissant par distraction 
le système d'idées dominant vient leur permettre de 
triompher. Un nouvel effort de volonté les chasse, 
elles reparaissent de nouveau, et souvent le pouvoir 
personnel, lassé, se dérobe, et nous, nous devenons 
le complice des idées et des sentiments envahisseurs 
cl nous les accueillons, souvent, trop volontiers. 

Les conflits des tendances avec la volonté sont 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ ig3 

surtout fréquents chez certains esprits troublés, tour- 
mentés, qui ne peuvent ni réduire leur automatisme 
par l'influence de leur volonté, ni soumettre leur 
volonté à leur automatisme et ne la laisser agir que 
dans le sens de l'activité spontanée. Cela suppose 
que l'activité spontanée elle-même est partagée, 
divisée, car la volonté ne peut se produire, nous 
l'avons dit, qu'en s'appuyant sur l'automatisme. Il 
y a donc ici exagération de l'activité spontanée indé- 
pendante des phénomènes psychiques, des tendances, 
des idées, des désirs. Ils forment des systèmes qui 
ne peuvent toujours se combiner harmonieusement 
et agissent chacun pour soi. 

Ce cas est assez fréquent chez les natures riches. 
Les gens qui ont peu de sentiments et peu d'idées les 
harmonisent parfois plus aisément que ceux qui en 
ont beaucoup, encore qu'il ne faille pas voir là une 
règle absolue. Mais à des degrés divers tout le 
monde présente cette lutte de la volonté et de l'au- 
tomatisme, parce qu'il n'est pas d'homme chez qui 
la systématisation générale puisse être assez voisine 
de la perfection pour la supprimer. 

La lutte du pouvoir personnel et des tendances 
agissant automatiquement suppose d'ailleurs que cette 
systématisation est assez avancée. Quand elle Test 
moins, nous avons soit le règne des caprices et des 
impulsions où le pouvoir personnel est vite subjugué, 
où le moi est conquis tour à tour par des désirs pas- 
sagers et violents, soit une incohérence plus marquée 
où l'esprit flotte d'une velléité à l'autre sans que jamais 
le pouvoir personnel s'organise suffisamment pour 
réprimer rigoureusement un désir ou en faire aboutir 



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F 91 LA VOLONTE 

un autre. Sans doute il y a encore, dans ces cas-là, 
des conflits de désirs, mais la part qu'y prend le 
pouvoir personnel, si faible, est à peine perceptible et 
Tun peut la négliger presque entièrement sans incon- 
vénients bien sérieux. 

La lutte que j'examine à présent suppose aussi que 
les tendances, les désirs, les idées, les éléments psy- 
< liiques relativement indépendants ont, eux aussi, une 
;i-scz bonne organisation. Si le pouvoir personnel est 
Imp faible pour lutter contre les désirs, la lutte est 
i 1 1 signifiante, si les désirs indépendants sont trop faibles 
pour lutter contre le pouvoir personnel, elle est insi- 
gnifiante aussi et elle Test encore si Fun et les autres 
sont tous relativement très faibles. 

\u contraire la limitation du domaine de la volonté, 
rest-à-dire l'opposition entre des tendances encore 
n^ez indépendantes et une puissante association de 
Iriidances qui dirige à peu près normalement l'orga- 
nisme psycho-physiologique, se remarque aisément 
tlrtfts les personnalités assez riches où le moi est vi- 
Lnnreux, mais où il reste encore, à côté de la systéma- 
I i^ition centrale de la personne, et greffés sur elle, bien 
ilos idées irréductibles, bien des désirs insoumis, fré- 
quemment en guerre avec les autres et très vigoureux 
m Y-mêmes. 

Il faut encore que le pouvoir personnel soit en voie 
i I évolution. S'il est fixé, arrêté, il y aura plus souvent 
i ! îscordance que conflit, chacun des antagonistes aura 
51 1 ri domaine propre et ne tentera guère d'en sortir, 
>mif quand une occasion spéciale viendra provoquer 
m ne sorte d' « incident de frontières » . Il est des gens * 
tjui font la part du feu. Ils savent que certains désirs, 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ ig5 

certains actes sont tout à fait en désaccord avec leurs 
idées morales, avec leurs sentiments religieux. Ils 
les laissent pourtant vivre en eux et s'accomplir par 
eux, sans même chercher à les réprimer. De leur côté, 
ces éléments mal harmonisés ne tentent point de se 
soumettre la personnalité, de faire réformer les idées 
morales et les sentiments religieux, ils se contentent 
de la part qui leur est faite. La volonté est impuis- 
sante ici comme le roi d'Italie est impuissant en Es- 
pagne. Elle n'essaye même plus de s'exercer. 



§ 12. — L'impuissance de la volonté. 

Cette impuissance de la volonté à réduire ou à sus- 
citer divers phénomènes de l'activité psychologique 
varie d'une personne à l'autre et, pour une même 
personne, d'un moment à l'autre selon l'état de santé 
ou de maladie, selon l'état de repos ou de fatigue, 
selon la façon dont s'accomplissent les fonctions orga- 
niques, selon une foule de conditions qu'il serait trop 
long d'énumérer et que d'ailleurs on ne connaît, en 
bien des cas, que très imparfaitement. Nous avons pu 
voir, en outre, par ce qui précède qu'elle peut revêtir 
bien des formes, depuis le conflit aigu jusqu'à la 
division de la personnalité (division relative bien en- 
tendu) persistant à l'état chronique, sans trouble 
visible. 

Il ne saurait donc être question de délimiter nette- 
ment ses différentes formes et leurs conditions. Il nous 
suffit de les indiquer d'une manière approximative et 
de donner quelques exemples à l'appui. Je rappellerai 



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I96 LA VOLONTE 

par exemple, en outre des faits déjà cités, combien 
varie à l'état normal notre pouvoir sur nos souvenirs. 
Parfois nous les évoquons avec facilité, parfois nous 
ne pouvons réussir à trouver un détail précis dont nous 
avons besoin et qui nous est très familier, un nom qui 
nous reviendra aussitôt que nous ne voudrons plus le 
dire. Je rappellerai combien notre prise sur les idées 
par l'attention varie avec nos préoccupations mo- 
rales, avec l'état de notre digestion, avec la tem- 
pérature, etc., depuis les moments où nous nous 
appliquons volontiers et tout entiers à notre travail 
jusqu'à ceux où nous ne pouvons que rêvasser péni- 
blement sans arriver à lier deux idées. Je signalerai 
encore la peine que nous avons, en bien des cas, à 
résister à un désir que nous voudrions éviter de 
satisfaire ou à faire un acte que nous voudrions exé- 
cuter, mais qui nous est désagréable, les variations de 
cette difficulté selon nos dispositions du moment, 
selon l'aide ou le blâme que nous trouvons chez ceux 
qui nous entourent, l'impuissance si fréquente de la 
volonté, du pouvoir personnel devant la passion amou- 
reuse et je me borne là pour ne pas allonger indéfini- 
ment et sans profit la série des exemples. 

L'état pathologique ou semi-pathologique nous en 
donne de particulièrement nets qui sont bien connus 
et sur lesquels, pour cette raison, je tâcherai de ne 
pas trop insister. 

Les phénomènes intellectuels, comme les phéno- 
mènes affectifs, peuvent être ainsi soustraits à l'action 
de la volonté. Dans les troubles intellectuels qui pré- 
cèdent parfois les crises épilep tiques, « les malades 
ne savent plus... réunir et fixer leurs idées », dit 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTE I97 

Legrand du Saulle 1 . Luys cite le cas d'un jeune homme 
qui, occupé pendant plusieurs jours à faire des calculs, 
se voit obsédé par les problèmes qu'il a faits et ne 
peut s'en débarrasser: «... n'y tenant plus, écrit le 
patient, ayant besoin du plus grand calme et du repos 
auquel je ne pouvais atteindre,^ me mis, sans la moin- 
dre volonté de ma part, à compter, à refaire exactement 
les mêmes problèmes qu'au bureau. La machine céré- 
brale avait été lancée avec trop de force pour pouvoir 
s'arrêter et ce travail involontaire durait malgré moi, 
malgré et contre tous les moyens que j'ai employés pour 
le faire cesser, c'est-à-dire trois ou cinq quarts d'heure 
environ 2 . » 

A propos des sentiments et des actes, il faut signaler 
aussi les phénomènes d'impulsion morbide que l'on 
trouve en si grand nombre dans les relations des alié- 
nistes. Ici un élément psychique, un système d'idées 
et de désirs s'est presque complètement émancipé et 
s'oppose au moi, il subsiste malgré celui-ci sans pou- 
voir être soumis. Marc raconte avoir vu dans une 
maison de santé une personne qui parlait et agissait 
en général d'une manière raisonnable, mais qui dé- 
coupait ses vêtements et ses hardes en petits mor- 
ceaux. Interrogée sur ses raisons d'agir ainsi, elle 
dit : « Je ne puis m'en empêcher, c'est plus fort que 
moi 3 . » Remarquons cette expression qui est très 

1. Annales d'hygiène publique et de médecine légale, 1875, 
2 e série, t. XLIV, Discussion sur la responsabilité des actes 
commis par les épileptiques. 

2. Luys, Le Cerveau et ses fondions. Paris, Alcan, 1876, p. i45. 

3. Marc, De la folie considérée dans ses rapports avec les. 
questions médico-judiciaires, Paris, i84o, libr. J.-B. Baillière, I, 
p. 88. Voir aussi à la suite. 



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I98 LA VOLONTÉ 

usuelle d'ailleurs et qui indique si nettement l'oppo- 
sition de la personnalité et de la tendance morbide. 

Les obsessions perverses ou criminelles qui assiègent 
souvent l'esprit de quelques aliénés sont encore des 
phénomènes du même genre, par lesquels se montre 
l'impuissance de la volonté, du pouvoir personnel sur 
des désirs morbides, sur des éléments psychiques qui 
restent indépendants et irréductibles ou presque irré- 
ductibles. La force de ces derniers est assez grande 
pour inquiéter le moi, presque suffisante et quelque- 
fois tout à fait suffisante pour le soumettre momen- 
tanément à eux. Et le moi, pour se défendre, pour 
assurer le triomphe du pouvoir personnel, doit faire 
appel à des secours étrangers. Une malade, pour résister 
à une impulsion homicide, demande à être maintenue 
par la camisole de force, une autre se fait attacher les 
deux pouces avec un ruban, une autre, domestique, 
supplie sa maîtresse de la laisser partir, une autre 
demande à être fixée dans un fauteuil 1 . G riesinger, 
il y a déjà longtemps, a très bien vu et analysé le 
conflit entre le pouvoir personnel et les désirs mor- 
bides, dans le cas où « des individus jusqu'alors gais, 
bons et aimants, sont pris brusquement et sans motif 
aucun de tentations homicides qui viennent constam- 
ment assaillir toutes leurs pensées. Généralement on 
voit alors survenir une triste et profonde séparation de la 
conscience, l'esprit est en butte à un combat intérieur, 
à un tourbillon d'émotions les plus pénibles ; il lutte 

i. Voir pour les impulsious : Marc, De la folie considérée 
dans ses rapports, etc.; Èsquirol, Maladies mentales, Paris, J.- 
B. BaiLlère, i838, t. II ; Maudsle y, Le Crime et la folie; Ribot, 
Maladies de la volonté. 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ I0Q 

contre les idées nouvelles, effrayantes, contre lesquelles 
le moi se défend avec toute l'énergie dont il est capable. 
Souvent alors, dans ce combat, l'individu ne peut se 
soustraire à la défaite de son moi qu'en se retirant 
dans la solitude où le penchant qui l'obsède ne trouve 
plus d'objet ; puis au bout de quelque temps ces idées 
peuvent être réprimées aussi vite qu'elles surgissent 
et l'individu redevient ce qu'il était auparavant; à 
peine sait-il comment il est tombé dans ce rêve pénible, 
affreux, et il se sent gravement soulagé en voyant 
que ce rêve s'est heureusement terminé. Mais d'autres 
fois — et cela est plus rare — le moi succombe et le 
malheureux commet le crime auquel il était depuis 
longtemps poussé et cela sans le moindre profit, avec 
la certitude de la honte et de la misère que son acte 
doit lui attirer, attendant même en quelque sorte le 
supplice et une mort honteuse qui lui apparaît comme 
un soulagement et un bienfait en comparaison de 
l'anxiété et des tourments dont il veut à tout prix voir 
la fin\ » 



§ i3. — La volonté et les fonctions organiques. 

Nous trouvons en nous-mêmes des phénomènes qui, 
d'une manière générale, paraissent sortir tout à fait 
du domaine de la volonté. Ce sont ceux qui consti- 
tuent beaucoup de fonctions organiques. Je n'ai pas 
à entrer dans le détail de ces phénomènes, on en trou- 

i. W. Griesinger, Traité des maladies mentales, pathologie et 
thérapeutique, trad. française du D r Doumic. Paris, Delahaye, 
1873, p. 3n, 



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?MO LA VOLONTÉ 

vera l'étude dans les traités de physiologie. Il en est 
nmme la respiration, la miction, la défécation, où la 
h >lonté peut intervenir avec une plus ou moins grande 
efficacité, d'autres comme la circulation, la digestion 
où son pouvoir paraît nul ou presque inappréciable. 

Rien d'absolu, toutefois, ne se rencontre ici. Il 
semble bien que nous retrouvons encore cette remar- 
quable inégalité des aptitudes qui empêche d'établir 
tics limites bien nettes entre ce qui est soumis à la 
volonté et ce qui sort de son domaine. « On distin- 
gue en physiologie, disait Ribot, les muscles volon- 
I aires des muscles involontaires, mais en faisant 
remarquer que cette distinction n'a rien d'absolu. 
Un mouvement est volontaire, lorsque, à la suite 
d essais heureux et répétés, il est lié à un état de 
conscience, et sous un commandement 1 . » 

Hack Tuke a cité un assez grand nombre de faits 
iissez curieux, montrant que la volonté peut avoir, 
EO certains cas, une action appréciable et au moins 
issez directe sur des fonctions dans lesquelles, en 
général, elle n'intervient pas. « Un membre distingué 
lIo la Société royale de Londres, dit-il, M. Fox, ré- 
animent décédé à l'âge de 79 ans, nous a dit qu'il 
pouvait, par un effort volontaire, augmenter de dix à 
ungt par minute le nombre des battements du pouls. 
Sur notre demande il en fit l'expérience, non sans hési- 
lation, parce qu'il sentait que cela n'était pas sans 
Ranger, ou à tout le moins parce qu'il était convaincu 
i pie sa santé pouvait en souffrir. Nous le fîmes asseoir, 
rt nous examinâmes le pouls, qui avait 63 pulsations, 

1. Ribot, Maladies de la volonté, p. 26, 27. 

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I 



LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 20Î 

et était souple et régulier. Dans l'espace d'environ 
deux minutes, le nombre des pulsations devint de 
82. Nous lui demandâmes comment il pouvait arriver 
à ce résultat ; il nous répondit qu'il lui était difficile 
de déterminer la nature de ses efforts, mais qu'il les 
croyait dus « en partie à une sorte d'impulsion, ac- 
compagnée par un frissonnement intérieur, et en 
partie à une action exercée sur la respiration » . Mais 
cependant, comme il suffit, dans certaines circon- 
stances, de diriger simplement l'attention vers le 
cœur pour en augmenter le nombre des battements, 
il ne semble pas nécessaire de supposer que la volonté 
agisse directement sur le muscle cardiaque, de la 
même manière que nous disons qu'elle agit sur les 
muscles volontaires. Quant à nous, nous ne pouvons 
pas, même par un effort d'attention, arriver à aug- 
menter le nombre de nos pulsations; nous n'avons 
pas plus de succès avec la respiration. Chez M. Fox, 
il n'y avait d'ailleurs, en apparence, aucune augmen- 
tation du nombre des mouvements respiratoires 1 . » 

Le colonel Townsend, dont le cas est fameux, pou- 
vait, dit-on, se mettre à son gré, dans une sorte 
d'état léthargique pendant lequel le cœur cessait en 
apparence de battre, le corps entier présentait le froid 
et la rigidité de la mort, le visage pâlissait, les yeux 
étaient fixes et vitreux. Les fakirs de l'Inde parais- 
sent, en certains cas, pouvoir suspendre à volonté 
un grand nombre de fonctions vitales. Bichat passe 



1. D r Hack Tuke, Le Corps et l'Esprit, action du moral et de 
l'imagination sur le*physique, traduit de l'anglais par Victor Pa- 
rent, p. 297-298. 



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101 LA VOLONTÉ 

pour avoir eu la faculté de vomir à volonté, et le 
D r Noble, de Manchester, disait : « Je suis de ceux 
qui peuvent, à n'importe quel moment, vomir volon- 
tairement, et chez moi cet acte n'est jamais précédé 
de la moindre nausée. J'y arrive en abaissant le 
diaphragme à l'aide des muscles abdominaux, au 
gré de ma volonté et sans éprouver aucun malaise. » 
Le D r Pantou, de Kilmanrock, peut, disait-il, al- 
ternativement dilater ou contracter la pupille, aussi 
facilement qu'il peut ouvrir ou fermer la main », et 
cela sans le moindre effort d'accommodation. Il par- 
vient, même à produire ces mouvements avec plus de 
rapidité que ne le fait la pupille elle-même pour s'ac- 
commoder à la vision rapprochée ou distante. C'est 
ordinairement sous l'influence de la lumière ou de 
l'ombre que la pupille se meut. Mais le D p Pantou peut 
toujours, et à volonté, dilater sa pupille lorsqu'il a les 
yeux exposés soit à la lumière, soit à l'obscurité * . » 
Les phénomènes de ce genre sont plus curieux, 
sans doute, que réellement intéressants. Ils sont excep- 
tionnels, et l'interprétation n'en est pas toujours très 
sûre. Toutefois ils ont au moins l'avantage de nous 
montrer des différences et des transitions qui nous 
empêchent de nous faire des idées trop absolues et 
des généralisations trop hâtives et erronées. A ce titre, 
il n'était peut-être pas inutile de les rappeler ici. 

§ i4- — La volonté et le monde extérieur. Influence 
directe. 

Aux limites de notre organisme, notre volonté, 

i. Id., lbid., p. 3oo-3o4. 



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LE bOM.UNE Î>Ë LA VOLONTÉ 2o3 

semble-t-il, doit forcément s'arrêter. Cela est-il bien 
exact cependant? 

Cela n'est pas complètement exact. Notre volonté 
exerce, d'une façon plus ou moins indirecte, une 
influence plus ou moins considérable sur le monde 
extérieur. Mais cette influence, dont l'importance 
varie beaucoup selon les personnes, leur caractère, 
leur fonction sociale, semblera peut-être n'avoir 
guère de rapports avec les faits de volonté que nous 
avons étudiés jusqu'ici. 

Je crois, pour mon compte, que ces rapports sont, 
au contraire, assez étroits, et je tâcherai de le mon- 
trer tout à l'heure. Mais auparavant il faut dire quel- 
ques mots d'une influence beaucoup plus directe de 
la volonté — comme des phénomènes psychiques en 
général — influence bien plus douteuse aussi mais 
qui a été beaucoup étudiée il y a quelques années. 
J'y rattache cet ensemble de phénomènes désignes 
sous le nom de suggestion mentale, ou d'halluci- 
nations télépathiques, dont quelques-uns relèvent 
évidemment de la volonté. 

Un certain nombre d'observateurs sérieux, capa- 
bles d'expérimenter rigoureusement, et présentant 
des garanties scientifiques très suffisantes pensent 
être parvenus à transmettre des ordres à distance, 
à faire exécuter leurs volontés par des sujets appro- 
priés, généralement sensibles à l'hypnotisme, sans 
aucune communication appréciable par des moyens 
connus entre celui qui ordonne et celui qui obéit. 

Si une telle façon d'agir pouvait être constante et 
généralisée, elle constituerait au profit de ceux qui 
pourraient l'exercer une véritable extension de la 



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2û4 LA. VOLONTÉ 

personnalité, un prolongement de leur moi jusque 
dans le moi des autres. Mais même en la sup- 
posant parfaitement établie, elle ne constitue qu'une 
exception, sans grande importance appréciable, jus- 
qu'ici, au point de vue pratique. On peut la rapprocher 
des faits curieux qui nous montrent, chez certaines 
personnes, la possibilité d'agir par la volonté sur 
les battements de leur cœur, placés à peu près aussi 
bien, généralement, en dehors de ses atteintes que 
l'esprit des autres hommes. 

Je dois dire, d'ailleurs, que bien que la réalité 
n'en soit pas universellement reconnue, et qu'elle 
ait suscité d'irréductibles incrédulités, la possibilité 
de l'action à distance paraît assez vraisemblable. Je 
* ne m'attarderai pas à démontrer ici cette vraisem- 
blance et j'indiquerai seulement les observations et 
expériences de MM. Pierre Janet, Gibert, Charles 
Richet, Héricourt, Ochorowicz, dont quelques- 
unes paraissent en vérité à peu près aussi satisfai- 
santes que possible ; il ne leur manque guère que 
de pouvoir être répétées à volonté. Voici un fait ra- 
conté par M. Héricourt : Il endormait souvent 
M rae D. . . et avec une facilité chaque jour plus grande ; 
au bout de quelque temps, il n'avait plus besoin 
d'employer le regard, ni le contact, la volonté suffi- 
sait. Enfin il essaya de l'endormir de loin, hors de 
sa présence. « Les circonstances dit-il, dans lesquel- 
les j'exerçai ainsi pour la première fois cette action 
à longue distance méritent d'être rapportées avec 
quelques détails. Étant un jour dans mon cabinet 
(j'habitais alors Perpignan), l'idée me vint d'essayer 
d'endormir M rae D... que j'avais tout lieu de croire 



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Le domaine de La volonté 2o5 

chez elle et qui habitait dans une rue distante envi- 
ron de 3oo mètres de la mienne. J'étais d'ailleurs 
bien éloigné de croire au succès d'une pareille expé- 
rience. Il était trois heures de l'après-midi, je me 
mis à me promener de long en large, en pensant 
très vivement au résultat que je voulais obtenir ; et 
j'étais absorbé par cet exercice quand on vint me 
chercher pour voir des malades. Les cas étant pres- 
sants, j'oubliai momentanément M me D... que je 
devais .d'ailleurs rencontrer vers quatre heures et de- 
mie sur une promenade publique. M'y étant rendu 
à cette heure, je fus très étonné de ne l'y point voir, 
mais je pensai qu'après tout, mon expérience avait 
bien pu réussir ; aussi, vers cinq heures, pour ne 
rien compromettre et rétablir les choses en leur état 
normal, dans le cas où cet état eût été effectivement 
troublé, par acquit de conscience, je songeai à ré- 
veiller mon sujet, aussi vigoureusement que tout à 
l'heure j'avais songé à l'endormir. 

« Or, ayant eu l'occasion de voir M m6 D... dans 
la soirée, voici ce qu'elle me raconta, d'une manière 
absolument spontanée, et sans que j'eusse fait la moin- 
dre allusion à son absence de la promenade : vers 
trois heures, comme elle était dans sa chambre à 
coucher, elle avait été prise subitement d'une envie 
invincible de dormir ; ses paupières se faisaient de 
plomb, et ses jambes se dérobaient, jamais elle ne 
dormait dans la journée — au point qu'elle avait eu 
à peine la force de passer dans son salon, pour s'y 
laisser tomber sur un canapé. La domestique était 
alors entrée pour lui parler, l'avait trouvée, comme 
elle le lui raconta plus tard, pâle, la peau froide. 
Paulhan, 12* 

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2o6 LA VOLONTÉ 

sans mouvement, comme morte, selon ses- expres- 
sions. Justement effrayée, elle s'était mise à la re- 
muer vigoureusement, mais sans parvenir cependant 
à autre chose qu'à lui faire ouvrir les yeux. A ce 
moment, M me D. . . me dit qu'elle n'avait eu conscience 
que d'éprouver un violent mal de tête qui, paraît- 
il, avait disparu subitement vers cinq heures. C'était 
précisément le moment où j'avais pensé à la ré- 
veiller. 

« Ce récit ayant été spontané, je le répète, il n'y 
avait plus de doute à conserver : ma tentative avait 
certainement réussi. » 

Sans informer M me D... de ce qu'il avait fait, 
M. Héricourt entreprit toute une série d'expériences 
qui furent contrôlées par diverses personnes et don- 
nèrent un bon résultat i . 

J'indiquerai aussi la très intéressante série d'expé- 
riences faites au Havre et à Paris, sur M rae B..., par 
M. Gilbert, M. Pierre Janet, M. Charles Richet. 
Ces expériences ont été contrôlées et vérifiées 2 . Les 
résultats concordants obtenus par les divers expéri- 
mentateurs, s'ils ne suffisent pas pour forcer absolu- 
ment la conviction, — pour de tels phénomènes, il est ' 
peut-être bon de se méfier un peu de quelque cause 
d'erreur inaperçue, — doivent, au moins à mon avis, 
faire accepter comme assez probables les résultats 
obtenus. 



i. J. Héricourt, Un cas de somnambulisme à distance. Bulletins 
delà Société de psychologie physiologique y i885, 36-37- 

2. On trouvera des détails à ce sujet dans les Bulletins de la 
Société de psychologie physiologique. 



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LE DOMAINE -DE LA VOLONTÉ ÏQJ 

§ i5. — La volonté et le monde extérieur. Influence 
indirecte. 

Arrivons à l'influence incontestée mais indi- 
recte de la volonté sur le monde extérieur. Il n'est 
pas nécessaire de rappeler bien longuement les faits, 
ils sont connus de tous. Notre volonté, qu'elle 
s'exerce sur nos semblables, sur des êtres vivants 
quelconques ou sur la matière inanimée, se tra- 
duit continuellement par un certain nombre de 
changements dans ce qui nous est extérieur. Un 
officier donne un ordre et sa volonté se traduit non 
seulement par ses paroles, mais aussi par les mou- 
vements de ses soldats. La volonté d'un général se 
traduira même, si elle est tout à fait efficace, si son 
armée est victorieuse, par la fuite de l'ennemi. La 
volonté de l'industriel se manifeste par les actions 
de ses ouvriers, et aussi par les transformations que 
ces ouvriers font subir à la matière. Tout ce qui 
nous entoure, tout ce dont nous nous servons porte 
ainsi plus ou moins la marque de la volonté de 
l'homme (comme de ses idées et de ses désirs) et 
chacun de nous même a subi plus ou moins l'in- 
fluence d'une foule de volontés : volontés des vivants 
qui l'ont élevé, volonté des morts qui ont formé ces 
vivants et qui ont contribué aussi à rendre tel qu'il 
est le monde au milieu duquel nous vivons et qui 
réagit de tous côtés sur notre esprit. 

Et notre volonté, à son tour, réagit continuelle- 
ment sur ce qui nous entoure, sur les gens et sur 
les choses, en sorte que nous ne connaissons sans 



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2o8 LA VOLONTÉ 

doute rien qui ne nous montre l'influence de la vo- 
lonté humaine en dehors de l'homme qui l'exerce, 
ou qui ne la rappelle, comme la mer sur laquelle 
flottent les vaisseaux voulus par l'homme ou les 
astres dont l'étude a excité ou servi tant d'idées, de 
désirs et de volontés variées. 

Sans doute ici l'action de la volonté est très indi- 
recte, mais ne r est-elle pas déjà souvent dans notre 
propre esprit et dans notre organisme ? Quand un 
homme remue son doigt, il produit indirectement 
une grande quantité de phénomènes qu'il ne con- 
naît pas, qu'il n'a pas voulus. On a de la peine a 
se débarrasser complètement de la mythologie psy- 
chologique. Au fond la puissance de la volonté se 
réduit h ceci : la synthèse nouvelle, que nous avons 
étudiée, se complète par des phénomènes qui s'har- 
monisent systématiquement avec elle. Je veux écrire 
et tous les mouvements qui constituent récriture 
viennent s'effectuer, d'une manière coordonnée. Je 
veux me rappeler tel événement de ma vie, et les 
idées et les images qui constituent pour moi cet 
événement viennent peu à peu compléter l'impres- 
sion vague qui existait déjà dans mon esprit et faisait 
partie de la synthèse volitive. 

La volonté comprend souvent une représentation, 
plus ou moins nette, et parfois erronée du résultat 
vers lequel elle tend. Cette représentation n T a pas 
l'importance qu'on a voulu lui donner, par une 
erreur bien fréquente en psychologie sur l'impur tance 
de la conscience. On veut sans bien savoir au juste 
ce que l'on veut, et parfois on veut tout à fait 
autre chose que ce que l'on croit vouloir. Quoi 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 2O9 

qu'il en soit, le cas de la volition consciente, où la 
pensée représente à l'avance le but poursuivi rentre 
dans le cas plus général que je viens de décrire. 
L'idée primitive est une sorte de noyau avec lequel 
viennent se systématiser la série des phénomènes qui 
se déroulent ensuite. L'idée de remuer mes doigts 
est complétée par tout un complexus de phénomènes 
dont je puis n'avoir aucune connaissance : action 
nerveuse dans les centres de l'encéphale, puis action 
nerveuse centrifuge, contractions musculaires, petites 
variations de la circulation ou de la température, etc. 
Mais, au fond , cela ne diffère pas essentiellement 
de l'action de la volonté d'un acheteur riche, par 
exemple, sur une portion du monde extérieur. Il 
peut demander à un industriel quelconque de faire 
accomplir tel ou tel travail, scier tant de troncs 
d'arbres, ou même commander à un peintre un ta- 
bleau. Il n'a pas besoin d'avoir la moindre notion 
sur les appareils qui vont fonctionner à son service 
sous la main des ouvriers et la direction du contre- 
maître et de l'industriel, il peut ignorer le nombre 
d'ouvriers nécessaire à ce travail, il peut ne rien 
entendre à la peinture. Sa volonté n'en aura pas 
moins exercé une irrécusable influence et les phéno- 
mènes extérieurs vont venir s'adapter à ses idées et à ses 
désirs comme les phénomènes organiques l'auraient 
fait s'il avait simplement voulu mettre son pied sur 
une échelle. Ni l'une ni l'autre de ces actions n'est 
immédiate. L'une et l'autre supposent au contraire 
une longue série de phénomènes intermédiaires, qui 
passent souvent ignorés, coordonnés pour conduire au 
résultat final qui les complète et leur donne un sens, 



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2IO LA VOLONTE 

et qui seul est en général expressément et consciem- 
ment voulu, lorsqu'il Test, ce qui n'est pas du tout 
une règle absolue. 

Et ces deux mécanismes sont sujets aux mêmes 
détraquements. Si l'impulsion n'est pas suffisante, 
ou si elle ne peut être transmise, si le nerf qui doit 
relier les centres nerveux aux muscles est détruit, si 
le muscle lui-même est trop endommagé, la volonté 
ne peut arriver à se constituer ou bien elle reste im- 
puissante. Et pareillement si l'acheteur n'est pas 
assez riche ou n'inspire pas une confiance suffisante, 
ou si le patron auquel il s'adresse ne peut, faute 
d'argent ou pour s'en être remis à un contremaître 
incapable, ou pour toute autre raison, se faire obéir 
de ses ouvriers, ou si quelque accident arrive à l'usine, 
ou si les ouvriers se mettent en grève, la volonté de 
l'acheteur ne pourra produire son effet ; elle restera 
impuissante et inefficace, la coordination des phéno- 
mènes ne s'accomplira pas et la fin voulue ne sera 
pas atteinte ou ne le sera que très incomplètement. 

Naturellement cette transmission de notre volonté 
au monde extérieur est chose relative et variable, 
comme nous avons toujours vu l'être l'influence 
de la volonté. Bien souvent elle demeure impuissante 
et même n'arrive pas à se constituer. Non seulement 
notre volonté n'aurait aucun effet sur le cours des 
astres, mais nous ne pouvons même arriver à 
vouloir complètement le modifier. De toutes parts 
les bornes de notre pouvoir nous gênent et se font 
parfois cruellement sentir. Même chez les plus privi- 
légiés elles ne sont jamais bien éloignées dans le 
temps et dans l'espace. 



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LE 0OMAINE DE LA VOLONTE 211 

Elles le sont assez, cependant, pour que des diffé- 
rences considérables s'établissent entre les hommes. 
Il en est qui sont à peu près impuissants à agir sur 
les autres ou sur le monde, d'autres, au contraire, 
ont un pouvoir relativement étendu. Ces différences 
de pouvoir sont dues en partie à des différences psy- 
chologiques et morales, qui s'enchevêtrent, se com- 
pliquent, réagissent l'une sur l'autre, et que je n'ai 
pas à étudier longuement ici. Il suffira d'en rap- 
peler quelques-unes. Le courage, la persévérance, 
la force et la finesse de l'esprit, la solidité des ten- 
dances et l'intensité des désirs, la ténacité, sont évi- 
demment de bonnes conditions pour que notre vo- 
lonté puisse rayonner au loin. Il y a aussi à tenir 
grand compte du prestige personnel où l'analyse 
retrouverait sans doute quelques-uns des éléments 
que je viens d'indiquer. Certaines conditions d'ordre 
social n'ont pas moins d'importance : la richesse, 
par exemple, aide puissamment notre volonté, et 
sans elle, celle-ci ne peut, bien souvent, agir ni 
même naître. Le rang social est encore important. 
Toutes choses égales d'ailleurs la volonté d'un minis- 
tre a plus de portée que celle d'un sous-préfet, celle 
d'un général que celle d'un sergent, celle d'un 
patron que celle d'un ouvrier. 

Enfin pour que la volonté d'un individu puisse 
avoir une influence lointaine sur la société et sur le 
monde physique, une condition des plus utiles, en 
bien des cas indispensable, c'est un certain degré 
d'organisation sociale. Que l'on pense à la somme 
énorme de travail, d'inventions, de désirs et d'idées, 
qui sont coordonnés dans le simple fait d'un minis- 



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r , - .r.^^pp^p 



212 LA VOLONTÉ 

tre faisant télégraphier à un fonctionnaire un ordre 
dont l'exécution va peut-être amener une émeute et 
une répression, une guerre et une conquête, et qu'on 
réfléchisse aussi à l'agencement de rouages sociaux 
nécessaire pour que de pareils faits soient possibles. 
L'organisation sociale est nécessaire à la manifestation 
extérieure de la volonté humaine comme l'organi- 
sation physio-psychologique est nécessaire à sa ma- 
nifestation interne. 

Si l'on se laisse aller à suivre les analogies réelles, 
et même profondes, je crois, qui rapprochent notre 
action sur nos idées, nos sentiments et nos organes, 
et notre action sur les autres êtres vivants et sur le 
monde extérieur, nous arrivons à concevoir la société 
humaine d'abord et ensuite le monde entier comme 
une sorte de prolongement de notre personnalité. 
Prolongement encore informe et mal organisé surtout 
en ce qui regarde le monde extérieur, qui est en effet 
bien mal unifié encore par rapport à nous et bien 
peu soumis à nos désirs, mais sur lequel pourtant 
nous avons déjà un certain empire, qui est allé s'ac- 
croissant, autant que nous en pouvons juger, depuis 
l'apparition de l'homme sur la terre. 

On sait que si nous touchons le sol avec une 
canne, nous sommes portés à localiser la sensation 
au bout de la canne, comme nous la localisons au 
bout de nos doigts si nous appuyons un doigt sur la 
table. La canne est momentanément devenue comme 
un de nos organes. Mais de même une foule d'objets 
deviennent en quelque sorte les prolongements de nos 
membres, et les organes de notre sensibilité. Le fusil 
du chasseur, surtout si celui-ci sait bien le faire obéir, 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 2l3 

s'il tue bien le gibier, devient un peu un élément de 
sa personne. Et toutes les choses sur lesquelles notre 
action s'étend, sur lesquelles notre activité peut se 
déployer librement pour satisfaire nos désirs, ou qui 
sont les conditions ordinaires de cette activité, nos 
instruments préférés, nos meubles, notre maison, 
le {>ays que nous habitons, etc., tout cela entre dans 
le système de notre personnalité, notre moi s'y déve- 
loppe à son aise, et sa volonté y est, dans certaines 
limites, presque aussi puissante que dans notre orga- 
nisme même, et plus efficace que dans certaines 
parties de notre organisme. Il se forme ainsi autour 
de nous une sorte de personnalité extérieure qui a 
pour limites les bornes de notre influence sur la 
nature. 

A plus forte raison la société humaine peut nous 
apparaître comme une extension du moi, une exten- 
sion de chaque moi, c'est-à-dire en somme une 
sorte d'âme collective composée d'éléments très iné- 
gaux en valeur et en importance (la valeur et l'im- 
portance n'étant pas toujours proportionnelles). Il 
n'est pas d'homme dont la volonté n'exerce quelque 
influence sur les autres, et il en est dont la volonté 
est souverainement influente, décide de la vie et de 
la mort de milliers d'individus. 

C'est surtout en considérant la société comme un 
ensemble déjà particulièrement unifié que nous com- 
prenons l'appropriation du monde extérieur à 
l'homme, l'adaptation de la planète à l'humanité. 
Nous avons domestiqué les forces naturelles, et uti- 
lisé les produits de chaque climat. C'est un travail 
collectif qui a mis ainsi sous la dépendance de la 



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2l4 LA VOLONTÉ 

volonté de chacun une partie du monde extérieur dont 
nous continuons à poursuivre la conquête. 

L'homme, l'humanité, la terre, peut-être même 
l'univers entier, apparaissent ainsi, à certains égards, 
comme l'ébauche d'un vaste organisme, d'un esprit 
immense qui se développe peu à peu, qui s'unifie 
et se systématise. L'homme et les sociétés y sbnt 
l'élément le mieux organisé et, à cause de cela, 
le plus actif et celui qui transforme et s'assimile les 
autres. Cette vue est sans doute incomplète et, à 
cause de cela, dangereuse. Elle peut amener à des 
erreurs philosophiques sur la nature essentielle du 
monde. Elle est vraie pourtant si on la met à sa 
place dans un système de conceptions générales, et 
cette vérité nous suffit ici où je n'ai pas à con- 
struire une philosophie. Quoi qu'il en soit d'ailleurs, 
l'organisation du monde par rapport à l'humanité, 
malgré tous les progrès accomplis, est bien peu 
avancée encore, et l'être que fait le monde bien mal 
unifié. Les limites de notre volonté, si bornée 
encore, indiquent sur plus d'un point les limites de 
cette unification. 



§ 16. — La volonté obstacle à V action. 

Il est enfin un dernier genre de limitation de 
la volonté dont nous devons dire aussi quelques 
mots. En certains cas, la volonté est une cause de 
trouble pour l'activité, c'est en elle-même qu'elle 
trouve en quelque sorte les obstacles qui l'arrê- 
tent. 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ Si 5 

C'est un fait assez connu et chacun peut l'obser- 
ver. Parfois nous exécutons automatiquement des 
actes que nous ne pourrions exécuter volontairement 
avec la même facilité. Si nous venons à réfléchir 
à ce que nous faisons, à le vouloir au lieu de l'exé- 
cuter machinalement, notre activité se trouble, 
s'embarrasse, parfois s'arrête. Si notre attention se 
porte sur un sentiment, si nous voulons l'éprouver, 
en jouir, le sentinlent disparaît. Une série d'images 
s'ébauche dans notre esprit pendant que nous tra- 
vaillons, elle nous plaît, nous distrait, nous intéresse 
et peu à peu nous détourne de notre travail. Nous 
nous décidons alors à nous occuper directement 
d'elle, nous voulons la faire développer à son aise dans 
la conscience. Immédiatement, au contraire, les 
images pâlissent, hésitent, et s'évanouissent, lais- 
sant d'autres idées nous distraire. M. Souriau a très 
bien noté ce fait dans sa Psychologie de Vinvention, 
« nous trouvons le plus souvent, dit-il, nos idées, 
par digression. Ainsi, au moment où je commen- 
çais à écrire cet alinéa, je m'efforçais à trouver des 
exemples de cette déviation involontaire de la réflexion ; 
et justement je me mis à penser aux rapports de la 
critique et de l'inspiration, que dans mon plan 
j'avais rejetés beaucoup plus loin. Ne pouvant me 
soustraire à cette obsession, je notai l'idée qui s'im- 
posait à moi, à savoir qu'il était impossible de faire 
à la critique sa part, et que dans le travail de la 
composition il ne pouvait y avoir que deux méthodes 
de développement, l'une rapide et absolument irré- 
fléchie, l'autre tout à fait réfléchie et très lente. Pour 
profiter de ces bonnes dispositions, je m'imposai la 



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âiô La volonté 

tâche de suivre cette idée et de penser exclusivement 
à la valeur de la critique. Mais lorsque j'eus écrit 
quelques lignes sur ce sujet, j'éprouvai cette sensa- 
tion particulière qui nous affecte lorsqu'une personne 
que nous ne voulons pas regarder s'approche de 
nous. Je sentais revenir les idées que j'avais essayé 
d'écarter ; ma pensée se retournait malgré moi vers 
mon premier sujet ; et, tout à coup, au moment 
même où je concentrais le plus fortement mon 
attention sur l'idée de critique, je prononçai très 
nettement en moi-même la phrase suivante : « II 
faut penser à côté ». Cette phrase s'était si bien 
formée toute seule et à l'improviste, que je ne la 
compris qu'après coup, comme il arrive lorsqu'on 
nous adresse brusquement la parole et que notre 
pensée est ailleurs. Ainsi l'effort de réflexion que je por- 
tais sur l'idée de critique aboutissait à une idée relative 
aux distractions de l'intelligence, comme tout à 
l'heure, en réfléchissant à ces distractions, je 
m'étais mis justement à penser à la critique. Je 
pourrais donner mille exemples de ce genre * . » 

On ne peut guère voir d'opposition plus nette entre 
l'activité automatique et spontanée des éléments 
psychiques et l'activité voulue ni d'exemple plus 
frappant de ce trouble que la volonté risque d'appor- 
ter aux actes qu'elle devrait faciliter, et qui se pro- 
duit assez souvent. C'est là un fait très normal et 



i. PaulSouRiAu, Théorie de l'invention, Paris, Hachette, i885, 
p. 4-6. On trouvera d'autres faits dans une note de M. Lalande, 
Revue philosophique, mars i8g3 ; Sur un effet particulier de l'atten- 
tion appliquée aux images. On peut voir aussi ma note sur Y At- 
tention et les images. Revue philosophique, mai 1893. 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 2I7 

dont il n'est pas besoin de citer beaucoup d'exemples, 
on en trouverait dans la production des perceptions 
et des mouvements, comme dans la vie des images, 
des idées et des sentiments. Divers états pathologi- 
ques nous en montrent aussi un grand nombre. On 
y voit la volonté rester impuissante où l'automa- 
tisme réussit. J'emprunte quelques exemples à un 
livre récent de M. Grasset: un malade de Brown- 
Séquard, aphasique à l'état de veille, parlait dans le 
sommeil chloroformique. Un malade, observé par 
Dejerine et Luys, a les mouvements volontaires très 
gênés à droite, « par contre la motilité inconsciente 
est normale; lorsque le malade s'anime en parlant, 
il fait des gestes qu'il ne pouvait pas exécuter comme 
mpuvements volontaires...» Un malade de Friedel 
Pick avait perdu le mouvement volontaire et conservé 
le mouvement initatif. M. Grasset a observé un 
homme qui dormait les yeux fermés, et ne pouvait 
fermer ses yeux volontairement, un autre « rentrait 
automatiquement chez lui pour déjeuner sans se 
tromper de chemin. Mais si on lui disait : par où 
allez-vous passer pour rentrer chez vous ? s'il essayait 
de retrouver sa route consciemment et volontairement, 
il se perdait * » . 

M. Grasset explique ces cas pathologiques par 
une dissociation ou une rupture de communication 
entre le centre volontaire et les centres automatiques. 
Il y a, dans tous les cas, un défaut d'accord entre 



î. J. Grasset, Les Maladies de l'orientation et de l'équilibre, 
Paris, Alcan, 1901, p. 82*84» 

Paulhan, * i3 



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21 



8 LA VOLONTÉ 



eux, et c'est ce qui se passe aussi dans les cas ana- 
logues que présente l'état normal. 

C'est un exemple de plus de l'état incohérent, 
de l'état d'ébauche qui est celui de l'homme. Notre 
volonté est souvent maladroite. Ellecomplique les phé- 
nomènes, ce qui est déjà une difficulté qu'elle apporte 
à leur accomplissement. Le phénomène automatique 
s'effectue d'une façon relativement simple, avec un 
nombre d'éléments en jeu relativement peu élevé. La 
volonté, qui suppose l'intervention du moi, et d'un assez 
grand nombre de tendances, d'idées et de désirs, vient 
singulièrement en augmenter le nombre et rendre 
l'opération plus complexe. Le jeu de quelques élé- 
ments psychiques, idées ou images, pouvait s'effec- 
tuer très régulièrement et se voit troublé par les ren- 
forts nouveaux qu'amène la volonté, surtout si l'on 
tient compte de ce que les phénomènes volontaires 
sont en eux-mêmes des phénomènes dont la coordi- 
nation, si elle doit déjà être assez avancée, est plus 
imparfaite cependant que celle des phénomènes auto- 
matiques. Aussi remarque-t-on généralement cette 
impuissance spéciale de la volonté dans les cas où 
l'action volontaire (impulsion ou attention) tend à se 
substituer à l'action automatique et spontanée des 
phénomènes. Des enfants qui jouent entre eux suffi- 
samment bien s'arrêtent, hésitent ou tâtonnent si 
des parents âgés viennent se mêler à leurs jeux, 
leur donner des conseils et les diriger. De même des 
éléments psychiques, qui accomplissaient passable- 
ment leur besogne, sont gênés par l'intervention de 
la volition et du cortège de phénomènes qui la re- 
présente et qui vient s'imposer à eux. 



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LE DOMAINE DE LA VOLONTE 2I§ 

§ i7- 

Ainsi nous constatons partout les limites de notre 
volonté et ses imperfections, et aussi son influence 
et son empire. 

Il ne faut pas s'imaginer que, dans son domaine 
même, elle soit toujours active. Les éléments psy- 
chiques qui lui sont le plus soumis travaillent 
d'ordinaire et agissent sans elle. L'automatisme tient 
une place extrêmement importante dans notre vie in- 
tellectuelle, comme dans notre vie affective, et aussi 
dans notre vie active. Si la volonté, sous ses formes 
affaiblies, à dose, pour ainsi dire, infinitésimale se 
retrouve partout ou à peu près partout, ses formes les 
plus caractérisées, les plus éloignées de l'automatisme 
sont relativement très rares. Elles constituent des 
crises exceptionnelles, la vie ordinaire se fait sans 
elles et se fait d'autant mieux qu'elles n'interviennent 
pas. 

D'autre part, comme nous avons pu nous en assu- 
rer dans tous les ordres de faits que nous avons exa- 
minés, le domaine de la volonté est essentiellement 
variable. Il varie d'une personne à l'autre, il varie 
chez une même personne, selon les moments, il varie 
aussi de l'enfance à l'âge mûr et de l'âge mûr à la 
vieillesse. Il varie non seulement avec le développe- 
ment total de l'individu, mais aussi avec le déve- 
loppement particulier de chaque tendance qui passe, 
en général, et en considérant abstraitement les 
choses, d'un état où la volonté est relativement im- 
puissante par suite d'un défaut de coordination, à 



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220 LA VOLONTE 

un état mieux coordonné dans lequel le pouvoir de 
la volonté s'affirme et se développe pour aboutir à 
un état d'automatisme où la volonté redevient im- 
puissante à cause de l'excès de coordination. Toutes 
les tendances ne présentent pas, et il s'en faut de 
beaucoup, la série de ces états, il en est beaucoup 
qui s'arrêtent dans un degré du premier ou du 
second stade ou qui ne s'arrêtent guère au troisième 
et se dissocient plus ou moins. Leurs éléments s'en- 
gagent alors, ou même auparavant, dans de nouvelles 
tendances et commencent de nouvelles évolutions. 
La vie de l'esprit, à cause des mille complications 
dans lesquelles entrent les éléments, ne prend pas, 
bien souvent, de formes régulières. 

C'est l'extension, le développement du domaine 
de la volonté que nous allons étudier à présent. 
L'esprit y emploie des moyens parfois singuliers et 
des ressources intéressantes à analyser. 



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CHAPITRE IX 
L'EXTENSION DU DOMAINE DE LA VOLONTÉ 



FORMATION ET ÉDUCATION DE LA VOLONTÉ, 
SUPPLÉANCES ET COMPLICATIONS 



§ i. — L'élargissement du domaine de la volonté. 

La volonté agrandit continuellement son domaine 
de certains côtés, en même temps qu'elle le laisse 
diminuer sur d'autres points. Elle conquiert des 
actes, des idées, jadis purement automatiques, mais 
aussi l'automatisme gagne d'autre part sur elle, et 
des actes volontaires deviennent instinctifs et, parfois, 
inconscients. 

La formation et l'élargissement de la volonté s'o- 
pèrent de plusieurs manières, plus ou moins régu- 
lières, et nous y voyons encore intervenir, plus ou 
moins, selon les cas, l'automatisme et la volonté. Par- 
fois l'extension du domaine de la volonté se fait spon- 
tanément pour ainsi dire, par des associations non vou- 
lues de phénomènes, souvent aussi c'est une volition 
qui rattache les uns aux autres les faits psychiques 
dont l'union va permettre au pouvoir personnel de 
s'exercer sur un plus grand nombre d'éléments psy- 



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222 LA VOLONTÉ * 

chiques. En général, d'ailleurs, l'automatisme et la 
volonté y ont chacun leur part, et ces parts s'enche- 
vêtrent et se compliquent singulièrement, comme 
dans toute une bonne partie de notre vie mentale» 

On ne fait volontairement, a-t-on dit, que ce qu'on 
a déjà fait sans le vouloir. En un sens le mot est 
exact. Il ne l'est pas absolument et l'affirmation con- 
traire est presque aussi vraie. Il arrive assez souvent 
qu'on fait volontairement des choses qu'on n'aurait 
jamais pu faire automatiquement. Mais si l'on entend 
que les actes élémentaires qui constituent un acte de 
volonté sont généralement automatiques ou l'ont été, 
et que la volonté résulte souvent d'un choix fait par 
l'esprit parmi des phénomènes dus à l'activité spon- 
tanée, je crois qu'il est impossible de ne pas recon- 
naître la vérité de cette proposition. 

Parmi nos façons d'agir, de parler, de raisonner, 
dépenser, il en est qui conviennent plus que d'autres à 
nos sentiments, à nos croyances, à l'ensemble de notre 
personnalité. Souvent c'est seulement après coup 
que nous nous en apercevons. Mais alors, par une 
association systématique bien naturelle et générale- 
ment spontanée, les désirs conscients et les éléments 
déjà organisés du moi, qui en a profité, s'associent 
à elles et deviennent capables de les faire revivre, de 
les susciter de nouveau quand il le faudra. A me- 
sure qu'elles s'associent ainsi à un plus grand nom- 
bre d'éléments du moi, et qu'elles entrent de plus 
en plus dans le système formé par le moi, elles sont 
par cela même de plus en plus soumises au pouvoir 
personnel qui n'est que l'expression de la vie con- 
sciente systématique du moi. 



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l'extension du domaine DE LA VOLONTÉ 223 

Pareillement, il est des façons de parler, de raison- 
ner, de penser qui conviennent moins que d'autres 
à nos sentiments, à nos croyances, à l'ensemble de 
notre personnalité, qui les choquent, les froissent, 
ou même les mettent en danger. Et le même pro- 
cessus se reproduit, mais en sens inverse. En bles- 
sant notre personnalité, elles l'excitent autant que 
celles qui s'harmonisent avec elles et elles tendent 
aussi bien à éveiller l'activité de ses éléments. De là 
un travail, souvent spontané, parfois volontaire, pour 
arriver à exercer sur elles une influence, non plus 
d'évocation cette fois, mais d'arrêt. 

C'est là ce qu'on trouve au fond de tous les déve- 
loppements réguliers du pouvoir personnel. A mesure 
que le moi se forme, que la personnalité se déve- 
loppe, beaucoup de tendances, d'abord instinctives, 
sont peu à peu volontairement utilisées, ou volon- 
tairement enrayées, et volontairement coordonnées. 
Elles se mettent de plus en plus en harmonie, elles 
se systématisent de plus en plus avec l'ensemble 
des tendances déjà organisées, c'est-à-dire qu'elles 
dépendent de plus en plus, dans leurs manifesta- 
tions et dans leurs inhibitions de ce système déjà 
formé. Et, à vrai dire, il ne faut pas considérer la 
formation du moi comme une chose absolument dis- 
tincte de cette coordination progressive. Car cette 
coordination progressive constitue essentiellement, 
pour une bonne part, la formation même de notre 
personnalité. Le moi se fait lui-même par bien des 
moyens divers et, en particulier, par des actes suc- 
cessifs de volonté, comme nous avons eu occasion 
de le remarquer déjà, qui le développent, qui l'orga- 



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*$&m? 



224 LA VOLONTÉ 

nisent et qui, par son développement présent, pré- 
parent son développement futur. 



§ 2. — Enfants et adultes. 

L'activité de l'enfant, au début de la vie, son acti- 
vité physique et morale, est automatique et réflexe. Il 
remue beaucoup au hasard des impulsions, et il sent, 
il voit, il touche, comme il remue. Peu à peu cette 
activité se régularise et se systématise, des rudiments 
de volonté deviennent appréciables, des systèmes de 
tendances peuvent en mettre d'autres en activité, 
provoquer des mouvements utiles et voulus, utiliser 
les données de l'automatisme et de l'activité réflexe, 
et en même temps arrêter au besoin et coordonner 
cette activité, introduire un certain ordre dans le 
chaos des impressions et des impulsions. L'automa- 
tisme même travaille pour préparer l'empire du pou- 
voir personnel 1 . 

Mais tout en étant très différentes en apparence, 
les choses, au fond, ne se passent guère autre- 
ment chez les adolescents ou chez les adultes. Tout 
au moins et pour autant qu'on peut juger de l'état 
mental chez des enfants, le procédé essentiel paraît 
bien être, dans tous les cas, le même. Nous avons un 



1. Voir les ouvrages de Bernard Pérez. La psychologie de l'en- 
fant, les trois premières années. L'enfant de trois à sept ans. Paris, 
Àlcan. Preyer, L'âme de l'enfant , trad. française de H. de Va- 
rigny. Paris, Alcan, 1887, et la note de Taine, sur l'acquisition 
du langage par les enfants, à la fin du premier volume de V In- 
telligence. Paris, Hachette, i883, 4 e éd., etc. 



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l'extension du domaine DE LA VOLONTÉ 225 

cas de l'extension de l'empire du pouvoir personnel 
lorsque l'on fait, par exemple, remarquer à un enfant, 
dont la personnalité est déjà bien formée, ou à un 
adulte, un tic, une habitude singulière oir- nuisible 
dont il n'avait pour ainsi dire pas connaissance, qui 
était devenue chez lui automatique, ou encore lors- 
qu'il la remarque lui-même, à la suite de quelque 
contrariété, de quelque moquerie, et qu'il se met 
alors à tâcher de la soumettre à sa volonté. Parfois 
il lui faut lutter assez vivement, et s'il est étourdi, in- 
souciant, si son pouvoir personnel n'est pas déjà exercé 
il peut échouer dans la lutte et laisser se continuer 
l'habitude vicieuse. Il peut même l'oublier, n'y 
plus prendre garde jusqu'à une nouvelle expérience 
pénible. 

Une grande partie de l'éducation que nous rece- 
vons dans notre enfance de nos parents et de nos 
professeurs et que nous continuons à recevoir plus 
tard, moins officiellement, mais d'une façon encore 
efficace, des gens avec qui nous sommes en relation 
et des événements de notre vie, consiste ainsi à nous 
rendre maîtres d'une immense quantité d'actions, 
d'idées et d'impressions spontanées. Nous apprenons 
à les "susciter quand il faut, à les enrayer à l'occa- 
sion, à les corriger, à les débarrasser de leurs élé- 
ments parasites ou nuisibles. C'est ainsi que nous 
nous adaptons à des circonstances nouvelles, que 
nous apprenons à danser ou à chanter, à nous tenir 
convenablement dans le monde, à faire des thèmes et 
des versions, à parler des langues étrangères, même 
à penser, à réfléchir, etc. Chaque nouvelle acquisi- 
tion est une combinaison nouvelle d'automatismes 

i3. 

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7 2 6 LA VOLONTÉ 

préexistants et donne aussi la possibilité de régulariser 
ou «l'enrayer le jeu des éléments psychiques qui agis- 
saient auparavant en dehors du pouvoir personnel 
ou contre lui. Chacune est une discipline nouvelle 
imposée par le moi à des éléments psychiques 
plus libres jusque-là, et l'annexion au domaine 
4 lu pouvoir personnel d'un domaine nouveau : actes, 
idées, ek\, qui n'existait pas auparavant et que 
nous créons avec des éléments que nous trouvons en 
nous «tu qui existait déjà, mais qui jouissait alors 
iFunc activité plus indépendante. 

G© travail se poursuit tant que notre personnalité 
évolue, il diminue à mesure qu'elle se fixe pour re- 
prendre plus tard si les circonstances l'exigent et si 
notre esprit a conservé assez de souplesse pour» Tac- 
eoiuplir. Je n'en donne ici que le schéma 1 11 est très 
varié dans la vie, tout coupé de luttes et de repos, de 
vieloires cl de défaites, de progrès et de reculs, inter- 
rompu parfois sur un point pendant de longues pé- 
ril h les pour se concentrer sur quelques autres. Il se 
compliqua de toutes façons par l'intervention de 
riniiijilinn sous toutes ses formes, de la suggestion, 
i le- l'automatisme et de la volonté, par l'activité va- 
riable el sans cesse renouvelée des idées et des sen- 
timents. Mais il n'est pas utile d'entrer ici dans tous 
ees détails et d'ailleurs, chacun peut s'en faire une 
idée assez exacte par sa propre expérience et par ses 
observations. 

Ce travail est plus ou moins compensé par une 
opération inverse : le passage de la volonté à l'au- 
tomatisme et le recul, sur certains points définitif, 
du pt n nuir personnel. Nous avons eu déjà l'occasion 



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L EXTENSION* DU DOMAINE DE LA VOLONTE 227 

de parler de cette transformation . A mesure qu'une 
fonction s'accomplit plus régulièrement dans les con- 
ditions voulues, le moi intervient, toutes choses 
égales d'ailleurs, de moins en moins, les associations 
de cette fonction, avec beaucoup d'éléments de la 
personnalité, se relâchent et se dissolvent. Elles sont 
remplacées par d'autres si l'état d'activité de l'esprit 
l'exige et le permet. Il y a, en effet, une grande con- 
currence entre les phénomènes psychiques et, comme 
l'avait remarqué Taine il y a longtemps déjà, la sé- 
lection naturelle s'applique continuellement dans le 
domaine de l'esprit. D'ailleurs à mesure qu'un acte 
est plus systématisé, l'excitation qu'il apporte est 
moins vive,, et peu à peu, bien des idées, des impres- 
sions, des sentiments, qu'il éveillait tout d'abord, 
s'atténuent et disparaissent. Peu à peu le nombre des 
éléments mis en jeu diminue, l'acte finit par s'ac- 
complir de lui-même quand il le faut, comme le tra- 
' vail qu'un ouvrier, une fois son apprentissage fini et 
ses habitudes prises, peut faire spontanément et sans 
direction active. Et il peut se faire que le moi, 
l'ayant négligé, s'étant pour ainsi dire fié à lui, perde 
une bonne part de son influence, et, plus tard, éprouve 
de grandes difficultés s'il se trouve avoir besoin de 
changer quelque chose à cette activité qu'il forma 
jadis, mais qui est maintenant devenue automatique 
et qui fonctionne sans son intervention. 

On en a souvent des exemples dans la vie pratique. 
Il faut aux élèves des efforts, des actes de volonté 
répétés, pour prendre certaines habitudes d'esprit, 
puis ces habitudes s'organisent, l'intelligence, les 
idées obéissent à la volonté, mais ces habitudes 



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228 LA VOLONTÉ 

plus tard finissent par devenir inconscientes et tyran- 
niques, elles ont acquis une organisation qui leur 
permet d'agir sans une intervention expresse de la 
volonté, et, enfin, si, les circonstances changeant, la 
volonté vient à changer aussi, elle éprouve de grandes 
difficultés à briser ce qu'elle a créé elle-même ou à le 
transformer. 11 n'est nullement rare de voir des gens 
victimes d'habitudes qu'ils ont volontairement prises, 
acquises même par des efforts de volonté, et dont ils 
ne peuvent pas se débarrasser plus tard, parce qu'elles 
sont devenues automatiques et fonctionnent en dehors 
de l'exercice du pouvoir personnel. 



§ 3. — Les moyens indirects du pouvoir personnel. 

Le pouvoir personnel n'étend pas son domaine 
seulement par des moyens réguliers et directs. Bien 
des faits internes resteraient en dehors de ses prises 
sur lesquels il est nécessaire qu'il agisse. Alors nous 
employons, pour les suppléer, des moyens plus indi- 
rects et détournés, des sortes de « trucs ». Parfois il 
ne s'agit que d'une volition à déterminer acciden- 
tellement, parfois au contraire il s'agit d'une annexion 
durable à déterminer, il faut mettre tout un méca- 
nisme mental ou moteur resté jusqu'ici assez indépen- 
dant, dans la dépendance du moi et à la disposition 
du pouvoir personnel qui disposera de lui désormais. 

Tous les cas peuvent se présenter, les uns très 
simples, les autres très compliqués, selon qu'il faut 
agir sur des éléments psychiques plus ou moins in- 
dépendants, et, pour employer une métaphore, plus 



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L EXTENSION DU DOMAINE DE LA VOLONTÉ 229 

ou moins éloignés du centre du moi, et éloignés 
d'une façon plus ou moins durable. Tandis, en effet, 
que quelques éléments psychiques, et une bonne par- 
tie des fonctions organiques restent, naturellement 
d'une façon constante en dehors des prises du moi, 
il en est d'autres qui tantôt obéissent à notre volonté et 
tantôt restent indépendants, selon les circonstances et 
aussi selon nos dispositions morales. Il est des jours 
de paresse, où nous ne pouvons presque rien sur 
nous-mêmes et des jours d'enthousiasme où tout 
nous semble facile. Mais j'ai déjà suffisamment indi- 
qué, à plusieurs reprises, les variations incessantes des 
limites de l'empire du pouvoir personnel. 

Pour les étendre, soit momentanément, soit d'une 
manière durable, nous pouvons ou bien agir sur les 
éléments psychiques, trouver des combinaisons ingé- 
nieuses qui nous permettent de relier ceux de ces 
éléments que nous ne pouvons atteindre d'une façon 
plus directe, à d'autres sur lesquels nous influons fa- 
cilement ou de profiter de leurs relations naturelles, 
ou bien agir sur le pouvoir personnel, sur le moi en 
général, sur l'organisme entier de façon à exalter sa 
puissance soit par une excitation momentanée, soit par 
un accroissement permanent de notre vigueur physique 
ou morale. Nous pouvons encore combiner les deux 
sortes de moyens. Parmi ceux de la première caté- 
gorie signalons tout de suite, pour fixer les idées par 
des exemples concrets, l'action exercée sur les bat- 
tements du cœur ou sur la pupille par un exercice 
approprié de l'imagination, et parmi ceux de la se- 
conde catégorie, l'excitation obtenue par l'alcool ou 
par une exhortation morale. 



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23o LA VOLONTÉ 



§ 4- — Combinaisons de phénomènes. L'intermé- 
diaire efficace. 

Souvent les phénomènes sur lesquels nous ne pou- 
vons pas agir directement sont associés à des phé- 
nomènes sur lesquels nous agissons selon notre gré, 
ou bien peuvent leur être associés par des combinai- 
sons qu'il dépend de nous de produire. Parfois encore 
le phénomène intermédiaire entre le pouvoir person- 
nel et l'élément automatique relativement indépen- 
dant ne peut pas être suscité à volonté, mais il se 
présente de lui-même dans certaines circonstances, 
et nous pouvons l'utiliser. 

Comme j'ai eu déjà l'occasion de le faire remar- 
quer, cette action indirecte ne diffère pas essentielle- 
ment de ce que nous considérons comme l'action di- 
recte de la volonté. Si elle se régularisait, devenait 
fréquente et automatique de manière que nous puis- 
sions ne plus apercevoir les intermédiaires, elle nous 
apparaîtrait, à son tour, comme immédiate et di- 
recte. L'influence de la synthèse volitive se trans- 
met de proche en proche, éveillant d'abord les phéno- 
mènes les plus étroitement reliés à ceux qui la con- 
stituent, et ces phénomènes à leur tour en éveillent 
d'autres et ainsi de suite de façon que l'ensemble 
de ces opérations garde toujours la même direction 
générale et la même orientation. Il est bien difficile 
d'assigner un rang à chaque phénomène qui se pro- 
duit, mais il n'y a pas de différence notable entre 
celui qui figure au commencement de la série et celui 
qui se trouve vers la fin, 



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l'extension du domaine de la volonté ia3i 

Par des intermédiaires bien choisis ou qui se pré- 
sentent naturellement à nous dans certains cas et que 
nous nous bornons à utiliser, le pouvoir personnel 
peut s'étendre et s'élargir singulièrement, si nous 
sommes assez intelligents pour remarquer la nature 
de ces intermédiaires, et assez adroits pour nous en 
servir. Ici encore, il est bien évident que la moindre 
observation nous révèle des différences considérables 
entre les individus. 

Nous pouvons agir ainsi, par des procédés indi- 
rects, sur nos idées, sur nos sentiments, sur notre 
conduite et même sur nos fonctions organiques, et 
nous recourons soit instinctivement, soit volontaire- 
ment à ces procédés, quand l'automatisme direct et 
le pouvoir personnel restent impuissants. 

Sur nos idées nous exerçons souvent une action 
indirecte au moyen de l'attention. Sans doute cette 
action n'est pas toujours très indirecte. Il nous est pos- 
sible, bien souvent, de porter notre attention sur un 
objet, sur une idée, sans avoir recours à des procé- 
dés détournés, en utilisant simplement nos senti- 
ments permanents, dont la pression, d'ailleurs, est 
souvent la cause ou au moins une des conditions de 
la volition qui les utilise. Par exemple je puis, en 
général, prendre un livre et, dans une certaine me- 
sure, lire attentivement au moins un moment. 

Mais souvent aussi la volonté ne dispose pas de 
forces suffisantes. On aurait quelque désir de s'ap- 
pliquer à une lçcture, à un travail et l'on ne peut le 
faire. L'impulsion affective fait défaut, les sentiments 
qui poussent à l'attention sont trop faibles, ou les 
éléments du moi sont trop peu disciplinés pour se 



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232 LA VOLONTÉ 

coordonner [à [la moindre velléité. Alors se produi- 
sent les combinaisons que M. Ribot a signalées. 
Elles font profiter l'attention volontaire de la force 
fournie [par un sentiment puissant qui vient se 
combiner avec celui qui nous poussait déjà, sans y 
réussir, à être attentifs. On peut, soit chez soi-même, 
soit chez d'autres, tâcher de susciter ainsi des asso- 
ciations utiles, de trouver l'intermédiaire efficace qui 
unira le moi irrésolu ou impuissant à l'acte auquel 
on désire le décider, et Un enfant refuse d'apprendre 
à lire ; il est incapable de tenir son esprit fixé sur 
des lettres sans attrait pour lui ; mais il contemple 
avec avidité les images contenues dans un livre, 
« Que représentent ces images ? » Le père répond : 
« Quand tu sauras lire, le livre te l'apprendra. » 
Après plusieurs colloques de ce genre, l'enfant se 
résigne, se met d'abord mollement à la tâche, puis 
s'habitue et finalement montre une ardeur qui a 
besoin d'être modérée. « Voilà un cas de genèse de 
l'attention volontaire. Il a fallu greffer sur un désir 
naturel et direct un désir artificiel et indirect. La 
lecture est une opération qui n'a pas d'attrait immé- 
diat, mais elle a un attrait comme moyen, un attrait 
d'emprunt ; cela suffit : l'enfant est pris dans un 
rouage ; le premier pas est fait l . » 

Cette action exercée sur les idées nous la retrou- 
vons sous bien des formes différentes, et même je 
crois qu'on peut la retrouver dans tous les domaines 
de Tin tell igence. La recherche du moyen, de Pin- 



i. Ribot, Psychologie de Vatlenlion, 5i-5a. 



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l'extension du domaine de LA VOLONTÉ 233 

termédiaire efficace est une des grandes occupations 
de Thomme. 

La volonté de nous faire des idées justes sur 
un sujet donné, d'acquérir des connaissances capa- 
bles de diriger notre conduite implique bien souvent 
la recherche de ce moyen, de cet intermédiaire effi- 
cace que nous venons de voir apparaître sous une 
forme assez simple et assez particulière. Passons à 
l'extrême opposé, considérons-le sous une forme très 
générale. L'homme a toujours voulu se faire des opi- 
nions sur l'ensemble des choses, sur le monde et sur 
ses semblables, mais il voulait en même temps se 
faire des idées vraies, capables de lui donner une 
bonne direction, de lui faire prévoir l'expérience fu- 
ture, et de le mettre à même de s'y adapter. Depuis 
les conceptions rudimentaires du fétichiste jusqu'aux 
théologies les plus savantes, depuis les réflexions 
naïves du sauvage préhistorique jusqu'aux plus sub- 
tiles métaphysiques, toutes nos idées philosophiques 
et religieuses sont des manifestations de ce besoin, 
dans lesquelles la volonté a joué son rôle. Mais main- 
tenant la conception scientifique du monde et de la 
connaissance, l'idée d'une méthode expérimentale 
rigoureuse, et, si l'on veut, l'effort pour remplacer 
l'« état théologique » et l'« état métaphysique » par 
l'« état positif », n'est qu'une tentative pour trouver 
un intermédiaire nouveau et efficace afin de relier 
notre désir de conceptions générales vraies avec l'en- 
semble de notre activité mentale et de créer enfin 
ces conceptions générales que l'on juge avoir été 
vainement cherchées par d'autres moyens. Notre 
pouvoir personnel ne peut créer directement ces 



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234 LA VOLONTÉ 

idées, encore à peine ébauchées et qui ne peuvent 
être amenées à l'existence définie par un simple acte 
de réflexion. Il faut trouver le moyen de rendre 
notre volonté efficace, le moyen c'est, d'après la phi- 
losophie positive (dont je n'ai pas ici à discuter le 
fond et que je ne prends que comme exemple psycho- 
logique) de l'appliquer à d'autres objets, plus ou 
moins aisément accessibles, de suivre des méthodes 
déterminées, d'éviter au contraire certains procédés 
déjà vainement employés, et d'arriver ainsi peu à 
peu à ce que la volonté ne peut nous faire atteindre 
d'emblée et directement. 

Ce n'est pas, bien évidemment, le seul procédé 
que peut inspirer le désir de la croyance philosophi- 
que vraie. On peut même tâcher de suggérer une telle 
croyance par des moyens tout à fait différents, si 
l'on pense, par exemple, qu'elle est déjà trouvée et 
que l'esprit doit l'accepter, non la créer. On peut 
compter alors sur l'influence de la pratique. Si la 
volonté seule reste impuissante, la routine, l'activité 
systématisée dans le sens voulu, sur laquelle notre 
pouvoir personnel peut plus facilement influer, finira 
peut-être par la faire triompher. « ^Vous voulez allez 
à la foi, disait Pascal dans un passage souvent cité, 
et vous n'en savez pas le chemin ; vous voulez vous 
guérir de l'infidélité, et vous en demandez le remède : 
apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et 
qui parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens 
qui suivent ce chemin que vous voudriez suivre, et 
guérir d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez la ma- 
nière par où ils ont commencé : c'est en faisant tout 
comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en 



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l'extension du domaine de la VOLONTÉ 235 

faisant dire des messes, etc. Naturellement cela vous 
fera croire et vous abêtira ! . » Ce passage a suscité 
bien des réclamations, et pourtant sous une forme 
ou sous une autre, rien n'est plus répandu que la 
méthode invoquée ici par Pascal. Bien souvent, 
ceux qui l'emploient le font instinctivement, sans s'en 
rendre compte, et ne voudraient pas convenir avec 
eux-mêmes qu'ils y ont recours. Mais, en fait, quand 
on a besoin d'avoir une opinion, on trouve presque 
toujours ' quelque moyen, logique ou illogique pour 
l'adopter, pour se laisser convaincre ou pour se faire 
persuader, pour s'entraîner soi même ou se laisser 
entraîner par les autres. Ce qui le prouve, c'est 
l'accord qui existe assez généralement entre les opi- 
nions d'une 4 personne et les exigences de sa position 
sociale, de son milieu. Cet accord s'établit, souvent, 
d'une manière à peu près automatique, sans que la 
volonté ait à intervenir d'une manière appréciable et 
surtout avec une pleine conscience de son rôle. 

§ 5. — Action sur les sentiments. 

Comme nous pouvons agir directement ou indi- 
rectement sur nos idées ; nous pouvons faire aussi 
de même à l'égard de nos sentiments. Ici l'action 
par des moyens détournés s'impose même plus sou- 
vent, car, comme nous l'avons vu, notre action directe 
est bien plus restreinte. (Je prends, bien entendu, 
le mot « directe » dans un sens relatif.) 

i. Pascal, Opuscules et Pensées. Édition Brunschvicg. Paris, 
Hachette, p. l\l\i. 



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236 LA VOLONTÉ 

Aussi l'action sur l'intelligence est-elle pour nous 
un moyen d'influer indirectement sur nos sentiments 
en tant que ces sentiments sont liés à de certaines 
idées ou que nous pouvons en nous attachant à de 
certaines idées nous empêcher de penser à eux. Nous 
savons aussi que, en nous plaçant dans certaines con- 
ditions extérieures nous agissons sur nos sentiments 
d'une manière possible à prévoir et à régler, au 
moins dans une certaine mesure. Enfin notre acti- 
vité aussi influence nos sentiments comme nos idées, 
et elle dépend souvent de nous plus que nos senti- 
ments. Soit que nous voulions renforcer certains sen- 
timents, soit que nous voulions en éliminer ou en 
affaiblir d'autres, nous avons donc le choix entre un 
assez grand nombre de moyens d'action, et nous pou- 
vons indirectement étendre, d'une manière parfois 
considérable, l'influence de notre pouvoir personnel. 

Je rappellerai simplement quelques-uns des pro- 
cédés très souvent mis en usage. Pour se distraire 
d'un chagrin ou d'un souci que la volonté seule ne 
pourrait suffisamment affaiblir par son influence di- 
recte, on voyage. Les perceptions nouvelles, les idées 
qu'elles font naître, les sentiments qu'elles nous inspi- 
rent sont de puissantes distractions. Inversement, 
pour renforcer un sentiment que l'on veut développer 
mais sur lequel la volition simple ne peut guère 
agir, on se place dans des conditions extérieures spé- 
ciales, on s'isole, on évite les distractions, on prévient 
ou on inhibe toutes les excitations qui lui seraient 
hostiles, on s'entoure de personnes et d'objets sus- 
ceptibles de le faire grancfîr, pour une raison ou pour 
une autre, quelquefois même par l'opposition et le 



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l' EXTENSION DU DOMAINE DE LA VOLONTE 2^ 

contraste. On recherche les « souvenirs», on s'en- 
traîne l'imagination. 

Parfois encore on se suggère dans la mesure du 
possible le sentiment désiré, ou le «contre-sentiment» 
voulu, on agit comme si l'on était tel qu'on veut 
être et cette sugg'estion par l'acte est parfois aussi 
puissante sur le sentiment que sur l'intelligence. (Il 
est vrai que parfois aussi on aboutit simplement à 
une irrésistible réaction.) Après avoir fait une chose 
avec répugnance on arrive à la faire avec goût, on 
est assez facilement entraîné à sentir selon la direc- 
tion dans laquelle on a agi. L'action, si influente sur 
les opinions, ne reste pas sans effets sur les senti- 
ments qui les accompagnent. 



§ 6. — Exercice de la volonté. 

On s'entraîne aussi à vouloir. Car la volonté même 
n'est pas toujours aisément soumise par le pouvoir 
personnel. Il est bien des gens qui ne peuvent 
pas vouloir alors qu'ils en auraient envie, il leur 
faut de l'exercice et de l'entraînement. Et l'on s'ha- 
bitue aussi à agir. Arriver à faire des choses qui 
nous répugnent est parfois une conquête qui donne 
beaucoup de peine au pouvoir personnel. On y 
arrive aussi par des moyens indirects ou semblables à 
ceux que nous avons eu déjà l'occasion d'invoquer. 
C'est en empruntant la force d'un sentiment puis- 
sant qu'on peut surmonter l'aversion que nous ins- 
pire un acte, mais si cela s^ fait parfois automatique- 
ment, spontanément, ce n'est pas toujours le cas. Il 



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♦>33 LÀ. VOLONTÉ . 

nous faut souvent faire effort, vouloir énergiquement 
pour bien associer l'idée de l'acte à commettre avec le 
sentiment qui doit la faire triompher. On se décide 
ainsi parfois à un sacrifice pénible à force de se 
représenter les avantages que peut en retirer une 
personne qu'on aime, si ce sentiment d'affection est 
1res fort. On arrive à vouloir supporter l'amputation 
d'un membre pour conserver la vie, à faire une dé- 
marche pénible à cause du profit qu'on espère en 
lirer. La volonté intervient souvent ici pour bien 
mettre en rapport la tendance sur laquelle elle s'ap- 
I uriera, d'Une part avec l'idée de l'acte qu'elle doit favo- 
r iser, et, d'autre part, par la même occasion, avec la 
tendance, l'impression qu'elle doit combattre. Elle ar- 
rive ainsi, comme dans le cas de l'attention, à rendre 
pofcsible indirectement ce qu'elle était incapable de 
faire d'elle-même, par son action directe, sans moyens 
détournés, et, pour ainsi dire, sans stratagème. 

Une fois que cette conquête a été faite, elle peut 
se répéter, devenir habituelle et l'empire du pouvoir 
personnel s'est élargi à l'avantage de la systématisa- 
liun générale de l'esprit. On peut arriver ainsi, en s'y 
impliquant méthodiquement si l'on est surtout per- 
sévérant, et parfois assez vite si l'on a beaucoup de 
Si mplesse d'esprit et quelques sentiments directeurs 
très forts, à « se posséder » vraiment, à être « maître 
de soi », à se servir à son gré et selon le besoin qu'on 
*n a de ses facultés, de ses idées, de ses sentiments, 
de son activité motrice, à réaliser enfin, mais jamais 
complètement, le portrait idéal et flatté que don- 
naient les spiritualistes du pouvoir personnel de 
l'homme et que j'ai déjà cité. 



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L^EXTENStON DtJ DOMAINE DE LÀ. VOLONTÉ 2^9 



§ 7. — Les fonctions organiques. Actions directes et 
indirectes^. 

Cette domination du pouvoir personnel peut 
s'étendre «'jusque sur les fonctions organiques qui 
s'échappent lé plus à notre volonté. L'importance de 
cette action n'est grande que lorsqu'elle est indirecte, 
et elle n'a pas encore atteint autant de précision qu'on 
voudrait et qu'il le faudrait pour être tout à fait utile. 

Il est un certain nombre d'actions indirectes qui 
n'ont pas une grande importance. On peut par 
exemple, en courant, augmenter le nombre de bat- 
tements du cœur. Certaines personnes arrivent 
aussi, par l'imagination, à contracter ou à dilater leur 
pupille. Le P r Béer, de Bonn, opérait, dit-on, de la 
manière suivante : lorsqu'il pensait à un lieu obscur, 
sa pupille se dilatait, elle se contractait, au con- 
traire, s'il pensait à un espace lumineux. Un au- 
teur cite plusieurs personnes qui pouvaient, suivant 
la direction de leurs idées, dilater la pupille, il n'en 
avait trouvé aucune qui pût la contracter \ 

D'autres actions indirectes sont si évidentes qu'il 
n'y aurait aucune utilité à en parler longuement. De 
ce nombre est par exemple l'action qu'on exerce sur 
l'estomac en mangeant, sur la respiration et sur la 
composition de notre sang en recherchant un air pur. 

Ce sont pourtant des remarques comme celles-là, 
convenablement multipliées, étendues, analysées, 
variées, qui sont à la base de l'hygiène et de la mé- 



1. Voir Hack Tuke, ouvr. cité. Trad. française, 3oa-3o3. 



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2^0 LA VOLONTÉ 

decine. Et l'hygiène et la médecine constituent les 
deux grands groupes de moyens objectifs par les- 
quels nous soumettons indirectement à notre pou- 
voir personnel, bien imparfaitement encore, à la 
vérité, le jeu de nos organes. Par elles le domaine 
de notre volonté s'accroît largement. Elles nous 
fournissent souvent cet intermédiaire efficace dont 
nous avons vu la nécessité et suppléent à l'impuis- 
sance de notre volonté tentant d'agir directement 
sur nos organes. Au moins viennent-elles augmen- 
ter et fortifier son action, car il semble bien que 
celle-ci ne soit pas nulle et que la ferme volonté de 
se bien porter ou de guérir n'est pas sans exercer 
quelque influence favorable sur le jeu de nos fonc- 
tions organiques, par l'intermédiaire, sans doute, de 
l'idée et du désir. 

A chaque expérience nouvelle qui nous montre 
l'effet d'un remède, à chaque découverte de l'hygiène 
ou de la thérapeutique, notre pouvoir personnel 
étend son domaine. Seulement il faut bien remar- 
querque le phénomène, ici, est plutôt social que psycho- 
logique, à cause de la division du travail social et de la 
spécialisation des fonctions. Ce sont ceux qui con- 
naissent la science qui ont directement la parcelle de 
pouvoir qu'elles donnent. Les autres en profitent 
indirectement. Au point de vue individuel, c'est 
simplement une complication de plus. Le premier 
venu ne peut agir sur ses organes, pour suppléer la 
volonté impuissante, qu'en voulant aller consulter 
un hygiéniste, un médecin, et, ensuite en voulant 
suivre ses conseils et employer les moyens qui lui 
ont été recommandés. 



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L*EXTENSlON DU DOMAINE DE LA VOLONTE 2^1 

L'auto-suggestion nous donne un moyen un peu 
plus direct pour soumettre au pouvoir personnel soit 
nos sentiments soit même nos fonctions organiques. 
Elle utilise l'influence naturelle des idées qui sont, 
ici, l'intermédiaire efficace. M. le D r Paul-Émile 
Lévy qui a étudié l'emploi thérapeutique de l'auto- 
suggestion insiste sur ce que l'auto-suggestion ne 
demande pas (ou rarement) de tension de la volonté, 
d'effort volontaire, au moins sous forme de tension 
brusque. L'effort doit être plus lent, graduel, moins 
senti. « Le « je veux » est même nuisible car il 
implique un désir et, par conséquent, la possibilité 
d'une non réalisation. On ne devra pas dire : « je 
veux être fort, bien portant, etc. » On usera de 
l'affirmation pure : « Je suis bien portant, fort, 
calme, je ne souffre pas, etc. » Même si nous n'y 
ajoutons pas tout d'abord la moindre foi, ces for- 
mules répétées machinalement finiront par amener 
peu à peu à leur suite l'idée qu'elles représentent. » 
Puis cette idée se précisera, se rapprochera de 
l'image et tendra de plus en plus vers sa réalisa- 
tion. On a obtenu ainsi des modifications de senti- 
nïents ou d'habitudes, et aussi la guérison de 
l'insomnie, la disparition ou la diminution de fati- 
gues, de courbatures, de crampes dans la main ou 
le mollet, de spasmes des paupières, de maux de 
tête, de névralgies, de maux de dents, de palpita- 
tions, de quintes de toux, de coliques et de constipa- 
tions. *. 

I. D r Paul-Émile Lévy. L'éducafion rationnelle de la volonté. 
Son emploi thérapeutique, 3 e éd. Paris, Alcan, 1901. 

Pauliian. i4 

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2^2 La volost^ 

La suggestion hypnotique peut utiliser aussi l'in- 
fluence des idées et des sentiments sur les fonctions 
organiques. La purgation, la vésication, la brûlure 
même peuvent être obtenues ainsi sans purgatifs, sans 
substances vésicantes et sans corps brûlant, mais ici 
ce n'est pas, en général, le pouvoir personnel de 
celui dont les fonctions organiques sont modifiées, 
qui est directement accru, c'est celui de l'hypnoti- 
seur. Le pouvoir personnel du patient, ne s'étend 
guère que très indirectement, par la possibilité 
d'aller trouver un hypnotiseur, et de se résigner à 
suspendre précisément l'exercice ordinaire de ce 
pouvoir personnel. En revanche le pouvoir per- 
sonnel de l'hypnotiseur est considérablement aug- 
menté par les procédés qui lui soumettent, d'une 
manière si frappante, l'esprit et même l'organisme 
de l'hypnotisé 1 . 



§ 8. — La conquête du monde extérieur. 

Certains spirites ou des adeptes de la théosophie, 
des sciences occultes, affirment pouvoir agir directe- 
ment par la volonté sur le monde extérieur. Bien 



i . Voir en particulier sur l'hypnotisme et la suggestion : 
Bermieim, La Suggestion. Paris, Doin, 1886. Binet et Féré\ 
Le Magnétisme animal. Paris, Alcan, 1887. Durand de Gros, 
Le merveilleux scientifique. Paris, Alcan, i8q4- Pierre Janet, 
L'Automatisme psychologique. Paris, Alcan, 1089. Ch. Richet, 
L'Homme et l'intelligence. Paris, Alcan, i884- Richer, Etudes 
cliniques sur la grande hystérie ou hystéro-épilepsie. Paris, Dela- 
haye et Lecrosnier, i885, les ouvrages et travaux de Charcot, 
Bourru et Burot, Delbœuf, Liégeois, etc. 



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i 



l'extension du domaine de LA VOLONTÉ 2^3 

que les phénomènes décrits par des observateurs 
sérieux soient quelquefois intéressants et puissent 
faire naître au moins le doute, je ne m'en occuperai 
pas ici plus longuement. S'ils existent, ce que je 
n'ai pas à affirmer ou à nier, ils sont au moins rares 
et peu utilisés encore. Nos moyens d'action sur le 
monde matériel sont d'ordinaire beaucoup plus gros- 
siers. L'industrie sous toutes ses formes et la science 
appliquée nous les procurent. Je n'ai pas à les énu- 
mérer, même brièvement. Il me suffit de faire re- 
marquer que chaque nouveau moyen de satisfaire un 
désir, même un désir que crée, pour ainsi dire, en 
donnant le moyen de le satisfaire, la nouvelle dé- 
couverte ou la nouvelle invention, chaque nouveau 
moyen ajouté à ceux que nous connaissons déjà 
vient étendre le cercle d'influence de notre volonté 
sur le monde extérieur. Et chaque connaissance 
nouvelle est, sinon par elle-même une extension de 
notre volonté, au moins une condition favorable 
à cette extension et qui lui est souvent nécessaire. 
Notre pouvoir personnel tend constamment à être 
développé par toutes les découvertes des savants et 
il l'est, en fait, par toutes les applications nouvelles 
des industriels, des ingénieurs, des médecins, dans 
l'ordre des sciences physiques et biologiques. 

Chaque outil nouveau, chaque instrument qui 
rend notre activité plus puissante, plus utile, plus 
précise, est une sorte de nouvel organe apte à ma- 
nifester notre volonté comme à suggérer ou à réaliser 
nos idées, à développer et à satisfaire nos désirs. 
Depuis le couteau de silex des temps préhistoriques 
jusqu'aux télescopes, aux téléphones et aux télégra- 



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2 14 LA VOLONTÉ 

phes tous les instruments sont une sorte d'« huma- 
nisa Lion » de la matière destinée à préparer ou à accom- 
plir une humanisation croissante du monde, un pro- 
longement de nos membres qui permet à notre pou- 
voir personnel de s'étendre toujours plus loin. 

( le pouvoir est aussi transformé et agrandi — ou 
restreint selon le cas — par les inventions sociales et 
par leurs applications, par les nouvelles lois, par les 
règlements administratifs. Il est généralement et en 
principe agrandi et restreint à la fois, c'est-à-dire 
régularisé et systématisé quand la loi est bonne, ou 
le règlement utile. Il est restreint en ce que toute 
une partie de son activité peut être inhibée, et déve- 
loppé en ce que cette même partie du pouvoir per- 
sonnel est inhibée aussi chez les autres hommes et 
que par conséquent son influence chez chacun de nous 
rn est augmentée corrélativement en tant que l'acti- 
vïiéj maintenant inhibée, des autres, aurait pu gêner 
sa propre activité. 

De même chaque précepte mo'ral qui s'établit, 
chaque nouvelle conception de la bonne conduite agit 
pour augmenter en somme la systématisation géné- 
rale de l'humanité si elle est juste, ou si du moins 
elle réalise un progrès sur l'état précédent. Et cela 
se traduit encore dans l'individu par une régularisa- 
liuti du pouvoir personnel, une augmentation de notre 
empire sur le monde, sur la société, sur nos sem- 
blables (en un sens au moins) et sur nous-mêmes. 
Tontes les vertus qu'on nous recommande : le cou- 
ragfcj la tempérance, la persévérance, la charité, etc., 
sorti les moyens de nous aider ou d'aider les autres, 
de favoriser notre activité ou celle d'autrui, elles 



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l'extension du domaine de la volonté 245 

sont les conditions de manifestation d'un pouvoir 
personnel supérieur aussi étendu que possible. Mais 
son extension n'est recommandée que dans la me- 
sure où elle paraît bonne, c'est-à-dire conforme à la 
manifestation d'un pouvoir personnel supérieur, — 
celui d'une individualité plus élevée, celui de Dieu, 
celui de l'humanité en général, — si l'on en reconnaît 
un. L'humanité marche ainsi à la conquête du monde 
et d'elle-même sans que d'ailleurs nous ayons le droit 
de compter sur sa pleine réussite. Quoi qu'il en soit 
d'ailleurs sur ce point, il me suffit d'avoir indiqué le 
rapport de ces diverses questions générales avec la 
psychologie de la volonté et je ne puis aborder ici 
leur étude directe. 



§ 9. — Phénomènes pathologiques de substitution. 

Les phénomènes pathologiques nous montrent 
comme les phénomènes normaux ce développement 
possible du pouvoir personnel, mais dans des cas 
spéciaux assez intéressants à cause même de leur 
singularité qui permet parfois de voir plus nettement 
le mécanisme de leur action. 

Un cas assez curieux est celui des suppléances. 
Quand une maladie met notre volonté dans l'impos- 
sibilité d'agir par les moyens qui lui sont habituels 
elle y supplée par d'autres moyens, comme notre 
volonté normale trouve des moyens détournés pour 
influencer des phénomènes qui échappent à sa prise 
directe. 

Par exemple, dans l'amnésie des signes, on voit 

i4. 



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^^p 



2^6 Lk VOLONTÉ 

des malades ayant perdu Tubage des images dont ils 
se servent généralement ou la compréhension de cer- 
taines perceptions avoir recours à des substitutions 
pour remplacer ce qu'ils nYmt plus et conserver, dans 
une certaine mesure au moins, la direction de leur 
activité* Un malade atteint de cécité verbale, incapa- 
ble de lire directement par le secours de la vue 
comme il y était habitué, arrive à remplacer la vue 
par le sens musculaire. Tel est le cas de M, 11. 1\.. 
observé parGnARnoT: « 11 vient d'écrire son nom, on 
lui dit de le lire/ « Je sais bien, dit- il, que c'est mon 
nom que j'ai écrit, mais je ne puis plus le lire. » 11 
\ient d'écrire le nom de l'hospice, je l'écris à mon 
tour sur une autre feuille de papier, et je le lui donne 
h lire ; il ne peut pas d 1 abord ; il s'efforce de le faire, 
et, pendant qu'il se livre à ce travail, nous remar- 
quons qu'avec le bout de son index de la main droite 
il retrace une à une les lettres qui constituent le mot 
et arrive, après beaucoup de peine, a dire : ci La Sal- 
pè trière*., » On lui présente une page imprimée. Il 
dit immédiatement : et Je lis moins bien l'imprimé 
que récriture, parce que pour récriture il m est 
facile de reproduire mentalement la lettre avec la 
main droite, tandis que c'est beaucoup plus diflicile 
pour les caractères imprimés. » Il ne s^tait jamais, 
en effet, appliqué à tracer avec la main des carac- 
tères imprimés, comme le ferait un peintre de 
lettres. On lui lait lire une li^ne en caractères 
imprimés : le malade met huit minutes k la 
déchiffrer et trois minutes seulement à lire la même 
ligne en lettres cursives. On remarque que toujours, 
en lisant, le malade trace des caractères dans l'espace 



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l'extension du domaine de la volonté 2^7 

avec la main droite ; on lui met les mains derrière le 
dos et on lui dit de lire ; on le voit alors tracer les 
lettres avec l'index sur l'ongle du pouce. Pour lire 
l'imprimé, il lui est commode d'avoir la plume à la 
main ; à l'aide de celle-ci, il se livre à des essais qui 
lui facilitent la besogne. l » On voit très bien dans 
ce cas la recherche de l'intermédiaire efficace, l'édu- 
cation qui se refait par de nouveaux procédés, la 
conquête tentée par le pouvoir personnel d'un 
domaine qui lui était soumis et que la maladie vient 
de lui faire perdre en détruisant les moyens d'action 
qu'il employait jusque-là et qu'il lui faut remplacer 
en employant de son mieux les facultés qui lui res- 
tent. 

On peut faire des remarques analogues à propos 
de bien d'autres fonctions. Des actes qui s'accomplis- 
saient automatiquement ou peu s'en faut, mais dont 
l'automatisme obéissait au pouvoir personnel devien- 
nent, par suited'une maladie, impossibles àreproduire. 
Il faut alors que les centres supérieurs du cerveau 
interviennent, que la volonté se tende, et que le pou- 
voir personnel arrive à remplacer peu à peu les élé- 
ments dont l'activité lui fait défaut. « Schultze a 
publié en 1882, l'observation et l'autopsie d'un 
tabétique qui avait été guéri par Erb douze ans avant 
et chez lequel il trouva cependant la lésion persis- 
tante des cordons postérieurs. Donc le tabès guérit 
cliniquement sans guérir anatomiquement ; donc les 
cordons postérieurs, restés altérés, ont été suppléés. 



1. D r Bernard. De l'aphasie et de ses diverses formes, p. 
Paris, Lib. du Progrès médical, i885. 



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2^8 LA VOLONTÉ 

te Ces faits prouvent que, par la suppléance, non 
seulement les centres et leurs conducteurs survivants 
peuvent remplacer ceux qui ont été détruits, mais 
qu'encore la fonction de ces survivants peut s'accroî- 
tre dans de fortes proportions et que les conductions 
qui se faisaient normalement par les organes détruits 
peuvent arriver à se faire par des organes absolument 
étrangers à l'exercice normal et physiologique de 
celte fonction. » 

Les faits de ce genre ont été le point de départ 
du traitement de Frenkel dans l'ataxie, traitement 
où le rôle du pouvoir personnel se montre bien avec 
des caractères d'organisation progressive et de ten- 
dance à l'extension. « On analyse soigneusement, 
dit M. Grasset, à qui j'emprunte ces renseignements, 
les troubles d'incoordination de chaque tabétique, 
puis on s'efforce de lui faire corriger cette incoordi- 
nation par la concentration sur l'acte de sa volonté 
et de son attention. Le malade réapprend à faire 
lentement, aussi régulièrement que possible et d'une 
façon réfléchie, les mouvements qu'il ne sait plus 
faire ou qu'il fait mal. « On est obligé, dit Hirsch- 
berg, de lui enseigner comment il faut s'y prendre pour 
s'asseoir, pour se lever, pour se tourner. . . » 

<c Evidemment, par l'action cérébrale voulue, on 
crée ou on met en action un nouveau système de 
coordination spéciale, chez le tabétique dont la coor- 
dination spinale est détruite ou altérée. En somme, 
comme je le disais dans le travail cité plus haut 
(1S97), (( la méthode de Frenkel revient à une 
rééducation de la moelle par le cerveau. » 

« On arrive à refaire avec son cerveau les mouve- 



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^EXTENSION DU DOMAINE DE LA VOLONTÉ 2^0 

ments perdus ; même, quand le progrès est suffisant, 
le cerveau qui a tout fait et tout conduit jusque là 
peut arriver à s'abstenir au moins par moments ; la 
suppléance médullaire s'est reconstituée et le tabéti- 
que peut recommencer à marcher et à agir automa- 
tiquement, sans y penser chaque fois â . » C'est 
dire que l'on retrouve dans les faits de ce genre l'évo- 
lution complète de la volonté depuis l'impuissance 
anarchique primitive jusqu'à l'automatisme coor- 
donné de la fin en passant par la volonté et le pou- 
voir personnel, qui garde d'ailleurs son influence. 

En certains cas, enfin, nous voyons la volonté se 
restaurer elle-même en s'exerçant. Le pouvoir per- 
sonnel se reforme et reprend peu à peu possession 
d'une partie au moins de son influence perdue, non 
point en voulant directement cette reprise, mais 
simplement en se fortifiant par l'exercice, ce qui rap- 
proche ce phénomène de ceux dont je parlerai 
tout à l'heure et où la synthèse volontaire est obte- 
nue par l'excitation de l'esprit, non par des associa- 
tions nouvelles et des moyens détournés. M. Pierre 
Janet a amélioré ainsi l'état d'une malade à idées 
fixes, suggestible, aboulique, incapable d'attention, 
agitée et violente dans ses attaques, mais, dans l'in- 
tervalle, impuissante à agir. « Elle est depuis fort 
longtemps incapable de rien faire. Elle est comme 
un enfant sans décision et sans résistance, n'agis- 
sant un peu que sous l'impulsion continuelle des 
personnes qui l'entourent, et souvent même in- 



i. J. Grasset, Les maladies de l'orientation et de l'équilibre, 
280-283. 



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mm~^ 



230 tA VOLONTE 



capable malgré ses efforts de leur obéir. » Son 
état s'est amélioré par le travail mental, considéré 
et employé i< comme une gymnastique qui accroît 
par l'exercice la puissance de synthèse mentale, seule 
capable de s'opposer efficacement à la suggestibililé 
et aux idées fixes ». L'expérience dut cire conti- 
nuée très longtemps et offrît de grandes difficultés, 
a D'un côté, dit M* Ja^et, j'usai de toutes les res- 
sources de la suggestion, qui reprenait ici son rôle, 
pour contraindre ta malade à faire ces travaux; de 
l'autre le mari de Justine, qui était un homme fort 
intelligent et dévoué à cette pauvre femme, a mis 
une grande patience et une grande habileté à exé- 
cuter cette singulière ordonnance médicale. 

« Nous avons pu obtenir ainsi d'abord quelques 
minutes d'attention consciente sans accident, nous 
avons pu amener la malade a expliquer quelques 
lignes, à faire une addition, etc. Puis le travail put 
être prolongé une demi- heure, une heure par jour 
sans inconvénients. Des anciens souvenirs qui sem- 
blaient effacés réapparaissaient tout d'un coup et 
facilitaient la besogne ; après quelques jours d'ef- 
forts infructueux, Justine découvrait tout d'un coup 
qu'elle savait faire une multiplication. De petites 
compositions littéraires purent être faites et les 
levons, grande merveille, pouvaient être récitées à 
l'état de veille. » Enfin, plus tard, Justine a acquis 
quelque inslruction } elle peut faire des comptes, 
déchiffrer quelques morceaux de piano, et tt le fait 
vraiment intéressant, c'est que la plupart des symptô- 
mes de l'aboulie se sont, profondément modifiés n. 
L'activité physique et intellectuelle est en grande 



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L*EXTENSION DU DOMAINE DÉ LA VOLONTÉ 25ï 

partie rétablie ; la malade travaille continueltetofiât 
dans sa maison, se rend utile et, dans les heures 
consacrées au travail cérébral, cherche à résoudre 
des problèmes d'intérêt, tandis qu'autrefois elle ne 
pouvait pas comprendre trois lignes d'un journal. 
Les doutes ont disparu, la mémoire est normale H 
les anesthésies ne peuvent plus être constatées que 1res 
rarement. Le champ visuel se rétrécit encore un peu 
sous l'influence de l'attention, mais beaucoup moins 
qu'autrefois, et la diplopie n'existe plus. La malade 
s'aperçoit bien de tous ces changements ets'élonne 
de se rendre compte des choses qu'elle ne compre- 
nait plus depuis bien des années, elle se sent plus 
capable d'affection et, de toutes façons, plus heu- 
reuse 1 . » Et ce fait montre quelle quantité et quelle 
variété de phénomènes se rattachaient à la volonlé } 
plus ou moins étroitement, et disparaissaient, s'affai- 
blissaient ou se reproduisaient avec elle et sous son 
influence. 



§. 10. — L'excitation du moi et de ses éléments. 

Avec les moyens détournés qui permettent de 
rendre ou de donner à la volonté son pouvoir par la 



i. Pierre Janet, Histoire d'une idée fixe in Névroses et idées 
fixes, t. I, p. 197-198. Voir un autre cas au tome II, p. &S-34- 
On trouvera aussi au tome I une étude très approfondie sur un 
cas d'aboulie et d'idées fixes. M. Janet y examine miitultett- 
sèment une malade et tire de ses observations des idées inté- 
ressantes sur le caractère de nouveauté de la synthèse volon- 
taire, sur l'étendue du rôle de la volonté dans la vie mentale, 



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252 LA VOLONTE 

recherche, la découverte et l'emploi de l'intermé- 
diaire efficace nous pouvons utiliser aussi d'autres 
moyens qui exaltent plus directement la volonté, soit 
momentanément, soit d'une manière durable et 
augmentent sa puissance en excitant la personnalité 
ou certains de ses éléments par des moyens parfois 
moraux et parfois plus spécialement physiologiques, 
ou encore par l'inhibition de certains éléments (idées 
ou tendances) qui s'opposent à notre activité. 

Les uns et les autres peuvent arriver à augmenter 
considérablement notre prise sur nous-mêmes, ou, 
du moins, dans certains cas, nous rendre capables 
d'un effort i particulier que nous désirons faire sans 
pouvoir y parvenir. 

Les secours que nous devons recevoir en pareil 
cas, nous pouvons les trouver en nous-même ou les 
recevoir des autres, et, en ce cas, il est parfois pos- 
sible de les provoquer volontairement. On y doit avoir 
assez souvent recours. Il est assez ordinaire de cher- 
cher à s'entraîner en se représentant vivement les 
conséquences d'une action, en s'excitant de son 
mieux, en tâchant de faire revivre en soi les idées et 
les sentiments appropriés à l'acte qu'on veut accom- 
plir, et aussi en s'exhortant, en se parlant de son 
devoir et de sa dignité. La prière est encore, au point 
de vue psychologique, un moyen de suggestion per- 
sonnelle qui peut être efficace pour certaines per- 
sonnes ; elle peut déterminer une excitation spéciale 
de leur moi, ou de quelques-uns de leurs sentiments, 
et en même temps distraire l'esprit, inhiber les 
activités opposées. Pour d'autres un juron sera le 
coup de fouet qui stimule et décide le départ. Les 



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r 



l'extension du domaine de LA VOLONTÉ 253 

discours, les exhortations, les sermons que l'on 
recherche ou que l'on subit peuvent agir de façon 
analogue et augmenter notre force. On peut l'aug- 
menter aussi, en recherchant, selon ce qu'on veut 
faire, la compagnie de telles ou telles personnes, 
en entrant dans une église ou dans un théâtre. 
On peut s'exciter à la vengeance en recherchant la 
vue de son ennemi, s'exciter à des actes de haine en 
contemplant le bonheur des autres de 'façon à ce 
qu'il vous blesse et vous exaspère, s'entraîner par 
l'exemple d'autrui et se déterminer au travail en fré- 
quentant des gens qui travaillent, etc. Évidemment 
de tels moyens ne sont pas toujours bien sûrs, il 
arrive, surtout aux personnes nerveuses et un peu 
inquiètes, d'éprouver une vive réaction lorsqu'elles 
espéraient un entraînement imitatif et de se laisser 
entraîner lorsqu'elles comptaient sur une réaction. 
La vue de la joie d'autrui peut désarmer une ran- 
cune au lieu de l'exaspérer et la fréquentation de 
gens qui aiment une distraction peut vous en dégoû- 
ter à jamais. En pareille matière r on a beau être avisé 
on n'est jamais bien certain à l'avance du résultat 
qu'on poursuit. 

Ces procédés, qui peuvent être instinctifs ou très 
volontairement employés ou même utilisés par ha- 
sard, différent de ceux que nous avons étudiés déjà 
par des caractères aisés à déterminer. Il ne s'agit plus 
précisément ici de découvrir un intermédiaire effi- 
cace, d'effectuer de nouvelles associations, mais sim- 
plement de rendre efficaces des associations existant 
déjà, de renforcer un sentiment assez fort, de faire 
passer la velléité à l'état de volonté, non point par des 
Pauliian. i5 

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3 54 LA VOLONTE 

substitutions de phénomènes, mais en donnant une 
force plus grande au désir, et aussi en inhibant les 
désirs opposés qui entravent sa manifestation. Au 
reste les deux catégories de procédés se mêlent et 
se combinent souvent 7 et parfois elles paraissent se 
confondre. Renforcer un désir c'est peut-être, gé- 
néralement, lui en adjoindre un autre, Et en cer- 
tains cas, comme dans la suggestion hypnotique 
qui aurait pu être indiquée ici, aussi bien que 
dans le paragraphe précédent, il est parfois difficile 
d'analyser avec rigueur le phénomène produit et de 
voir s'il se produit une simple excitation avec les in- 
hibitions corrélatives ou un éveil de désirs nouveaux. 
Ce double phénomène d'association systématique 
et d'inhibition que nous retrouvons partout dans 
l'esprit est aussi très net dans les faits qui nous occu- 
pent. Il s'agît évidemment de déterminer l'association 
systématique du désir et de l'acte. Mais il s'agit 
aussi d'inhiber les tendances, les idées, les impres- 
sions qui y font obstacle. Cela, du reste, n'offre pas 
de difficulté spéciale. 



§ ï I » — Moyens physiologiques* 

On peut renforcer un sentiment, et déterminer un 
acte aussi bien par des excitants physiologiques que 
par des excitants moraux. D'une manière générale 
tout ce qui fortifie l'organisme peut devenir une con- 
dition favorable à l'exercice de la volonté et à son 
développement. Ce résultat d'ailleurs n'a rien de 
fatal et d'absolument régulier. Il est an contraire drs 



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^EXTENSION Dt) DOMAINE t>Ë LA VOLONTÉ 255 

gens qui se possèdent mieux quand l'imminence du 
mal vient les forcer à réfléchir et leur montre le dan- 
ger immédiat de n'être pas maîtres d'eux-mêmes, et 
qui redeviennent impulsifs ou se laissent aller à leurs 
instincts s'ils se portent bien. 

Mais outre ces relations générales qu'il n'est pas 
toujours possible de diriger heureusement et de faire 
tourner à bien, il existe des moyens plus spéciaux et 
plus prompts pour agir sur notre volonté. Un excitant 
quelconque, un bon repas, un verre de vin, une fai- 
ble dose d'eau-de-vie, de quinquina, une cigarette, 
parfois simplement une marche à l'air pur, par un 
temps frais et beau, même un geste, une interjection 
peuvent faciliter certains actes. On entend souvent 
parler des assassins qui boivent pour s'entraîner au 
crime. Tolstoï prétend qu'une cigarette est très effi- 
cace pour décider un fumeur à un acte qu'il blâme 
mais qu'il désire accomplir sans en avoir le courage. 
On peut employer les excitants dans des intentions 
plus louables ou, du moins, plus indifférentes, s'en 
servir pour accomplir un acte de courage qui effraye 
un peu ou inquiète à l'avance, ou bien une corvée 
quelconque, désagréable, mais à laquelle on désire 
pourtant ne pas se soustraire. On peut s'en servir 
pour combattre la lâcheté, la timidité, le respect 
comme pour se débarrasser de son sens moral. « Au 
moment d ? entrer en scène, dit M. Hartenberg, la 
plupart des artistes ont un geste familier qui leur sert 
de point d'appui à la volonté et d'auxiliaire pour se 
dominer et se contenir. Ainsi M. Paul Mounet crispe 
nerveusement les doigts et M me Bartet tend une jambe 
en arrière, en appuyant sur elle de toutes ses forces. 



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"■M»*Hpj" * 



^56 LA VOLONTÉ 

D'autres prononcent une phrase intérieure, interjec- 
tion d'encouragement où le mot de Cambronne éclate 
quelquefois *. » Plusieurs malades, chez qui domine 
la crainte de la rougeur, boivent pour l'arrêter et 
la cacher. « Cinq de nos sujets, sur huit hommes, 
disent Pitres et Régis, se livraient à la boisson dans 
ce but... cela leur donne plus d'assurance, leur per- 
met d'affronter les regards, de parler et d'agir comme 
tout le monde... l'un d'eux, s'étant aperçu à vingt et 
un ans que quand il avait bu il avait du toupet comme 
les autres, se mit à boire de temps en temps de l'al- 
cool et de l'absinthe, comme préservatif de sa rougeur. 
Et comme il avait remarqué que l'excitant mettait 
environ vingt minutes à faire son œuvre, il avait soin 
de boire une petite demi-heure avant d'accomplir les 
actes qui coûtaient le plus à sa timidité. À ce mo- 
ment, un peu étourdi, il aurait parlé, joué la comé- 
die, bravé le monde entier 2 . » 

Si nous analysons un peu le fait de l'excitation de 
la volonté par des moyens physiques, nous arri- 
verons à une conclusion assez singulière et qui 
contredit jusqu'à un certain point le fait apparent de 
l'augmentation du pouvoir personnel. Il est assez 
connu que l'alcool, ni même le vin ne peuvent être 
sérieusement recommandés comme un moyen régu- 
lier d'éducation du vouloir. D'abord ce n'est qu'à 
faible dose qu'ils peuvent augmenter convenablement 
l'activité. Et cela même est contesté. « L'attention ou 



i. Hartenbkrg. Les timide* et la timidité. Paris, Alcan, 1901, 
244-245. 

2. Cité par Hahtênberg. Même ouvrage, 288*239, 



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l'extension du domaine de la volonté 257 

la volonté, dit M. Charles Richet, c'est l'homme 
même : c'est le moi, qui, étant en pleine possession 
des ressources dont il dispose, les prend où il veut, 
quand il veut, pour en faire tel usage qu'il lui plaît. 
Or dans l'ivresse, même au début, la volonté et l'at- 
tention ont disparu. Il n'y a plus que l'imagination 
et la mémoire, qui, abandonnées à elles-mêmes, sans 
règles et sans guides, produisent les effets les plus 
inattendus \ » Il se pourrait que le premier effet 
du vin, même s'il doit produire presque immédia- 
tement une dépression, fût une excitation cependant, 
conformément à une loi bien connue. Mais ce qu'on 
peut conclure aussi, c'est qu'il faut se méfier de l'ac- 
tion des excitants et y regarder d'un peu près. 

On voit alors, à mon avis, que l'accroissement, 
l'excitation du pouvoir personnel, est aussi, en réa- 
lité, par un autre côté, un affaiblissement du pouvoir 
personnel. H y a une sorte de scission de ce pouvoir. 
Dans bien des cas, nous sommes en lutte avec nous- 
même. L'homme qui boit pour commettre une indé- 
licatesse avec plus d'entrain peut exalter son désir 
et se déterminer à l'acte, mais le pouvoir qu'il ac- 
quiert en ce sens est compensé d'un autre côté. Ce 
qui le retenait, c'était bien aussi son moi, son pouvoir 
personnel. Ses sentiments d'honnêteté, ses scrupules 
ne lui appartenaient pas beaucoup moins que les dé- 
sirs qui le poussaient à n'en pas tenir compte. Leur 
activité, l'inhibition qu'ils exerçaient sur les mauvais 
désirs et l'activité malfaisante étaient aussi contrôlées, 



1. Gh. Richet. L'homme et l'intelligence m. Les poisons de 
l'intelligence, p. 94. 



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^^^^*m 



a 58 LA VOLGYTÉ 

I 

et voulues par le moi, elles avaient été souvent déjà 
sans doute encouragées et soutenues par lui. Sans 
doute même il regardait comme une des marques les 
plus sûres de son pouvoir ce veto exercé contre les 
tendances qu'il blâmait et qu'il regrettait peut-être de 
trouver en lui. Aujourd'hui, sous l'influence de cir- 
constances particulières, le moi est un peu désor- 
ganisé, divisé, il se laisse orienter dans le sens de 
l'impulsion passionnelle, mais ne peut toutefois 
échapper a lui -même, à ses propres sentiments. Alors 
il fait appel à des forces extérieures, l'alcool augm en- 
tera peut-être le désir du moment, mais il diminuera 
le contrôle, et il est hien possible que là s'exerce sa 
plus grande Influence. De la sorte, le moi est oblige 
de se diviser pour agir, de renoncer à une partie de 
sou pouvoir pour rendre efficace la velléité et peut- 
être, en somme, de se diminuer notablement pour 
s'exercer maintenant dans le sens désiré. 

Mais ceci est, dans une certaine mesure, indépen- 
dant du caractère de moralité et d'immoralité des 
deux actes. Celui qui arriverait, en s 'excitant artifi- 
ciellement, à s'entraîner à une action louable et désin- 
téressée dont il aura plus tard à supporter les consé- 
quences se trouverait exactement dans le même cas. 
Lui aussi devrait renoncer a toute une partie de son 
empire sur lui-même. Il ne pourrait plus régler, 
comme il le voudrait, la satisfaction de ses désirs, et 
deviendrait la victime de sa bonne action. Le con- 
trôle exercé jusqu'ici par des sentiments égoïstes 
va se trouver affaibb ou ruiné, le moi sera peut-être 
désorganisé dans une assez large mesure et le pouvoir 
personnel, définitivement affaibli, pour être remplacé 



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l'extension du domaine de la volonté 259 

par une certaine incohérence des désirs et des ten- 
dances. Il n'est pas douteux que beaucoup de bonnes 
actions qu'on loue fort ne sont accomplies ainsi que 
par un défaut de contrôle. Si l'on en pouvait mesurer 
facilement les conséquences, souvent elles ne se feraient 
pas. La réflexion qui rend prudent rend parfois aussi 
moins généreux. Si ce n'est pas un verre de vin qui 
détermine l'acte, ce peut être une impulsion soudaine, 
l'envahissement de la conscience par un brusque 
sentiment qu'inspire la vue d'une infortune ou un 
malheur personnel. 

Au reste ce cas est moins à espérer peut-être que 
le cas inverse n'est à craindre. C'est que la possession 
de soi est une chose que nous regardons comme mo- 
rale et que bien souvent les appétits que déchaîne la 
surprise du sentiment ou l'excitation artificielle, les 
tendances élémentaires automatiques qui sont ainsi 
délivrées, ne sont rien moins que recommandables. 
Seulement rien n'est absolu en ceci. Parfois le pre- 
mier mouvement, le mouvement spontané vaut mieux 
que le mouvement réfléchi et soigneusement pesé, 
parfois c'est le contraire. On trouve l'influence de ce 
double fait dans des proverbes exprimant des opinions 
généralement répandues. On aime la spontanéité, on 
oppose la générosité naturelle à la mesquinerie du 
calcul, les gens réfléchis paraissent égoïstes et froids, 
d'autre part on recommande la possession de soi, la 
prudence, le sang-froid. Tout cela se contredit un peu 
et généralement on s'y débrouille d'autant plus mal 
que l'on se fait de singulières illusions sur les mobiles 
des actes d'autrui et même sur leur nature, sur leur 
valeur réelle, sur leurs conséquences lointaines aussi. 



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2ÔO LA VOLONTÉ 

En suivant la série de ces faits, on arriverait à des 
conséquences générales. Peut-être toute action, volon- 
taire ou non, est-elle, en tant que spécialisation, un 
appauvrissement du moi et du pouvoir personnel, car 
elle ne se produit qu'en exerçant autour d'elle une série 
d 1 inhibitions. Le moi s'appauvrit virtuellement quand 
il se réalise d'une façon ou d'une autre. Mais c'est à 
la morale à examiner cette question et à en débattre 
les conséquences. Il n'y a pas lieu d'y insister dans 
une étude psychologique sur la volonté. 

§ 12. — L'éducation de la volonté. 

Faire l'éducation de sa volonté, développer son pou- 
voir personnel ou lui rendre l'influence que la maladie, 
le chagrin, de mauvaises habitudes lui ont fait perdre 
c'est évidemment un des buts les plus importants de 
rhnmme. Les remarques qui précèdent indiquent 
quelques-uns des faits que l'on peut utiliser pour 
l'atteindre. Il faut les combiner, les choisir aussi, 
car il en est de dangereux et dont l'efficacité pas- 
sagère se fait payer bien cher par une fâcheuse 
dépression. Ce ne sont pas seulement Jes excitants 
physiques, comme le vin, dont il faut se méfier. Cer- 
tains excitants psychologiques ne valent guère mieux. 

Faire l'éducation de notre volonté, c'est nous 
apprendre à disposer de toutes nos facultés, c'est les 
rendre solidaires les unes des autres et surtout de 
l'ensemble de notre personnalité en faisant d'elles 
de véritables « fonctions » variant en harmonie avec 
les différents états du moi. Inconsciemment ou con- 
sciemment, par instinct ou par volonté, chacun entre- 



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l'extension du domaine de la volonté 261 

prend plus ou moins cette tâche sur soi-même et 
chacun aussi l'entreprend plus ou moins sur les autres 
et tend à former dans une certaine mesure leur per- 
sonnalité. Il ne saurait en être autrement dans notre 
vie sociale où les individus, solidaires les uns des 
autres, sont en somme des éléments d'un même 
ensemble. Mais les résultats sont très différents selon 
les méthodes employées et surtout selon les esprits 
qui s'en servent. Chez les uns où des désirs sans cesse 
changeants ne cessent d'orienter la personnalité en des 
sens différents, l'unification reste rudimen taire et 
avorte misérablement. Elle aboutit chez tel autre qui, 
déjà naturellement unifié, s'applique avec persévé- 
rance à soumettre à son pouvoir personnel toutes les 
énergies de son moi. Les différents caractères des 
hommes, considérés par rapport à l'unification des 
phénomènes, les caractéristiques psychologiques qui 
distinguent les unifiés des équilibrés, les maîtres d'eux- 
mêmes, des impulsifs, les incohérents des émiettés 3 , 
peuvent à un certain point de vue être considérés 
comme autant de réponses, de valeur très différente, 
faites au problème de l'éducation de la volonté, en pre- 
nant le mot éducation dans- un sens très large 1 . 

1 . Je n'ai pas à donner ici de conseils pour arriver à un bon 
résultat, pour trouver l'intermédiaire efficace ou l'excitation re- 
constituante. Mais des auteurs contemporains -ont écrit sur ces 
questions des travaux qu'on pourra lire avec plaisir et avec 
profit. Je rappelle d'abord l'intéressant ouvrage, déjà cité, de 
M. le D r Lévy, sur l'éducation rationnelle de la volonté et son 
emploi thérapeutique. Il y insiste sur F auto-suggestion et l'uti- 
lisation indirecte de l'influence de l'idée. Je signalerai aussi le 
livre de M. Malapekt, plus théorique : Les éléments du caractère 
et leurs lois de combinaison. Paris, Alcan, 1897 (Partie III, chap. 
11: La création du caractère par la volonté.) M. Maurice de 

i5. 

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i 



262 LA VOLONTÉ 

D'un type à l'autre le domaine de la volonté ne 
change pas moins que sa forme. Le pouvoir personnel, 

Fleur*! en exposant avec beaucoup de netteté et de verve le 
traitement de la paresse, dans son Introduction à la médecine 
de l'esprit, (Paris, Alcan, 1897) appuie principalement sur les 
moyens physiques de remédier à la faiblesse de la volonté. On 
verra dans son livre l'efficacité des frictions au gant de crin, des 
injeclion!) do sérum, du régime alimentaire et de la régularité 
dans le travail. M. Jules Payot, au contraire, dans Y Education 
tic In Valante, étudie surtout les moyens moraux qu'oubliait 
trop sans doute M. M. de Fleury et à son tour il néglige peut- 
être avec excès le# ressources que peut fournir l'hygiène et la 
thérapeutique, malgré son chapitre sur l'hygiène corporelle. On 
trouvera dans son ouvrage une très intéressante étude sur les 
moyens de développer et de fortifier le pouvoir personnel, de 
favoriser les sentiments favorables et de les susciter au besoin, 
d'enrayer au contraire et de supprimer indirectement les senti- 
ments défavorables à l'œuvre de maîtrise de soi. M. Payot ne 
craint pas d'aller jusqu'à nous proposer le mensonge pour com- 
battre la passion, « La passion forte empêche l'éveil de l'esprit 
critique, mois si le dénigrement volontaire de l'objet de la passion 
est possible, la passion est en danger de périr... Ce qui est pos- 
sible lorsqu'on a à opposer à des sophismes des vérités, est pos- 
sible dans des cas même qui paraissent plus difficiles : lorsqu'il 
s'agit ou bien d'opposer à des sophismes de véritables mensonges 
volontaires, ou, De qui est plus fort, lorsqu'il faut opposer à une 
vérité qui contrarie l'œuvre de maîtrise de soi, un réseau de 
mensonges utiles » (p. 83). Et voici encore un cas où le triom- 
phe est, & certains égards, une défaite, car l'unification du moi 
par li- mensonge qu'on se fait *à soi-même a toujours quelque 
chose de précaire et de radicalement insuffisant, mais on se 
heurte constamment à ces sortes de contradictions. 

Ce qu'on peut remarquer encore c'est que la méthode de 
M, Payot suppose une personnalité déjà bien formée, un pou- 
voir personnel très développé. On en jugera aisément par le 
programme do « réflexion méditative » qui nous est proposé et 
qu'on nous conseille d'appliquer : 

« i° Lorsqu'un sentiment favorable passe en la conscience, 
l'empêcher de la traverser rapidement, fixer sur lui l'attention, 
l'obliger a aller éveiller les idées et les sentiments qu'il peut 
éveilïer. En d'autres termes, l'obliger à proliférer, à donner 
tout ce qu'il peut donner; 



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l'extension du domaine de LA VOLONTÉ 263 

des incohérents aux maîtres d'eux-mêmes, ne s'étend 
pas moins qu'il ne se fortifie. Chez les unifiés il se 
résout presque en une sorte de systématisation spon- 
tanée, quasi-automatique de toutes les fonctions men- 
tales. Nous sommes au point où le pouvoir personnel 
tend à disparaître par suite d'un excès de perfection. 
Mais cet état ne pourrait se réaliser dans sa plénitude 
que si l'être, le milieu social et le milieu cosmique 
lui-même étaient absolument harmonisés. Alors le 



« 2° Lorsqu'un sentiment nous manque, refuse de s'éveiller, 
examiner avec quelle idée ou quel groupe d'idées il peut avoir 
quelques liens ; fixer l'attention sur ces idées, les maintenir for- 
tement en la conscience et attendre que par le jeu naturel de 
l'association le sentiment s'éveille ; 

« 3° Lorsqu'un sentiment défavorable à notre œuvre fait irrup- 
tion en la conscience, refuser de lui accorder l'attention, tâcher 
de n'y point penser, et en quelque sorte le faire périr d'inani- 
tion ; 

« 4° Lorsqu'un sentiment défavorable a grandi et s'impose à 
l'attention sans que nous puissions la lui refuser, faire porter 
un travail de critique malveillante sur toutes les idées dont ce 
sentiment dépend et sur l'objet même de ce sentiment ; 

« 5" Porter sur les circonstances extérieures de la vie un regard 
pénétrant, allant jusqu'aux moindres détails, de façon à utiliser 
intelligemment toutes les ressources et à éviter tous les dangers. » 

Tout cela est bien vu, ingénieux, juste. Seulement il faut une 
volonté remarquablement organisée déjà pour appliquer sur soi- 
même ce programme d'éducation. Mais on ne doit pas voir pré- 
cisément en cela une objection. Il est bien clair qu'un peu de 
volonté est nécessaire pour agir sur la volonté, et chaque volonté 
peut appliquer le programme selon ses forces et réaliser peut-être 
ainsi quelques progrès. Sans doute aussi y aurait-il intérêt à 
combiner la méthode de M. de Fleury avec celle de M. Payot, 
et aussi avec celle de M. Lévy et celle de M. Pierre Janet, dont 
j'ai parlé tout à l'heure. Mais on ne peut s'empêcher de revenir 
toujours à ceci: pour apprendre à vouloir, il faut vouloir, disons 
mieux : pour apprendre à vouloir beaucoup et bien il faut tout 
d'abord vouloir un peu et passablement. 



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2 6^ LA VOLONTÉ 

» pouvoir personnel » ne rencontrerait aucun obstacle, 
rïen ne s'opposerait à lui ni dans l'esprit, ni dans 
l'organisme, ni dans la société, ni dans le monde, 
parce que rien nulle part ne s'opposerait aux désirs 
de l'individu en harmonie avec la vie générale de la 
société et de l'univers et que l'individu lui-même ne 
pourrait, par définition, rien désirer qui ne fût d'ac- 
cord avec cette vie. Au reste, l'existence d'un tel état 
d'harmonie est peut-être contradictoire en soi, et en 
tout cas elle n'est pas réalisée ni sur le point de l'être. 
La question du domaine du pouvoir personnel con- 
tinuera donc à se poser. Nous avons vu comment ce 
domaine esL très variable selon les individus, et par 
quels procédés il peut s'agrandir sans cesse. Nous pour- 
rions faire une étude aussi longue et qui serait la 
contre-partie de celle que nous venons de faire sur la 
façon dont il recule et s'amoindrit. Ce recul n'est 
pas beaucoup moins naturel que le progrès. De même 
qlic le progrès s'effectue généralement de l'enfance à 
l'âge adulte, de même on peut remarquer un certain 
déclin de l'Age adulte à la mort. Ce déclin peut par- 
fois j à certains égards, être compensé par de nouveaux 
progrès et même plus que compensé dans les cas les 
plus favorables, mais il se manifeste toujours au moins 
sur quelques points. Il est de règle que ni les membres, 
ni les souvenirs, ni les idées n'obéissent plus à la 
volonté à quatre-vingts ans comme ils faisaient à 
trente-cinq. L'action directe sur le monde extérieur 
et la société vont aussi souvent en s 'affaiblissant. 

Mais dans le cours même de la vie, on peut remar- 
quer, en dehors des effets normaux de l'âge^ bien des 
dégradations et des reculs plus ou moins importants 



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l'extension du domaine de LA VOLONTÉ 2Ô5 

du pouvoir personnel. La vie indépendante des élé- 
ments psychiques tend toujours à reparaître sur quelque 
point. L'habitude, si utile à la constitution de la 
volonté, est cependant aussi le grand écueil du pouvoir 
personnel qui suppose, pour agir efficacement, une 
souplesse constante ou une harmonie presque parfaite. 
Constamment nous laissons se développer en nous des 
sentiments que nous ne pourrons plus réprimer qù$nd 
nous le voudrons, nous prenons des habitudes de 
pensée qui s'imposeront toujours à nous par la suite 
et vicieront plus ou moins nos idées, nous nous lais- 
sons aller à des actes qui se répètent régulièrement 
et finissent par constituer un besoin « plus fort que 
nous ». Toujours l'élément psychique, désirs, idée, 
système de désirs et d'actes, tend à devenir indépen- 
dant, à vivre pour lui, s'il n'est encadré, surveillé 
dans et par un ensemble de tendances bien systéma- 
tisées toujours actif. 



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CHAPITRE X 
LA VOLONTÉ AU POINT DE VUE PHYSIOLOGIQUE 



Il doit être bien en tend u que, lorsque nous parlons 
d'une volition nous ne prétendons pas du tout desi- 
gner par la un fait psychique pur, suppose indépen- 
dant ou détaché de toute manifestation physiologi- 
que. Il est assez généralement admis aujourd'hui el 
pour d'assez bonnes raisons que tout phénomène 
psychologique correspond à un ensemble donné 
de faits physiologiques. Une goutte de pluie me 
tombe sur la main, j'éprouve une perception et je 
T interprète, je regarde le sol ou le ciel pour vérifier 
mon interprétation, puis j'ouvre mon parapluie. De 
l'excitation produite par la goutte d'eau au mou- 
vement que je fais pour me préserver de la pluie, il 
y a une suite ininterrompue de phénomènes physio- 
logiques j que, cà et là, des phénomènes de conscience 
accompagnent. Cette apparition de la conscience pa- 
raît se produire quand l'excitation arrive aux cen- 
tres nerveux, les irrite et les traverse, et exige, 
autant qu T on en peut juger, un certain nombre de 
conditions sur lesquelles je n'ai pas à insister. 



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LA VOLONTÉ AU POINT DE VUE PHYSIOLOGIQUE 267 

Le phénomène psychique ne peut donc se séparer 
que très arbitrairement de l'ensemble de phénomènes 
physiologiques auxquels il correspond. Il serait plus 
juste de dire qu'il comprend ces phénomènes, que 
ces phénomènes en sont des éléments, que la partie 
de phénomène perçue par la conscience n'est qu'un 
côté du fait total comme le sont le phénomène tac- 
tile, le phénomène visuel, le fait olfactif même et le 
fait auditif que nous percevrions si nous pouvions 
avoir la perception tactile des faits cérébraux, les 
voir, les sentir et les entendre. Nous en restituons par 
des inductions fondées sur l'expérience et l'observa- 
tion l'apparence visuelle grossière et nous sommes 
portés à considérer comme des réalités séparées les 
phénomènes que nous connaissons par des voies dif- 
férentes. Un des progrès de la science est de nous 
donner une notion concrète plus exacte des faits, et 
de nous apprendre à considérer comme des éléments 
d'un même ensemble les faits perçus par le sens in- 
time et les faits physiologiques observables par les 
sens, ou qui pourraient l'être dans certaines con- 
ditions. C'est ainsi qu'un progrès très analogue 
a permis de synthétiser étroitement la chaleur 
et le mouvement, le son et les vibrations des 
corps J . 

A quels phénomènes physiologiques correspond 
la volonté? On la rattache généralement aux ré- 
flexes, dont on la considère comme une forme 



1 . Cette question soulève des difficultés philosophiques que 
je ne puis résoudre, ni môme indiquer ici. Je l'ai examinée plus 
longuement dans mon Activité mentale. 



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268 hk VOLONTÉ 

spéciale, la forme la plus compliquée. Les récentes 
idées adoptées en ces dernières années à la suite 
des travaux de Golgi et de Ramon t Cajal, et 
la théorie du neurone ont un peu compliqué le 
schéma de l'action réflexe, mais en somme, n'ont 
pas essentiellement modifié les idées qu'on pouvait 
se faire sur les rapports du réflexe et de la vo- 
lonté. 

C'est surtout la volonté motrice que l'on peut con- 
sidérer comme une complication d'actions réflexes, 
mais tonte la volonté n'aboutit pas, au moins direc- 
tement et principalement à des mouvements. Une 
vol! H on peut déterminer simplement l'apparition 
d'un ensemble d'idées. Si des mouvements s'y adjoi- 
gnent, puisqu'il paraît assez vraisemblable que nos 
états psychiques sont toujours associés à quelques 
mouvements, ils n'ont pas un rôle prépondérant dans 
le phénomène. Il faut donc entendre le réflexe, pour 
y ramener la volonté, dans un sens très large. En- 
core rcsterait-t-il la question de l'automatisme de 
certains centres considéré comme distinct du réflexe 
dans son fonctionnement. On peut donner comme 
exemples des manifestations de cet automatisme les 
modifications, de la respiration déterminées par des 
changements, dans la composition chimique du sang, 
et il peut aussi servir peut-être de type à certaines 
actions volontaires. De sorte que s'il est légitime de 
rattacher jusqu'à certain point la volonté aux actions 
réflexes ? de faire ressortir les analogies profondes de 
ces phénomènes et de mettre en relief les rapports 
qui les unissent, il convient cependant de faire aussi 
quelques réserves à ce sujet. 



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LA VOLONTÉ AU POINT DE VUE PHYSIOLOGIQUE Z&fJ 



§2. 

On considère plusieurs systèmes de neurones dans 
la constitution des divers centres nerveux. Au plus 1ms 
degré sont les centres de la moelle épinière, qui sonï 
surtout le siège de l'activité réflexe, puis viennenl 
les centres supérieurs situés dans l'encéphale, et qui 
comprennent les tubercules quadrijumeaux, les cou- 
ches optiques, les corps striés, etc., et aussi l'écorce 
grise du cervelet. Les actions réflexes s'y compliquent, 
leur fonctionnement paraît s'accompagner de quel- 
que conscience et prend, en tout cas, une grande 
importance dans la vie psychique et surtout dans ses 
formes automatiques. Au-dessus se trouvent les sys- 
tèmes de neurones de l'écorce cérébrale. Ici encore 
nous retrouvons des formes automatiques de la \i<< 
psychologique, des réflexes psychiques, des actes 
intelligents et conscients. Mais ces neurones sont 
aussi le siège des actes plus élevés encore, de la ré 
flexion, de la volonté, des fonctions les plus corn 
pliquées de l'esprit. 

Faut-il admettre un groupe spécial de neurones, 
un centre particulier pour ces dernières fonctions '■? 
C'est l'opinion de M. Grasset \ Cependant il se dé- 
fend de vouloir par là chercher « le siège analn 
mique de l'âme », et il reconnaît que sa conception 
« n'a pas une base précise en anatomie topographî 



i. Voir Grasset, Anatomie clinique des centres nerveux (Paris, 
J.-B. Bailli ère, a e éd., 1902) et Les maladies de l'orientation ci 
de l'équilibre. 



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p^^Mpp^nmn 



27O IA VOLONTE 

que ». 11 affirme simplement qu'a il y a, dans le 
psychisme humain, des fonctions supérieures et des 
fonctions inférieures : h ces fonctions différentes doi- 
vent correspondre des neurones divers ou des fonc- 
tions diverses des mêmes neurones ». Et ces derniers 
mots me semblent permettre de supposer que les dif- 
férences du psychisme supérieur et du psychisme 
automatique pourraient tenir simplement non pas 
à des localisations anatomiques disLinctes et fixes, 
mais à un fonctionnement différent des mêmes cen- 
tres, à des associations plus ou moins compliquées et 
surtout plus ou moins fréquentes, plus ou moins 
habituel tes, plus ou moins faciles, ce qui concorde- 
rait peut-être mieux: avec les résultats de l'analyse 
psychologique — sans qu'il y ait là d'ailleurs des 
raisons suffisantes pour adopter définitivement l'une 
ou Tau Ire hypothèse, car toutes deux seraient eonci- 
liables avec ces résultats. Quoi qu'il en soit sur ce 
point, la distinction, au point de vue psychologique, 
du psychisme automatique conscient et de l'acte vo- 
lontaire n'en est pas moins très réelle — sans être 
toujours très nette — - et j'ai tâché déjà de montrer 
les rapports et les oppositions de ces deux formes de 
l'activité mentale. 



§3- 

Si nous reprenons notre exemple de tout à l'heure : 
Je fait d'ouvrir volontairement son parapluie après 
avoir senti une goutte d'eau sur la main et vérifie la 
réalité de la pluic ? nous voyons que les trois phases 



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LA VOLONTÉ AU POINT DE VUE PHYSIOLOGIQUE 27T 

de l'acte de volonté : la délibération, la décision, l'exé- 
cution s'y retrouvent aisément. La délibération com- 
mence avec l'impulsion à se préserver de la pluie et 
comprend la vérification, la décision s'effectue lors 
de la synthèse des impressions et des incitations mo- 
trices, l'exécution comprend les actions nerveuses et 
musculaires qui constituent et surtout celles qui pré- 
parent l'acte. 

On voit que, pour un acte volontaire insignifiant, 
un nombre considérable d'éléments nerveux sont 
mis en activité. Les divers centres de l'écorce céré- 
brale interviennent pour délibérer, pour apprécier 
les perceptions, pour en préparer d'autres, les centres 
subalternes interviennent aussi soit pour diriger les 
mouvements destinés à la vérification des impres- 
sions, soit pour recevoir les perceptions recherchées. 
Toutes les perceptions et les diverses idées qui les 
préparent ou les suivent sont également accompa- 
gnées de faits de mouvements (mouvements de la 
main, de la tête, des yeux, etc.). La synthèse de 
la décision intéresse donc un grand nombre d'élé- 
ments nerveux qui va s'augmenter encore par l'exé- 
cution. L'écorce cérébrale, les ganglions de la base 
du cerveau, le cervelet, la moelle épinière y prennent 
part et les muscles y interviennent pareillement puis- 
que les impressions qu'ils envoient» aux centres ner- 
veux constituent le sentiment d'effort qui tient une si 
grande place dans notre perception subjective de 
l'acte volontaire et sur lequel d'ailleurs les savants 
ne sont pas encore absolument d'accord. La simple 
représentation des mots par lesquels nous apprécions 
intérieurement les motifs des actes que nous nous 



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2^2 LA VOLONTE 

proposons d'accomplir implique vraisemblablement 
déjà — pour un simple élément d'un des éléments 
de l'acte volontaire — la mise en activité du centre 
du langage parlé, localisé dans le pied de la troi- 
sième circonvolution frontale gauche, peut-être 
du centre auditif des mots dans la première tempo- 
rale ou du centre visuel des mots dans le pli courbe, 
d'un centre d'association, les noyaux du facial, du 
spinal et de l'hypoglosse, les nerfs moteurs des lèvres, 
de la langue et du larynx, pour peu qu'on ait le 
lype moteur, ou d'autres éléments si l'on présente 
le type auditif ou visuel, etc. On entrevoit par là 
■ p telle immense quantité d'actes élémentaires sont 
synthétisés dans l'acte de volonté le plus insignifiant 
— en dehors même de l'intervention hypothétique 
d'un centre spécial du psychisme supérieur et de la 
volonté. Chacune des images et des idées qui sont 
évoquées dans la délibération, chacun des sentiments 
qui entrent en action pour diriger l'activité, chacune 
;mssi des images et des idées et chacun des senti- 
ments qui entrent dans la décision et tous ceux qui la 
suivent et constituent au moins un commencement 
d'exécution impliquent aussi des activités semblables 
des éléments nerveux, et même, dans une certaine 
mesure, des muscles, et des changements plus ou 
moins perceptibles dans la circulation, la respira- 
lïon, la digestion, etc., et les conditionnent ou sont, 
jusqu'à un certain point conditionnés par eux. Un 
ne te de volonté renferme ainsi une innombrable 
quantité de petites impulsions ou de petits arrêts, 
que l'activité des centres supérieurs provoque ou 
inhibe l'activité des centres inférieurs, ou qu'elle 



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LA VOLONTÉ AU POINT DE VtJE PHYSIOLOGIQUE I^S 

soit sollicitée ou bien contrariée par elle. Et il est 
essentiellement, à notre point de vue, considéré par 
son côté physiologique, une synthèse non habituelle, 
constituant une sorte d'innovation dans laquelle le 
caractère de nouveauté peut prendre des valeurs très 
différentes depuis les actes de volonté quasi-automa- 
tiques, jusqu'à ceux qui tranchent le plus sur la rou- 
tine habituelle et l'activité suggérée ou imitatrice, des 
activités d'une immense quantité d'éléments nerveux 
appartenant aux neurones des divers systèmes, et 
s'accompagnant de phénomènes somatiques se ratta- 
chant aux diverses fonctions de l'organisme (activité 
musculaire, circulation, respiration, etc.). 

Tous ces phénomènes n'ont évidemment pas la 
même importance dans l'acte de volition. Il en est 
dont le rôle est insignifiant, où rien ne caractérise 
spécialement l'acte de volition; on les retrouverait 
aussi bien dans l'activité automatique ou suggérée. 
Ce qui caractérise surtout l'acte de volition, c'est, 
comme l'analyse psychologique nous l'a montré, le 
caractère de nouveauté de la synthèse par où la vo- 
lonté s'oppose à l'automatisme, et le caractère de 
personnalité de la synthèse par où elle s'oppose à l'ac- 
tivité suggérée. Et ces deux caractères semblent dé- 
signer comme important spécialement à la manifesta- 
tion de l'acte de volonté les centres de l'écorce 
cérébrale où l'activité est plus compliquée, et prend 
des formes moins régulières, moins identiquement 
répétées que dans les centres de l'automatisme ou des 
actions réflexes, que dans la moelle ou les ganglions 
de la base du cerveau. 

On voit à quelle large réalité physiologique cor- 



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ay4 tA VOLONTÉ 

respond le fait psychique de la volonté et quelle 
quantité de faits so ni a tiques elle implique qui lui 
sont propres ou qui caractérisent aussi d'autres for- 
mes de l'activité. Je n'ai pas cru devoir généralement 
exprimer en termes physiologiques mes analyses 
psychologiques, Souvent cette expression resterait 
hypothétique ou même ne serait qu'une simple 
traduction qui aurait parfois l'inconvénient de faire 
illusion sur les sources et sur la précision de nos 
connaissances. Mais il reste acquis que chaque fois 
que nous parlons d'une volitîon il s'agit non pas 
d'un acte psychique supposé indépendant de l'orga- 
nisme, mais d'un acte psychique qut est comme tous 
les faits psychologiques un com plexus de faits phy- 
siologiques j et dont nous pouvons connaître, d'une 
manière générale, et jusqu'à un certain point les 6\v- 
ments constituants l . 



t. On trouvera des renseignements sur la bas© physique de 
la volonliî dans les traités d'anatomîe et de physiologie. Voir 
aussi : Herziîw, Physiologie de la volonté. Paris, Germer- Bailli ère, 
i874 ; lMàkdklky, Physiologie de l'esprit, chapitre vu ; Ribot, 
/-•■.- maladies de la volonté, etc. 



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CHAPITRE XI 
LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIAUX 

La physiologie sert fort utilement l f étude de la 
volonté en nous montrant quelles en sont les con- 
ditions, en nous laissant entrevoir au moins de 
quels phénomènes biologiques elle est la synthèse*. 
Ces phénomènes biologiques eux-mêmes sont des 
synthèses de phénomènes physico-chimiques, où s'ap- 
pliquent rigoureusement les lois de la mathématique. 
Si nous pouvons déjà projeter quelques clartés sur 
les profondeurs qui s'ouvrent ainsi sous la psycholo- 
gie, nous ne pouvons guère y descendre bien loin. 
La physiologie de la volonté est assez bien esquissée 
déjà, la physico-chimie peut s'entrevoir vaguement, 
quant à la mécanique des atomes qui vient au-dessous 
d'elle et la soutient, on en devine confusément l'exis- 
tence. Il y aurait intérêt à reprendre par Tau Ire côté 
la hiérarchie des sciences, et à regarder au-dessus de 
la psychologie. La volonté qui est une synthèse par 
rapport au fait biologique est un élément par rapport 
au fait social. Elle est, avec l'invention, un des points 



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2J& LA VOLONTÉ 

de départ des nouveaux groupements des activités hu- 
maines, elle ouvre de nouvelles directions, elle trans- 
forme peu à peu le société et le monde. Son action 
s'ajoute à celle de l'invention. J'ai insisté continuel- 
lement sur la ressemblance de ces deux faits qui, à 
certains égards, se confondent, et sont un même 
événement considéré à divers points de vue, dans des 
relations différentes avec l'ensemble de l'esprit. Au 
point de vue social, ils se complètent. L'invention 
d'une idée quelconque ne serait rien, socialement 
parlant, sans la volonté de l'exprimer et de la réaliser. 
Cette seconde volonté — si l'invention en est déjà 
une première — ce n'est pas toujours l'inven- 
teur qui l'a, c'est un autre homme qui sait appli- 
quer son invention, inventer à son tour en la cor- 
rigeant pour la rendre pratique, et enfin la réaliser, 
l'incarner dans les faits, la faire vivre. Au point de vue 
social l'inventeur intellectuel n'a parfois qu'une" 
velléité maladroite, c'est l'inventeur pratique qui 
veut réellement, qui trouve l'intermédiaire efficace, 
qui augmente réellement le pouvoir de l'humanité 
soit sur l'homme (inventions se rapportant à l'édu- 
cation, au gouvernement), soit sur le monde exté- 
rieur (inventions industrielles) 1 . La volonté de l'in- 
dividu est ainsi un élément très important de la vie 
sociale et de ses transformations. 

Mais il me suffit d'indiquer cela, et je m'occupe- 
rai à un autre point de vue des phénomènes sociaux. 



1 . On trouvera des théories et des considérations fort intéres- 
santes sur le rôle de l'invention dans la vie sociale dans les ou- 
vrages de M. G. Tarde. 



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LA VOLONTÉ ET LES PHENOMENES SOCIOLOGIQUES £77 

Mon but est surtout l'étude psychologique de la vo- 
lonté, et il me semble que cette étude s'éclairera sin- 
gulièrement par l'examen rapide des phénomènes 
sociaux, qui correspondent au fait psychologique de 
la volition, qui sont à l'ensemble social ce que la 
volonté est à l'esprit individuel. La sociologie nous 
offre cette précieuse ressource que les éléments, ici, 
nous sont bien plus connus que les éléments psychi- 
ques et biologiques. Ce sont les hommes et nous 
pouvons les observer dans l'exercice de leurs fonctions, 
bien plus aisément que des cellules nerveuses. Aussi 
l'examen des faits sociaux est-il excellent, je crois, 
pour nous faire comprendre, par de profondes analo- 
gies, la nature intime des phénomènes psychologi- 
ques dont les éléments sont parfois difficiles à dis- 
cerner. Bien entendu, je me bornerai à peu près à 
parler des faits qui peuvent servir à la psychologie 
de la volonté, et à les examiner à ce point de vue. 



§ 2. — L'activité automatique et l'activité volontaire 
dans la vie de la société. 

Dans la société comme dans l'individu nous trou- 
vons la distinction de l'activité réflexe ou automatique 
et de l'activité volontaire. Si nous considérons une 
nation passablement unifiée, par exemple la nation 
française, nous remarquerons tout d'abord que bien 
des phénomènes sociaux qui se passent en elle ne 
l'intéressent pas directement tout entière et qu'elle 
n'intervient pas non plus tout entière, même par ses 
représentants, dans le cours ordinaire des choses, pour 
Paul'jan. 16 



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278 LA VOLONTÉ 

les favoriser ou les empêcher. D'innombrables quan- 
tités d'achats et de ventes, par exemple, n'intéressent 
guère que les individus qui les font ou leurs familles, 
et se règlent généralement entre eux seuls. D'autres 
intéressent des groupes sociaux plus considérables, 
par exemple les achats de terrains faits par une 
société pour établir uu chemin de fer, les achats de 
vin effectués pour une grande société coopérative- 
Dns groupes sociaux plus importants encore ont une 
exislenre aussi indépendante, ils vivent et agissent, 
dans une mesure considéra ble, sans que l'ensemble 
de la société, sans que l'état qui la représente ait 
à s'en mêler activement. 

Toutes ces activités individuelles ou sociales, mais 
appartenant a des groupes sociaux secondaires, peu- 
vent être comparées aux nombreux phénomènes 
nerveux qui se produisent continuellement dans l'or- 
ganisme et servent à l'accomplissement de nos fonc- 
tions physiologiques, ou même de nos fonctions 
psy cl 10 1 og i ques i n fé r i eu res . Au-dess us d'el les no u s en 
trouvons d'autres qui se rapprochent des phénomènes 
de l'automatisme psychologique proprement dit. Ce 
sont les fonctions administratives, les grands rouages 
administratifs ; le service des postes, par exemple 
intéresse à peu près la société entière, il est sous la 
direction de l'Etat, il est fait par ses agents. Toutefois, 
il ne donne pas très souvent lieu à des actes de vo- 
lonté nationale proprement dite. Cela n'arrive que 
dans certaines conditions générales qui sont les ana- 
logues des conditions delà volonté psychologique. On 
peut en dire autant de toutes les grandes administra- 
tions. 



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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 279 

Cela ne veut pas dire — il faut prévenir les con- 
fusions — que les administrations soient forcément 
vouées à la routine. Assurément, la routine y tient une 
place exagérée, mais enfin des initiatives, des inven- 
tions et des volitions s'y manifestent aussi. Je veux 
seulement dire ici que ces initiatives et ces volitions 
sont individuelles ou bien ne témoignent que de 
l'activité d'un groupe social, non d'une société entière. 
Elles ne sont pas l'expression, d'une volonté nationale. 
Si un directeur des octrois introduit une modifica- 
tion heureuse dans son service, ce n'est pas là une 
initiative sociale proprement dite, émanant de l'en- 
semble de la société. 

Au contraire nous avons un véritable acte de 
volonté sociale quand la société entière ou ceux qui 
la représentent (à condition qu'ils soient suivis) 
prennent une décision et la font exécuter. Une décla- 
ration officielle de guerre est un acte de volonté 
sociale qui va changer naturellement la vie de la société 
entière et ses rapports avec la société voisine. Mais 
il n'est pas nécessaire pour qu'un fait soit un acte de 
volonté sociale qu'il intéresse directement d'autres 
nations que celle qui veut. Comme l'individu peut 
« vouloir » sans remuer visiblement, par exemple 
vouloir évoquer tel souvenir, ou se corriger d'un dé- 
faut, de même une société peut « vouloir », sans 
inquiéter ses voisins, améliorer ses finances ou 
préparer un nouveau régime de l'exploitation des 
chemins de fer. Une loi organisant une caisse de 
retraites pour les ouvriers n'est pas moins qu'une 
déclaration de guerre un acte de la volonté natio- 
nale. Il en est de même pour tout ce qui est fait 



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28o LA VOLONTÉ 

par la société entière ou ses représentants et qui 
rompt l'automatisme ordinaire, les habitudes établies . 
La volonté sociale comme la volonté individuelle est 
essentiellement une innovation. 

Remarquons toutefois que la volonté se retrouve à 
lous les étages des groupes sociaux. Au lieu d'étudier 
une volonté nationale, nous pourrions étudier, par 
exemple, la volonté dans une compagnie du gaz ou 
dans une société coopérative. Et quelques-uns des phé- 
nomènes qui nous paraissaient fragmentaires, par rap- 
port à la société en général, seraient considérés ici 
comme généraux. Telles sont, par exemple, certaines 
décisions du directeur, des assemblées générales des 
actionnaires, du conseil d'administration, qui sont bien 
la volonté de la compagnie ou de la société, comme 
une loi est une volonté de la nation. Si nous considé- 
rons la nation, la compagnie industrielle et la société 
coopérative ne sont plus que des éléments d'un en- 
semble qui les dépasse et leur activité n'est qu'une acti- 
vité partielle et subordonnée. Pour ne pas compliquer 
inutilement, je m'en tiendrai à l'examen de la volonté 
générale d'une société, de la volonté nationale (nous 
verrons les résumés que comporte d'ailleurs ce mot). 



§ 3. — Les conditions de la volonté sociale. 

Les conditions de la volonté nationale sont les 
mêmes que celles de la volonté individuelle, je veux 
dire l'impuissance et le conflit des automatismes, sa fin 
est aussi la même, elle tend à créer un automatisme 
supérieur. 



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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 28 1 

Il arrive très souvent que les groupes sociaux se- 
condaires sont impuissants à réaliser une amélioration 
qui s'impose. Je ne dis pas que cela leur soit essen- 
tiel, et qu'il ne puisse en être autrement, mais, en 
fait, nous voyons constamment, surtout lorsqu'il 
s'agit de faire une innovation et une innovation im- 
portante, qu'on fait appel à la volonté nationale. Cet 
appel est même souvent obligatoire dans notre orga- 
nisation. Il est des innovations qu'un particulier, ou 
même un groupe social secondaire, une société, une 
commune ne peuvent faire qu'avec ce minimun d'in- 
tervention de la volonté générale qui s'appelle l'ap- 
probation de l'État. Mais il arrive aussi que l'impuis- 
sance naturelle n'est pas moindre que l'impuissance 
légale. Les subventions, les conseils, les encourage- 
ments divers de la conscience nationale peuvent aider 
à naître et à vivre des entreprises utiles à l'ensemble 
de la nation et qui, sans eux, ne pourraient se pro- 
duire, ni prospérer. Un grand nombre de lois n'ont *" # 
d'autre but que de remédier ainsi à des insuffisances 
de l'automatisme. Quelquefois au reste elles y remé- 
dient d'une manière très peu efficace, et il n'est pas 
bien rare que le remède soit pire que le mal, mais, 
pour le moment, ceci importe peu. Et, ici aussi, l'a- 
nalogie se poursuit entre la psychologie et la sociolo- 
gie, car la volonté individuelle aussi supplée parfois 
bien mal à l'insuffisance de l'automatisme et cause 
des maux plus graves que ceux qu'elle prétend guérir. 
Si, par exemple, on trouve que le commerce libre du 
blé ne donne pas à l'agricuteur une rémunération 
suffisante, un acte de volonté frappera d'un droit les 
blés étrangers qui viendront leur faire concurrence. 

16. 



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>: •?;*?» 



282 LA VOLONTÉ 

Expédien t ruineux peut-être, mais dont il nous suffit 
ici de voir le sens. Et si les travailleurs ne savent pas 
ou ne peuvent pas mettre assez d'argent de côté pour 
assurer le repos de leur vieillesse, un acte de la vo- 
lonté nationale peut intervenir encore pour compenser 
ce défaut de l'organisation naturelle et arranger les 
choses de manière qu'une retraite minima leur 
soit garantie soit par une épargne imposée, soit par 
des prélèvements sur ce qui revenait auparavant à 
d'au 1res. 11 est trop évident que si les choses mar- 
chaient régulièrement, si les éléments sociaux accom- 
plissaient spontanément leurs fonctions d'une manière 
satisfaisante, les lois deviendraient inutiles. Il n'est 
pas besoin de légiférer pour interdire à un citoyen de 
se jeter par la fenêtre. 

Les conflits des divers éléments sociaux sont encore 
des conditions fréquentes de volitions distinctes. Le 
pouvoir exécutif le plus haut, et les Chambres ont 
souvent à intervenir par des voies diverses à propos 
deâ cottflits entre ouvriers et patrons, entre admi- 
nistrateurs et administrés, etc. Ceci d'ailleurs n'est 
qu'un cas particulier ou un aspect spécial de l'im- 
puissance de l'automatisme. Et nous trouvons des 
phénomènes variés, d'importance très diverse qui 
nous font bien voir comment les conflits deviennent 
une condition de l'acte de volonté national. 

Beaucoup de petits conflits ne donnent lieu à rien 
de semblable. Il suffit pour les résoudre de volitions 
sociales très fragmentaires, très « élémentaires ». Un 
grand nombre de ces conflits s'apaise par entente 
directe entre deux individus en lutte, beaucoup 
d'autres sont apaisés par des conseils de parents ou 



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LA VOLONTÉ ET LES PHENOMENES SOCIOLOGIQUES 283 

d'amis, d'autres par l'intervention d'un commissaire 
de police, d'un juge de paix, d'un sous-préfet. Puis, 
en remontant la série, les choses se compliquent et 
le mal va toujours s'aggravant, se répandant, exi- 
geant des interventions sociales de plus en plus éle- 
vées, nécessitant, dans l'ordre judiciaire par exemple 
l'intervention d'un tribunal de première instance, 
d'une cour d'appel, de la cour de cassation ; dans 
l'ordre administratif, d'un conseil de préfecture et 
du conseil d'État. Souvent la conscience sociale 
s'émeut à l'occasion de ces conflits, ce qui fait que 
le conflit s'aggrave et se propage, deux camps op- 
posés se forment dans le public, el pour peu qu'ils 
se passionnent et que le conflit primitif ne puisse 
être aisément résolu par le fonctionnement régulier 
des rouages sociaux, il va falloir que la volonté na- 
tionale intervienne. Nous avons vu, en ces dernières 
années, comment le jugement d'un conseil de guerre, 
(certainement une erreur judiciaire à mon avis, mais 
la signification sociale, du fait serait la même, s'il 
avait été justement et régulièrement rendu) et le 
conflit qui s'en est suivi ont mis successivement en 
activité tous les rouages de l'ordre judiciaire, pro- 
voqué dans le public, dans la presse, dans les Cham- 
bres, des discussions passionnées, exercé quelque 
influence sur les élections législatives, causé la chute 
de plusieurs cabinets, décidé le vu le de plusieurs 
lois, failli amener des troubles très graves, c'est-à 
dire intéressé au plus haut point la personnalité 
sociale et déterminé plusieurs actes de la volonté na- 
tionale. 

Comme la volonté individuelle encore, la \ clouté 



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2 Si LA VOLONTÉ 

nationale ne s'oppose à l'automatisme et ne le brise 
que pour préparer un automatisme supérieur. Comme 
la volonté individuelle d'ailleurs, elle se sert de l'au- 
tomatisme, de certains automatismes pour en briser 
certains autres, elle s'appuie sur des organes sociaux 
incarnant certains désirs généraux pour détruire ou 
modifier certaines habitudes. La volonté nationale 
s 1 appuie par exemple sur l'armée pour réprimer une 
insurrection, ou sur certaines influences populaires 
pour intimider la magistrature comme l'esprit indi- 
viduel s'appuie sur son désir d'économiser pour re- 
tenir son goût pour les voyages. Elle brise généra- 
lement quelques habitudes, car une nouvelle loi met 
en vigueur des pratiques différentes de la routine 
précédente, puisque sans cela il n'aurait pas été utile 
de le faire, et souvent d'ailleurs elle modifie les lois 
déjà établies 1 . Qu'il s'agisse d'une loi nouvelle, ou 
d'un ordre du chef suprême, l'acte de la volonté na- 
tionale rompt toujours quelque routine et trouble l'au- 
to mutisme social. 

En même temps il prépare un automatisme nou- 



i . C'est quelquefois, il est vrai, quand elle modifie des lois 
établies, mais tombées en désuétude qu'elle modifie le moins la 
routine. Mais il est à remarquer aussi que l'acte de volonté na- 
tionale est ici à son minimum d'importance, en général, et 
que h rupture de l'habitude n'est pas aussi nulle qu'elle peut 
le |i naître d'abord. Une loi, par exemple, qui supprime le 
repos obligatoire du dimanche, en abrogeant une vieille loi 
inobservée, mais toujours existante, modifie en quelque chose 
les i • 1 . -es et les sentiments du public, elle est un signe des opi- 
nions du gouvernement, elle inquiète ou rassure les uns et les 
autre?. Et cela est d'autant plus marqué qu'elle donne lieu à 
plis- de discussions, c'est-à-dire qu'elle est davantage un véri- 
table acte de volonté. 



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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 285 

veau. Si une loi est bien faite, en harmonie avec les 
besoins de le nation, suffisamment d'accord avec les 
désirs et les idées de la majorité ou d'une minorité 
influente, — c'est-à-dire si elle est réellement natio- 
nale (ce qui peut être à quelques égards un signe 
d'infériorité) elle va, une fois promulguée, fonder 
une coutume nouvelle, elle sera automatiquement 
obéie, spontanément appliquée par l'action de ce 
qu'on peut appeler les centres sociaux secondaires 
(tribunaux, préfets, employés des contributions di- 
rectes ou indirectes, etc.). Même une volonté de 
Napoléon déchaînant une guerre nouvelle a pour 
fin d'abord une sorte d'habitude de la guerre, d'or- 
ganisation des armées, des services accessoires, etc., 
et ensuite elle tend forcément vers un état de paix où 
doit s'organiser — sur des bases plus larges ou plus 
étroites, selon le sort de la guerre — une routine 
sociale plus ou moins analogue à celle qui existait 
avant elle et qu'elle a rompue. 



§ 4- — Analyse de l'acte de volonté sociale. Ses trois 
phases. 

Comme dans l'acte de volonté individuel, nous 
distinguerons trois phases dans l'acte social et ces 
trois phases sont les mêmes : la délibération, la dé- 
cision et l'exécution, nous y retrouverons les mêmes 
caractères fondamentaux : l'association systématique 
et l'inhibition. 

Une fois la volition préparée et rendue inévitable 
par l'insuffisance ou le conflit des automatismes, la 



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**m 



386 LA. VOLONTÉ 



délibération commence bientôt, et selon les circon- 
stances elle sera, comme dans l'individu, plus ou 
moins longue. L'urgence, l'unanimité la font écnurler. 
La division des éléments sociaux et leur indépen- 
dance la prolongent. Si la nation entière était repré- 
sentée par un chef absolu, qui déciderait tout par 
lui-même, Pacte social se réduirait, à certains égards f 
à un acte individuel (non pour sa portée, cepen- 
dant). Mais il n'est guère de tyran qui ne prenne 
conseil, ne s'informe, ne délibère. Ainsi les différents 
désirs sociaux sont plus ou moins bien représentés 
ici. À plus forte raison dans une assemblée nom- 
breuse où divers partis s'opposent. Avant le vote de 
la loi, la « délibération » met ces désirs aux prises. 
Et ebacun s'efforce de l'emporter, chacun lait inter- 
venir tout le cortège des raisons et des désirs secon- 
daires qui l'appuient, exactement comme dans la 
délibération individuelle. C'est dire que divers sys- 
tèmes opposés luttent entre eux, en se groupant, 
au moins de temps en temps , de façon à former deux 
groupes directement opposés et tendent, chacun de 
son coté, à systématiser dans leur sens propre l'acti- 
vité générale, en inhibant l'activité des systèmes 
opposés. 

Puis la décision arrive. Dans le cas où la délibé- 
ration est faite par une assemblée, elle est généra- 
lement (ixvc par un vote. La motion qui réunit le 
plus de voix est adoptée. La volonté nationale s'est 
prononcée, son orientation est fixée, Toutes les idées, 
tous les désirs contraires à celui qui l'emporte, sont, 
théoriquement, comme s'ils n'étaient pas. Les partis 
vaincus, si le vote les condamne, n'ont pas, ou ne 



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LA VOLONTÉ ET LES PHENOMENES SOCIOLOGIQUES 287 

sont pas censés avoir plus d'importance, en ce mo- 
ment, que s'ils n'étaient pas du tout représentés à 
l'assemblée. Quand bien même la majorité ne serait 
que d'une voix, la décision est prise, et, en certains 
cas, elle est irrévocable, comme dans une âme par- 
tagée et irrésolue qui vient de prendre une résolution 
sur laquelle elle ne pourra revenir. 

Reste maintenant l'exécution. Elle est, encore ici, 
la pierre de touche de la valeur de la décision. Une 
loi, une résolution quelconque est toujours suivie, 
ou doit l'être normalement, d'un ensemble de faits 
qui en sont le complément, l'application, qui s'har- 
monisent avec elle. Inversement, des actes qui s'ac- 
complissaient auparavant en toute liberté ou qui 
étaient commandés, sont interdits maintenant, em- 
pêchés partout de se produire et doivent être répri- 
més. Association systématique et inhibition systé- 
matique, nous retrouvons partout ces deux grands 
aspects de la vie mentale. 

Mais en bien des cas les défauts de l'exécution 
viennent nous faire voir que la volonté sociale, comme 
la volonté individuelle peut n'être qu'une impuis- 
sante velléité. Le « je veux » social ne suffit pas 
plus à rendre efficace la volonté sociale que le « je 
veux » individuel à faire aboutir la volonté de l'in- 
dividu. Il est sans doute une force par lui-même, 
mais s'il ne s'appuie pas sur une solide base d'habi- 
tudes et de désirs, il reste forcément impuissant. Un 
peuple n'obéit à une loi gênante que s'il est au 
moins quelque peu convaincu de son utilité ou de 
sa justice, s'il la désire, ou si l'autorité qui la lui 
impose jouit d'un prestige tout à fait exceptionnel 



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288 LA VOLONTÉ 

et Ta soigneusement entraîné à l'obéissance. En- 
core y a-t-il des lois que le tyran le plus absolu ne 
pourrait avoir la force de faire exécuter. D'une 
manière générale le désaccord n'est pas très considéra- 
ble, quand il existe, entre la loi et les désirs. Alors 
la loi est obéîe, respectée, au moins dans une assez 
grande proportion, et en apparence. Mais si la 
volonté heurte trop les automatismes et les désirs, il 
arrive que l'exécution de la volonté nationale, ou soi- 
disant telle, rencontre de sérieux obstacles. Lés par- 
tis vaincus reprennent courage, et essayent parfois 
avec succès de l'entra ver. La loi demeure alors lettre 
morte, et parfois, au bout de quelque temps un 
nouvel acte de volonté déterminé par une réaction 
des désira qu'elle a froissés et des partis qui la 
représentent, vient la supprimer. Nous voyons claire- 
ment encore en tout ceci le rôle de l'association sys- 
tématique et de l'inhibition. 



| 5, — Le jeu des éléments indépendants. 

Comme dans la volonté individuelle, le jeu des 
éléments garde îci une certaine indépendance, bien 
plus considérable que dans l'automatisme où il est 
réduit à son minimum. Il est de règle qu'un par- 
lement ne soil pas discipliné comme une adminis- 
tration, et Ton ne peut guère se représenter un 
état organisé où le parlement serait unanime, vote- 
rait sans discussion tout ce qui lui serait proposé, 
tandis que chaque fonctionnaire resterait libre d'agir 
à sa guise et serait une sorte de seigneur indépen- 



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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 289 

dant. Cela donne à peu près la différence de la 
volonté et de l'automatisme. D'ailleurs montrer que 
la volonté a pour condition l'impuissance et les con- 
flits des activités automatiques et spontanées c'est 
dire clairement qu'elle implique une certaine indé- 
pendance des éléments sociaux et des éléments psy- 
chiques. C'est ce que confirment les délibérations 
qui résultent de cette indépendance relative et souvent 
aussi les imperfections et les troubles de l'exécution. 
Quant à la décision, le fait seul qu'elle écarte les 
éléments hostiles et qu'elle unit des éléments dans 
une synthèse nouvelle indique bien qu'ils avaient, 
jusque-là, au moins quelque indépendance à certains 
égards. 



§ 6. — Caprice et volonté sociale. Le moi social et 
la société. 

Comme la volonté va du caprice à l'automatisme 
en passant par le pouvoir personnel, la volonté sociale 
va de l'anarchie à la solidarité parfaite et spontanée en 
passant par la centralisation du pouvoir et la consti- 
tution d'un état tout-puissant et gouverné selon des 
principes fixes (monarchie absolue ou république 
autoritaire). Le règne des caprices nous est donné 
en équivalent par un pays troublé et morcelé, où 
nulle loi générale n'est obéie, où la sécurité est fai- 
ble, mais surtout et bien plutôt par un pays centra- 
lisé où la direction varie continuellement, où les 
partis se remplacent au pouvoir avec rapidité sans 
avoir le temps d'ébaucher même une œuvre sérieuse, 
Paulhan. 17 



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2 gO LA VOLONTÉ 

si la forme du gouvernement est républicaine ou 
parlementaire ou si les révolutions sont fréquentes. 
Si la forme est monarchique, alors les caprices de 
la nation sont surtout ceux du monarque ou de ses 
conseillers, mais cette forme nous intéresse moins 
ici comme nous ramenant davantage à la psycholo- 
gie purement individuelle. 

Le pouvoir personnel nous offre d'autres analogies 
frappantes. Le rapport du « moi » conscient à la 
personnalité est semblable à celui de l'état et de la 
nation. Il la représente plus ou moins bien. Nous 
avons vu là formation dans l'individu d'un moi qui 
se subordonne l'ensemble des tendances, des idées et 
des désirs, qui les contrôle, qui les accepte et les 
rejette, qui les favorise ou les empêche d'aboutir. De 
même on voit, à mesure qu'un pays se centralise, 
se former un Etat qui dirige plus ou moins sa vie 
économique, industrielle, intellectuelle, artistique, 
et surtout, naturellement, sa vie politique, qui favo- 
rise les tendances qui lui semblent bonnes et ignore, 
feint d'ignorer ou réprime plus ou moins les autres. 
L'État s'occupant d'une tendance littéraire ou indus- 
trielle pour l'encourager ou la combattre, c'est l'équi- 
valent du moi portant son attention sur un désir ou 
sur une idée pour la développer ou l'enrayer. Le 
mécanisme est à peu près le même, des deux côtés 
nous voyons naître des séries d'associations systéma- 
tiques. Ici, le fait de se placer dans les meilleures con- 
ditions, le rappel des idées et des impressions favo- 
rables, etc., là, les récompenses honorifiques, les 
pensions, les places, le découragement et parfois la 
répression de la critique, l'hostilité à l'égard des ten- 



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LA VOLONTÉ ET LES PHENOMENES SOCIOLOGIQUES 29 1 

tatives discordantes. Les résultats aussi sont compa- 
rables et incertains. Le sentiment que le moi voudrait 
encourager n'a pas toujours assez de bases solides 
dans l'organisme physique et mental, il ne correspond 
pas à un désir bien intense, et de même la forme 
d'art que l'État encourage, l'industrie qu'il protège, 
ne répondent pas toujours aux besoins réels de la na- 
tion, elles peuvent végéter et mourir malgré son appui. 

C'est que le moi conscient et directeur ne 
représente pas toujours bien la personnalité, comme 
le gouvernement, l'État ne représente pas toujours 
bien un pays. Il arrive que, dans un individu, un 
ensemble de désirs favorisés par les circonstances 
parvienne à s'emparer de la direction générale de la 
personnalité, à constituer le moi ; l'individu ne se 
rend plus compte de sa vraie nature. Il est, au fond, 
ardent et passionné, par exemple, et il peut se croire 
régulier et froid. 11 agit en conséquence, parce 
qu'il a été dressé ou s'est dressé lui-même. Puis des 
désirs violents s'élèvent à l'improviste en lui et le 
troublent, mais il ne leur reconnaît pas le droit de 
prendre part à la direction du moi, et alors des luttes 
terribles viennent l'angoisser. Il résiste, mais si les 
désirs sont trop forts le moi cède et se transforme, 
il doit, pour vivre, se réorganiser, admettre, d'une 
façon ou d'une autre, hypocritement ou avec fran- 
chise, les passions qu'il n'a pu dompter et leur don- 
ner satisfaction. 

Pareillement un roi absolu, un parlement même 
peuvent croire de bonne foi qu'ils représentent les 
croyances et les désirs d'une nation alors qu'ils se 
sont peu à peu profondément séparés d'elle. Si quel- 



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w*. 



292 LA VOLONTÉ 

ques tendances nouvelles se manifestent ils les trai- 
tent en ennemies, les combattent, les répriment vio- 
lemment, niais si ces tendances sont vraiment fortes, 
il vient un jour où la résistance devient impossible, 
il Ta ut céder ou partir, et la réorganisation du moi 
social se fait comme celle da moi psychique par la 
reconnaissance plus ou moins franche des nouvelles 
tendances et leur représentation plus ou moins large 
dans le gouvernement, 

§ 7. — L'équivalent du pouvoir personnel dans les 
sociétés. Le pouvoir de VËlaU ses limites $ ses con- 
quêtes. 

Quel que soit ce gouvernement, et de quelque 
façon qu 7 il soit composé, il est plus ou moins orga- 
nisé, plus ou moins fort, plus on moins influent, 
plus ou moins distinct de la nation même. Nous 
avons vu aussi que le pouvoir personnel de l'individu 
était plus ou moins fort et se distinguait plus ou 
moins de l'ensemble dû V esprit en se constituant à 
part comme une réalilé séparée. La force du pouvoir 
personnel chez l'individu correspond a la puissance 
de l'Étal, comme l'indépendance des éléments y 
correspond à l'indépendance des groupes sociaux, 
sociétés diverses, communes, seigneuries, domaines, 
etc. Si l'histoire des individus nous montre parfois 
l'organisation progressive de la personnalité et 
l'accroissement du pouvoir personnel nous avons le 
pendant de celle évolution dans révolution historique 
du pouvoir royal en France par exemple, des pre- 
miers Capétiens à Louis XIV. Plus tard la Révo- 



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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 2Q3 

lution montre que ce pouvoir royal, et que le « moi » 
social, dont il état l'expression, ne représentaient pas 
réellement d'une manière suffisante, les désirs et les 
idées de l'ensemble de la nation, elle en a changé, - 
élargi la nature. Actuellement l'idéal de quelques 
partis, assez distincts, d'ailleurs, comme celui des 
partisans de la coopération généralisée ou celui des 
anarchistes, serait de résoudre, par des moyens 
différents, le pouvoir de l'État en une sorte d'auto- 
matisme supérieur et systématique, où les élé- 
ments sociaux rempliraient normalement leur fonc- 
tion sans coercition ni encouragement extérieur, où 
la perfection de l'action spontanée rendrait inutile la 
volition sociale, comme la perfection de l'automa- 
tisme psychologique rendrait inutile tout exercice de 
la volonté individuelle. 

Gomme la volonté, dans l'individu, a son domaine 
très variable selon les temps et les personnes, la 
volonté sociale aussi voit son influence bornée de 
façons très diverses. Il est toute une part de la vie 
sociale, — celle qui correspond à la vie organique — 
qui lui est normalement soustraite, dans laquelle 
elle intervient peu, au moins d'une manière 
directe. Son action est bornée encore par les limites 
de la patrie comme celle de la volonté par les limites 
de l'organisme, cependant elle peut, comme la 
volonté individuelle se faire plus ou moins sentir au 
dehors. L'analogie se poursuit très loin et nous la re- 
trouverions jusque dans les moyens indirects employés 
par l'activité sociale pour atteindre ce qu'elle ne 
peut gouverner directement, ou pour étendre sa zone 
d'influence. La langue, les idées, les arts, les armées, 



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294 la voLomré 

et la diplomatie sont les outils qui prolongent au 
dehors son influence et tendent à lui soumettre le 
monde, ou à l'harmoniser avec les autres forces de 
même nature. La volonté nationale comme la volonté 
individuelle, en se servant de celle-ci et aussi en la 
j* servant tend vers une systématisation universelle. 

!$v C'est ainsi qu'elle étend au dehors sa zone d'in- 

1} fluence. Au dedans elle a recours, comme la volonté 

r " individuelle, à des moyens indirects quand elle ne 

[H peut agir autrement. Nous avons un exemple inté- 

f: ressant de cette intervention indirecte de la volonté 

?•;■'*■ nationale dans la lutte contre l'alcoolisme qui se 

• 4. % dessine de plus en plus chez nous. Un Etat ne peut 

S-ï guère plus empêcher directement ses administrés de 

&> boire trop que nous ne pouvons nous empêcher 

*[S directement d'aimer les truffes ou de redouter l'ail. 

Mais il tâche d'arriver indirectement à son but. 11 
;_• agit sur l'enseignement pour répandre la connais- 

sance des dangers de l'alcoolisme, il répand des 
images anti-alcooliques, il peut empêcher la vente 
des alcools dans les établissements qui lui appar- 
tiennent, dans les casernes par exemple, il peut 
frapper de peines légales l'ivresse publique, il encou- 
rage les sociétés privées qui agissent dans le même 
sens que lui, il peut faire hausser le prix de l'alcool 
en élevant les droits de circulation, il peut en rendre 
la vente plus difficile en soumettant à des conditions 
spéciales les marchands de vins et de liqueurs. On 
pourrait multiplier les exemples de cette action indi- 
recte, tout à fait semblable à l'action indirecte que 
nous exerçons sur nos éléments psychiques, sur quel- 
ques-uns de nos sentiments ou de nos idées. 



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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 2o5 

§8. 

Pour examiner un peu en détail les analogies de 
la volonté sociale et de la volonté individuelle, il 
faudrait un volume aussi long que celui que je viens 
d'écrire. Je m'en tiendrai aux brèves indications 
qui précèdent. Si je ne me trompe elles suffisent à 
nous montrer que l'étude des faits sociaux, trop né- 
gligée peut-être par les psychologues, peut aussi bien 
que l'étude des faits biologiques nous aider à com- 
prendre la psychologie. Les faits sociaux sont surtout 
excellents pour nous montrer comment une action 
d'ensemble résulte de l'activité de nombreux élé- 
ments et comment son unité est due à la systéma- 
tisation de ces éléments. Il me semble que l'on voit 
plus aisément ce que c'est que notre volonté, quels 
sont ses rapports avec l'automatisme, quelle est sa 
complexité, d'où vient son influence, et pourquoi elle 
peut prendre des formes très diverses, comment elle 
se rattache au moi et à la personnalité en examinant, 
même sommairement, les faits sociaux qui en sont les 
analogues et remplissent, dans la vie sociale, la fonc- 
tion qu'elle accomplit dans la vie psychique. 

Sans doute il faut se garder des analogies forcées. 
Les éléments psychiques ne sont pas des individus 
tout à fait aussi distincts et indépendants que les 
hommes ou même peut-être que les groupes sociaux 
secondaires d'importance très diverse qui en sont les 
véritables équivalents et leurs ressemblent très pro- 
fondément, bien plus que je n'ai pu l'indiquer ici. 
Leurs activités présentent des différences sur les- 



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2g6 LA VOLONTÉ 

quelles je n'ai pas besoin d'insister. Il ne faudrait 
pas se laisser aller à trop personnifier les éléments 
psychiques, et surtout à méconnaître le carac- 
tère d'unité de la personne humaine, plus arrêté et 
plus précis que celui du groupe social quel qu'il 
soit. Les relations des éléments d'un groupe social 
avec ceux des autres groupes sociaux sont à bien 
des égards assez dissemblables de ceux des éléments 
psychiques d'un individu avec les autres individus 
ou leurs éléments psychiques. Mais les dissem- 
blances ici sont bien visibles et recouvrent d'ailleurs 
de profondes ressemblances. 

Inversement les faits psychologiques peuvent nous 
donner des idées plus nettes et plus justes des phé- 
nomènes sociaux, nous aider surtout à en com- 
prendre les ensembles, car si nous pouvons mieux 
étudier les éléments de la société, nous étudious 
aussi plus aisément les ensembles psychologiques — 
ce qui revient à dire que l'individu est plus à la 
portée de notre observation que ses éléments ou que 
les composés dont il fait partie. Mais je ne voudrais 
pas dire non plus que la psychologie nous donne 
tout l'essentiel de la sociologie. Il y a eu tout 
récemment des discussions assez vives entre diffè- 
re n Les sociologistes, sur le « nominalisme » et le 
« réalisme social ». Il se peut très bien que les lois 
sociales ne soient pas toutes explicables par la psy- 
chologie, comme le voudrait une sorte de « matéria- 
lisme » social analogue au matérialisme psycho- 
logique qui réduit la psychologie à la physiologie, 
mais cette question sort de notre sujet. 



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CONCLUSION 

En résumant ce qui précède nous verrions que la 
volonté prête à peu près aux mêmes considéra- 
tions que l'invention. Elle est essentiellement une 
synthèse psychique nouvelle et active. Mais elle est 
toujours mêlée à l'automatisme et aussi à l'activité 
suggérée, comme l'invention est toujours mêlée à la 
routine et à l'imitation. Son rôle dans la vie men- 
tale semble à la fois beaucoup plus et beaucoup 
moins considérable qu'on ne l'a cru. D'une part, en 
effet, les actes formels de volonté, les volitions réflé- 
chies sont, sous leurs formes les plus caractéristi- 
ques, relativement rares dans la vie. Il est peut-être 
des gens heureux qui n'ont jamais eu à y recourir. 
On n'a pas toujours l'occasion ni les moyens d'être 
un héros cornélien. D'autre part, considérée dans 
ses formes les plus atténuées comme les plus déci- 
sives, on peut dire qu'elle se mêle à toute la vie men- 
tale. De la volition réfléchie au caprice et à la vel- 
léité, les échelons sont nombreux. Toutes les formes 
d'activité qui y sont comprises interviennent assez 
souvent dans notre existence. Mais au-dessous la 
série se prolonge encore, indéfiniment. Dans toutes 
les synthèses qui se forment en nous, c'est-à-dire 
dans tous nos états psychiques si variés, dans toutes 
les manifestations de notre vie, il y a quelque élé- 
ment de nouveauté, et par suite quelque trace de 
volonté, si indiscernable soit-elle à nos yeux. 



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2()8 LA VOLONTÉ 

Ainsi compris le rôle de la volonté est de remédier 
aux insuffisances et aux conflits.de l'automatisme en 
préparant un automatisme supérieur. Elle implique 
un certain désordre, elle-même ne s'effectue jamais 
d'une façon tout à fait régulière, elle suppose une 
certaine indépendance des éléments psychiques, et 
toutefois elle doit rétablir l'ordre, et régulariser le 
jeu des éléments. Elle constitue un de ces expé- 
dients si fréquents dans la nature humaine où un 
certain désordre est la condition d'un ordre supé- 
rieur, elle est une des applications de cette grande 
loi d'association systématique, de finalité interne, 
selon laquelle un esprit utilise d'une façon ou d'une 
autre, tant qu'il peut continuer à vivre, tout ce qui 
est en lui, même les défauts qui lui nuisent ou qui 
risquent de lui nuire et qu'il fait quelquefois tourner 
à bien. Si nous voulons considérer son rôle non 
plus seulement dans l'homme, mais dans le monde 
en général, nous voyons qu'elle est un des moyens 
par lesquels ce monde, agissant de toutes parts sur 
l'homme qui réagit sur lui arrive à se transformer 
lui-même, ou plutôt à provoquer sa transformation 
sans le savoir et sans le vouloir. Car le rôle actif et 
vraiment important appartient ici à l'homme, sorte 
de ferment de systématisation et d'harmonie, système 
actif qui, en se transformant, transforme les choses 
autour de lui, non point par un développement ab- 
solument continu et régulier mais par des séries 
multiples de crises plus ou moins fortes, plus ou 
moins nettes, qui à côté de ce qu'elles gardent d'au- 
tomatique, nous montrent, à divers degrés de diffé- 
renciation, autant d'actes volontaires. 



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APPENDICE 



LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 

Le lecteur a peut-être remarqué que, traitant de 
la volonté, je n'ai pas parlé du libre arbitre et du 
déterminisme. A aucun moment de mon étude cette 
question ne m'a paru s'imposer à moi. A vrai dire, 
j'ai postulé le déterminisme qui me paraît plus vrai- 
semblable. Mais il y aurait bien peu de chose à chan- 
ger à ce que je dis pour qu'un partisan des formes les 
plus soutenantes de la théorie indéterministe pqts'en 
accommoder parfaitement. 

Toutefois, la question du déterminisme a été jointe 
à celle de la volonté par une si longue habitude qu'il 
sera peut-être utile d'en dire quelques mots ici. Elle 
a donné lieu à tant d'erreurs qu'il y a sans doute 
quelque avantage à montrer combien elle doit être dé- 
gagée de certaines idées, de certaines conséquences 
auxquelles on s'est plu jadis à l'associer et comment 
elle doit être posée pour être posée avec précision. 



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300 LA VOLONTÉ 



Le mot de liberté est susceptible de prendre bien 
des sens différents. Malheureusement ces sens ont été 
souvent confondus et brouillés. Trop de philosophes 
ont passé sans s'en apercevoir de l'un à l'autre, et 
attribué à la liberté entendue en un _sens des vertus 
qu'elle n'avait qu'à la condition d'être autrement 
entendue. De ces méprises, de ces calembours inces- 
sants dérive toute une série d'opinions dont le rôle a 
été considérable en métaphysique. 

Nous apipelons liberté l'état de l'être qui peut agir 
selon sa nature, développer ses virtualités, satisfaire 
ses tendances sans être gêné par son milieu. Un rouage 
joue « librement » si quelque poussière, quelque res- 
sort, quelque autre rouage ne l'arrête. De même un 
homme est « libre » de manger, s'il a de la nourriture 
à sa disposition, un bon estomac, de l'appétit, etc., il 
n'en est pas libre s'il n'a rien à manger, ou si on lui 
défend de manger sous peine de mort. Un électeur 
vote librement si son vote est l'expression de son opi- 
nion personnelle, il n'est pas dit voter librement s'il 
vote sous la menace ou par vénalité. Et d'une façon 
générale un homme est libre si ses actes expriment 
ses tendances, s'il peut réaliser ses idées, faire ce qu'il 
veut, agir conformément à sa nature psychologique 
et de façon à la réaliser le plus possible (car en un 
sens on agit toujours conformément à sa nature, 
même lorsqu'on lui résiste ou qu'on la réprime). 

Cette liberté-là est très facile à entendre. Et nous 



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LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 3oi 

en comprenons assez aisément les conditions psycho- 
logiques et sociales. Nous trouverons par exemple 
moins de liberté non seulement à celui qui est gêné 
dans ses manifestations par son milieu, par sa race, 
par l'organisation sociale qu'il doit subir, mais aussi 
pour rester sur le terrain de la psychologie à celui 
dont les différents désirs se contrarient, s'ordonnent 
mal. Sans doute au premier moment le caprice peut 
sembler empreint d'un caractère particulier de liberté, 
mais c'est une liberté « élémentaire » qu'il nous 
montre, l'épanouissement non de la personne, mais 
d'un de ses éléments, d'un désir pris entre mille. Au 
contraire la liberté réelle de l'individu est plutôt 
représentée par la possession de soi, par le pouvoir per- 
sonnel fortement organisé. Celui-là est vraiment libre, 
— si tous ses désirs ne le sont pas toujours, — qui 
veut régulièrement et harmoniquement, qui utilise de 
son mieux ses facultés, qui agit de telle sorte que son 
acte soit, autant que possible, l'expression de sa per- 
sonnalité tout entière, non d'un désir fugitif. La 
liberté ainsi comprise se confond ou au moins s'as- 
socie avec l'empire sur soi, avec la sagesse et avec la 
raison, en tant que cette raison est réalisée dans la 
pratique. L'homme réfléchi est plus libre que l'im- 
pulsif, celui qui sait se dominer est plus libre que 
celui qui est à la merci d'une suggestion ou d'une 
tentation. 

La liberté est donc, en ce sens, une systématisation 
de l'individu, considéré en lui-même et dans le rap- 
port de ses divers éléments, et considéré aussi dans 
ses rapports avec son milieu. La systématisation dans 
l'individu, c'est-à-dire l'harmonie des désirs entre 



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302 LA VOLONTÉ 

eux, des désirs et des idées, des désirs, des idées et 
des actes, c'est la liberté morale; l'harmonie des 
désirs d'un individu, de ses tendances, de sa person- 
nalité, avec les idées, les tendances, la personnalité 
des autres, c'est la liberté sociale ou tout au moins 
son fondement et Tune de ses conditions. 



§*• 

En ce sens on peut ici se demander si l'homme est 
libre, mais on voit vite qu'il ne saurait être fait une 
réponse unique à cette question. Chaque homme 
est plus ou moins libre. Personne ne l'est absolu- 
ment, et il n'est personne qui ne le soit à quelque 
degré. 

Personne ne l'est absolument puisque la liberté 
complète supposant la perfection reste peut-être con- 
tradictoire et, en tout cas, non réalisée. Aucun de 
nous ne réalise l'harmonie parfaite, chacun est plus ou 
moins l'esclave d'une passion dominante ou capable 
de se laisser aller, le cas échéant, à quelque impul- 
sion irréfléchie. Et chacun est libre à quelque degré, 
puisque l'équilibre, si imparfait qu'il soit, existe chez 
tous les hommes et que s'il n'existait pas ils n'exis- 
teraient pas non plus. Un fou même agit librement 
en certains cas, et peut dans une certaine mesure 
conformer ses actes à ses désirs et ses paroles à ses 
croyances. 

Mais la liberté varie avec chacun de nous. Il est 
des hommes relativement très libres, qui se possèdent 
et se dominent bien, il en est d'autres qui sont esclaves 



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LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 3o3 

de leurs passions et de leurs caprices, ou sont sou- 
mis à toutes les suggestions. La faiblesse du carac- 
tère, la maladie, l'influence des milieux, la vivacité 
de certains désirs sont autant de causes qui diminuent 
plus ou moins et très inégalement la liberté chez tous 
les hommes. Il n'en est pas deux qui soient égale- 
ment libres. 

Ainsi l'étude de la liberté se ramènerait à celle du 
pouvoir personnel, tel que je l'ai étudié. Je n'ai donc 
pas à y insister. Tout ce qui fait la personnalité har- 
monique et forte la rend libre, lui permet de disposer 
de soi. Être « l'esclave de ses passions », cela signifie 
n'avoir pas une personnalité assez bien systématisée 
pour se subordonner ses propres éléments et en régler 
l'activité. C'est un manque de liberté. Être le maître 
de ses passions et de ses idées, c'est en. subordonner 
l'activité à l'ensemble du moi (et à l'ensemble social, 
dont le moi est un élément, tel qu'il est représenté 
dans le moi) et ce qui doit s'appeler être libre. Dans 
cette liberté nous ' retrouvons le caractère fondamental 
que nous avions signalé au début de cette étude : 
l'acte libre est l'expression de la personnalité. 



§3. 

C'est pour cela que la liberté ainsi comprise est 
nécessaire à la responsabilité. Si je suis responsable 
d'un de mes actes, c'est parce que cet acte exprime 
ma nature. Plus il l'exprime d'une manière adéquate, 
plus je suis responsable, moins il l'exprime au con- 
traire, et plus ma responsabilité diminue. 



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3o4 LA VOLONTÉ 

Cela est assez évident. Un acte commis dans un 
accès de folie engage au minimum la responsabilité 
de l'agent parce qu'il n'exprime pas sa nature psycho- 
logique essentielle, ou que tout au moins nous ne 
pouvons pas affirmer qu'il s'y rattache étroitement. 
Tel homme bon pourra commettre, dans un accès, 
des actes de méchanceté, tel homme chaste deviendra 
luxurieux. L'harmonie de l'esprit est détruite en ce 
cas là, remplacée par la domination accidentelle d'un 
élément qui était normalement subordonné et con- 
tenu. C'est à ce point de vue qu'il faut juger la res- 
ponsabilité dans le rêve, dans le caprice, dans les 
actes déterminés par une impulsion que des cir- 
constances spéciales rendent irrésistible. Sans doute 
la responsabilité de l'individu n'y devient pas nulle, 
car ses actes représentent bien toujours une partie 
de sa nature, mais elle y diminue parce qu'ils n'en 
représentent qu'une partie, et plus cette partie sera 
petite, plus la responsabilité sera affaiblie. 

Elle est à son maximum, au contraire, lorsque 
l'acte est réfléchi, délibéré, accompli dans la pléni- 
tude de la force morale et physique, parce qu'alors il 
représente le mieux possible, non pas tel ou tel élé- 
ment, telle ou telle passion, telle ou telle idée de la 
personne qui le commet, mais cette personne dans 
son ensemble. 

Entre le maximum et le minimum de responsabi- 
lité s'échelonnent tous les degrés possibles, et l'on 
comprend que la détermination du degré de respon- 
sabilité soit une chose délicate et qui exige pour 
S chaque cas de minutieuses études, on comprend 
aussi que l'on puisse parler de divers degrés de res- 



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LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 3o5 

ponsabilité, de responsabilité plus ou moins atté- 
nuée. Il ne faut pas demander en parlant de tel 
ou tel coupable — ou de tel ou tel héros — s'il est 
responsable ou non de ses actes, car tout le monde 
est responsable jusqu'à un certain point, et personne 
ne Test absolument. Il faut demander et rechercher 
jusqu'à quel point il est responsable, et, c'est la même 
question, jusqu'à quel point il a été libre dans l'ac- 
complissement de son acte ! . 



§4. 

La liberté ainsi comprise non seulement s'accorde 
avec un déterminisme rigoureux, mais même on peut 
dire qu'elle le suppose. Ce qui fait l'homme libre, en 
effet, est un rapport établi entre ses sentiments, ses 
idées, tout ce qui, en un mot, constitue sa personnalité 
et ses actes, au sens le plus large. Comme ses actes 
font aussi partie de sa personnalité, on peut dire que 
ce qui constitue la liberté, c'est un rapport entre les 
différents éléments du moi. Ce n'est pas un rapport 
quelconque, c'est un rapport d'harmonie et de fina- 
lité, un accord général des pensées, des sentiments 
et des actes qui tendent vers les mêmes fins ou vers 
des fins analogues. La liberté est essentiellement une 
question de finalité, elle est un nom de la finalité. 

C'est dire aussi qu'elle est un nom du détermi- 



i. Pour le développement de ces idées sur la responsabilité 
on peut voir mes études La responsabilité, Revue philosophique, 
1893 et La sanction, Revue philosophique t 1894. 



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3o6 LA VOLONTÉ 

nisme, non pas d'un déterminisme quelconque, mais 
d'un déterminisme bien coordonné et réalisant une 
finalité parfaite dans la mesure du possible. La liberté 
est une forme du déterminisme, la forme où les activi- 
tés des éléments s'enchaînent rigoureusement et s'en- 
chaînent en même temps d'une manière harmonieuse. 
Un acte de volonté par lequel j'exprime mes senti- 
ments les plus profonds et mes croyances les plus 
fortes réalise cette forme de déterminisme. Une impul- 
sion à laquelle je cède par faiblesse et par irréflexion, 
par entraînement et par suggestion mais qui froisse 
en moi bien des sentiments et bien des idées et que 
j'aurais contenue si je n'avais pas été pris par sur- 
prise est tout aussi rigoureusement déterminée mais 
son déterminisme ne représente pas autant de finalité 
ni, pour la même raison, autant de liberté. La diffé- 
rence entre un acte libre et un acte qui n'est pas libre 
ne peut donc tenir à ce que l'un serait déterminé 
tandis que l'autre ne le serait pas, elle tient à ce que 
l'un est le produit d'un déterminisme systématisé et 
l'autre le produit d'un déterminisme non systéma- 
tisé. C'est une question de finalité, non de causalité, 
ou du moins celle-ci n'a de valeur qu'en tant qu'elle 
implique celle-là. 

Si le déterminisme de l'acte libre n'était pas rigou- 
reux, il est aisé de voir que la liberté disparaîtrait. 
La liberté est mesurée, en effet, par le rapport de 
l'acte à la personnalité. L'acte libre doit être l'expres- 
sion de cette personnalité. C'est dire qu'il doit être 
rigoureusement déterminé par elle, et si la rigueur 
de la détermination pouvait varier, le degré de la 
liberté varierait corrélativement, comme il varie avec 



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LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 3c>7 

tout ce qui diminue, dans Pacte, le caractère qui en 
fait l'expression de la personnalité. Il est bien clair 
que si l'acte ne dérive pas rigoureusement de la na- 
ture de la personnalité, s'il peut varier sans que celle-ci 
varie, s'il peut rester le même tandis que celle-ci se 
modifie gravement, il n'exprime plus que faiblement 
cette personnalité, il n'est plus sa libre manifesta- 
tion. Si dans les mêmes circonstances psychologiques 
plusieurs actes sont possibles, c'est que ni l'un ni 
l'autre ne sont le résultat parfaitement significatif de 
ces circonstances, ni l'un ni l'autre ne sont réelle- 
ment l'acte, le produit vrai de la personnalité dont on 
les suppose émaner. Et alors celle-ci ne saurait les 
reconnaître comme les produits de sa libre activité et 
ne saurait en être tenue pour responsable. Si le mé- 
chant pouvait faire indifféremment le bien ou le mal, 
en quoi consisterait sa méchanceté ? et comment son 
acte exprimerait-il réellement sa nature ? Un méchant 
qui ferait le bien sans le vouloir n'en serait pas plus 
responsable qu'un homme bon ne serait responsable 
d'un accident qu'il aurait causé sans avoir pu le pré- 
voir, il n'aurait pas été plus libre dans son acte. Sans 
doute un homme mauvais peut commettre parfois 
une bonne action, mais alors c'est qu'il n'est pas abso- 
lument mauvais et que son acte exprime une partie 
de sa personnalité, une tendance relativement faible 
en général ou en désaccord avec son acte. Et comme 
en ce cas l'acte ne représente point la personnalité 
entière, nous ne pouvons pas en faire remonter plei- 
nement la responsabilité à toute cette personnalité, et 
nous ne dirons pas que toute cette personnalité, mais 
seulement quelques-uns de ses éléments méritent en 



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3o8 LA VOLONTÉ 

principe l'approbation et l'encouragement. Le juge- 
ment serait différent pour le même acte commis par 
une personne foncièrement bonne. Ici le moi tout 
entier deviendrait responsable et mériterait les éloges, 
parce qu'il interviendrait plus efficacement tout entier 
pour déterminer l'acte. 

On peut trouver, je le sais bien, que l'homme plus 
mauvais a plus de mérite à commettre une bonne 
action. Cela veut dire que nous sommes plus sûrs de 
la force de la tendance qui a directement déterminé 
cet acte, puisqu'elle a dû lutter contre d'autres et les 
vaincre. Le mérite de l'ensemble est d'avoir assez peu 
favorisé celles-ci pour les laisser, au moins momenta- 
nément, mettre en déroute. S'il n'y a pas eu une sur- 
prise, un entraînement irréfléchi et passager, alors 
l'ensemble peut bien avoir sa part de liberté et de 
responsabilité qui se mesurera encore par le détermi- 
nisme systématique, par la finalité selon lesquels l'acte 
a été déterminé par la synthèse volontaire d'une per- 
sonnalité dont un certain nombre d'éléments valaient 
mieux qu'on ne le supposait, ou ont été transformés 
par de récentes circonstances. 

Il semble donc que bien des difficultés s'éva- 
nouissent quand on considère ainsi les choses, et 
qu'on invoque la liberté, la responsabilité, le • mérite 
et le démérite, le vice et la vertu, non au point de 
vue de la causalité pure, du déterminisme et de l'in- 
déterminisme, mais au point de vue de la finalité, au 
point de vue du déterminisme systématisé ou du 
déterminisme non systématisé. Je ne veux pas dire, 
certes, que ces difficultés disparaissent complètement, 
mais elles changent de terrain. Elles ne sont plus, à, 



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LA QUESTION DÛ LIBRE ARBITRE 30Q 

proprement parler, des difficultés proprement scien- 
tifiques ou morales, mais plutôt des difficultés philo- 
sophiques ou métaphysiques. Il y a entre elles et les 
questions morales ou psychologiques à peu près le 
même rapport qu'entre les lois de la physique et de 
la chimie d'une part, et, d'autre part, les théories phi- 
losophiques sur l'existence ou la non-existence du 
monde en général ou de la matière en particulier. Je 
ne méconnais pas l'intérêt des problèmes qui pou- 
vaient être soulevés ainsi à propos du prédétermi- 
nisme, delà liberté et de la responsabilité, des notions 
dernières de la morale, mais je n'ai pas à les aborder 
en ce moment. 



§5. 

A côté de la notion de la liberté comme détermi- 
nisme systématisé, comme (inalité rigoureuse, une 
autre notion s'est établie que l'on a souvent con- 
fondue avec elle, mais qui en diffère radicalement. 
C'est celle de la liberté conçue comme opposée au 
déterminisme en général. Ce que ses partisans consi- 
dèrent comme une action libre, ce n'est plus une 
action qui exprime une personnalité, c'est une action 
considérée comme étant, au moins à certains égards 
et dans une certaine mesure, indépendante de ses con- 
ditions, comme pouvant être ou n'être pas, comme se 
produisant sans cause déterminante, psychique ou 
physiologique. 

On comprend assez aisément comment ce sens 
s'est rattaché au précédent. Par définition, l'acte 



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3lO LA VOLONTÉ 

libre, celui qui exprime une personnalité doit être 
indépendant de certaines causes, il doit résister à cer- 
taines influences. Pour que je puisse être dit agir 
librement il faut que ma personnalité ne se laisse pas 
dominer par une de mes passions ou par les sugges- 
tions de mon entourage, qu'elle ne soit pas déterminée 
à agir par une contrainte matérielle en une pression 
morale. Il faut pour qu'un acte soit libre qu'il ne soit 
déterminé principalement par rien autre que par la 
nature de la personnalité qui le commet, qu'il exprime 
surtout cette nature et non une autre nature, qu'il 
ne soit pas rendu nécessaire par d'autres conditions 
que par l'ensemble de conditions qui constitue la 
nature de l'agent. De là on passe à l'idée que l'acte 
libre doit échapper à tout conditionnement rigou- 
reux et ne doit être complètement déterminé par 
rien. On arrive ainsi à cette idée étrange que l'acte 
d'une personnalité peut être, dans quelque mesure, 
indépendant de cette personnalité et de ses éléments, 
des conditions psychiques qu'elle unit, et que même 
cette indépendance est nécessaire à la liberté de l'acte 
et à la responsabilité de la personne. Celle-ci serait 
responsable parce que l'acte est dans une certaine 
mesure indépendant d'elle, qu'il aurait pu être tout 
différent, et que, par conséquent, il n'exprime pas 
sa nature. Elle en serait responsable parce que, en 
somme, elle ne le produit pas. 

On a ainsi confondu et amalgamé l'indétermi- 
nisme et la liberté. On a, par exemple, opposé au 
déterminisme la possession de soi et la réflexion, 
comme si la possession de soi et la réflexion ne pou- 
vaient être aussi rigoureusement déterminées que tout 



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LA QUESTION Dt LIBRE ARBITRE OU 

autre phénomène par les conditions psycho-physio- 
logiques qui sont les qualités de l'esprit. On s'est 
représenté le déterminisme sous une forme morbide ; 
on voyait ses effets dans les maladies nerveuses et 
mentales, dans le détraquement de l'esprit et de l'ac- 
tivité, comme si la santé ne pouvait être aussi rigou- 
reusement déterminée qu'un état pathologique, on a 
confondu l'absence de finalité, de coordination systéma- 
tique avec la détermination rigoureuse et au contraire 
la finalité, Tordre, l'association systématique avec l'in- 
déterminisme. Si des raisons psychologiques peuvent 
expliquer cet amalgame d'idées, aucune raison logique 
ne les justifie. Rien ne garantit que l'indéterminisme 
prendrait une apparence de finalité, qu'un acte indé- 
terminée même à quelque degré, exprimerait mieux la 
nature d'un être qu'un acte déterminé. Pourquoi, en 
effet, en serait-il ainsi? Nous ne pouvons attribuer 
quelque régularité qu'à ce qui est déterminé, une 
chose ne peut en exprimer une autre qu'en tant qu'elle 
se rattache à celle-ci par des rapports définis et plus 
ces rapports seront rigoureusement déterminés plus 
l'expression sera réelle. D'un acte indéterminé on 
ne pourrait rien tirer relativement à l'agent. En 
tant qu'il serait indéterminé, il ne pourrait même lui 
être attribué. Comme les partisans de l'indétermi- 
nisme repoussent généralement l'indéterminisme total 
l'acte serait toujours déterminé dans une certaine 
mesure, et, dans cette mesure-là, il pourrait être 
attribué et imputé à son auteur. Mais précédemment 
la liberté et la responsabilité coïncideraient encore ici 
avec le déterminisme systématique. En tant qu'in- 
déterminé l'acte en serait absolument étranger à 



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3î2 LA VOLONTÉ 

lagent, c'est dire qu'il n'existerait, à proprement 
parler, ni agent, ni acte. 



§6. 

Je ne vois donc aucune raison logique, scienti- 
fique ou morale pour faire intervenir l'indétermi- 
nisme. L'observation et l'expérience en nous mon- 
trant la possibilité de trouver en général une cause 
suffisante aux actes humains, en nous permettant d'en 
trouver ou d'en entrevoir l'explication, en nous fai- 
sant reconnaître une régularité foncière cachée sous 
des dehors variables nous inclinent vers le détermi- 
nisme. L'apparence de l'indétermination, l'impossi- 
bilité de la précision sûre s'expliquent très suffi- 
samment par la grande complication des phénomènes 
psychiques et physiologiques et par notre ignorance 
d'un grand nombre de leurs conditions. De plus les 
analogies scientifiques, la considération des phéno- 
mènes physiologiques, physico-chimiques, et même 
des phénomènes sociaux nous pousse dans le même 
sens. Le déterminisme est donc vraisemblable, et il 
paraît qu'on doit le tenir pour vrai. 

Sans doute ce n'est pas là une certitude absolue. 
Nos instruments de mesure ne sont pas assez précis, 
notre connaissance de l'homme en particulier et de 
la nature en général est trop imparfaite pour que 
nous puissions affirmer sans la moindre restric- 
tion que tout est toujours et d'une façon rigoureuse- 
ment absolue déterminé dans la nature physique, 
psychique ou sociale. La croyance au déterminisme 



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■^fpy'^f^' 



LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 3l3 

est le résultat d'une induction dont la validité est 
vraisemblable mais au sujet de laquelle on peut tou- 
jours faire quelques réserves. Seulement cette ques- 
tion de la possibilité du hasard indéterminé est une 
question philosophique, bien différente de ce que 
Ton croit généralement. Elle n'a rien à faire avec la 
morale, si ce n'est que, comme nous l'avons vu, l'in- 
déterminisme, dans la mesure où il se réaliserait, 
pourrait supprimer la responsabilité et l'attribution 
légitime des actes. Et d'autre part elle ne regarde 
pas spécialement la psychologie de la volonté. S'il y 
a de l'indéterminisme dans l'esprit, cet indétermi- 
nisme peut se placer aussi bien dans l'intelligence, 
dans les sentiments que dans les volitions. Même il 
peut se placer aussi bien dans les phénomènes pu- 
rement physiologiques que dans les phénomènes 
psycho-physiologiques. Il n'y a pas entre les uns et 
les autres des différences de régularité et de simpli- 
cité telles que l'apparence de l'indétermination soit 
absolument écartée des premiers. Bien plus nous ne 
saurions être absolument sûrs qu'il n'y ait jamais la 
moindre indétermination, le moindre clinamen dans 
le monde physique. Et l'on pourrait même dire que 
l'indéterminisme psychologique implique l'indéter- 
minisme des phénomènes de la matière. 

On voit le genre spécial d'intérêt, purement théo- 
rique, que pourrait offrir la théorie de l'indétermi- 
nisme. Cette théorie n'a aucun rapport particulier avec 
la théorie de la volonté, si ce n'est le rapport empi- 
rique établi par de longues confusions entre l'in- 
déterminisme et la liberté. Il semble donc naturel 
d'accepter, dans la science psychologique, le déter- 
Paulhàn. 18 

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3l/j LA VOLONTÉ 

minisme comme on l'accepte en physique et sans 
plus de réserve dans un cas que dans l'autre *. 

i. On peut consulter sur le sujet du déterminisme et du 
libre arbitre, parmi les livres modernes : les ouvrages de 
Fouillée (particulièrement La liberté et le déterminisme)* et 
■ I" M. Renouvier, et les articles de discussion publiés par ces 
deux philosophes dans la Bévue philosophique* et dans la Cri- 
tique philosophique, les ouvrages de Delbœuf, Le libre ar- 
bitre* de M. Fonsegrive (Paris, Alcan, 1887), la Physiologie 
tU la volonté* de M. Herzen (Paris, Germer-Baillière, 1874), 
un bon petit livre de M. G. Renard : V homme est-il libre ? 
(Paris, Germer-Baillière), Schopenhauer. Essai sur le libre 
arbitre. Trad. française. Paris, Germer-Baillière, 1877, et, dans 
h Hibliothèque de psychologie expérimentale* la Morale de 
M. Duprat. Paris, Doin, 1901. 



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OUVRAGES CITÉS DANS LE PRÉSENT VOLUME 



Annales d'hygiène publique et de médecine légale. Paris, 

J.-B. Baillïère. 
Bernard (D r ). De l'aphasie et de ses diverses formes. Paris, 

librairie du Progrès médical, i885. 
Beknheim. La suggestion. Paris, Doin, 1886. 
Binet et Féré\ Le magnétisme animal. Paris, Alcan, 1887. 
Duprat. La morale. Paris, Doin, 1901. 
Durand de Gros. Le merveilleux scientifique. Paris,. Alcan, 

Esquirol. Des maladies mentales, 2 e éd. Paris, J.-B. Bail- 
lïère, i838. 
Fleury (Maurice de). Introduction à la médecine de l'es- 
prit. Paris, Alcan, 1897. 
Fonsegrivb. Le lihre arbitre. Paris, Alcan, 1887. 
Fouillée. La liberté et le déterminisme, 2 e éd. Paris, Alcan, 
i884. 
— Psychologie des idées forces. Paris, Alcan, i8q3. 
Grasset (D r ). Anatomie clinique des centres nerveux, 2 e éd. 
Paris, J.-B. Baillière, 1902. 
— Les maladies de l'orientation et de l'équi- 

libre. Paris, Alcan, 1901. 
Griesinger (W.). Traité des maladies mentales. Pathologie 
et thérapeutique. Traduction française du D r Doumic. 
Paris, Delahaye, 1873. 
Hack Tuke. Le corps et l'esprit. Traduction française de 

V. Parant. Paris, J.-B. Baillière, 1888. 
Hartenberg. Les timides et la timidité. Paris, Alcan, 1901. 
Héricourt. Un cas de somnambulisme à distance. Bulletins 
de la société psychologie physiologique. Année I. Tome I. 
i885. 



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3l6 LA VOLONTÉ 

Herzen (A..). Physiologie de la volonté. Paris, Germer- 

Baillièie, 1874. / 
Hôffdinc (Harald). Esquisse d'une psychologie fondée sur 

l'expérience. Trad. française de M. L. Poitevin. Paris, Alcan, 

1900. 
Janet (Pierre). L'automatisme psychologique. Paris, Alcan, 
1889. 

— Névroses et idées fixes 2 vol. Paris, Alcan, 

1898. 
«L al an de. Sur un effet particulier de l'attention appliquée 

aux images. Revue philosophique. Mars i8q3. 
Legrand du Saulle. Les hystériques. Paris, J.-B. Baillière, 

i883. 
Lévy (D r Paul Emile). L'éducation rationnelle de la volonté. 

Son emploi thérapeutique , 3 e éd. Paris, Alcan, 1901. 
Luys. Le cerveau et ses fonctions. Paris, Germer- Baillière, 1876. 
Malapert (Paulin), Les éléments de caractère et leurs lois 

de combinaison. Paris, Alcan, 1897. 
Marc. De la folie considérée dans ses rapports avec les 

questions médico-judiciaires. Paris, J.-B. Baillière, i84o. 
Marion. La solidarité morale. Paris, Alcan, 1880. 
Maudsley. Physiologie de l'esprit. Traduction française 'de 

Herzen. Paris, Reinwald, 1879. 
Pascal (Biaise). Opuscules et pensées. Édition Brunschwicg. 

Paris, Hachette. 
Paulhan. L'activité mentale et les éléments de V esprit. 
Paris, Alcan, 1889. 

— L'attention et les images. Revue philosophique, 

mai 1893. 

— Psychologie de l'invention. Paris, Alcan, 1901. 
Payot. L'éducation de la volonté. Paris, Alcan, 1894. 
Perez (Bernard). Les trois premières années de l'enfant. 

Paris, Germer- Baillière, 1878. 

— L'enfant de trois à sept ans. Paris, Alcan, 

1886. 
Preyeb. L'âme de l'enfant. Traduction française de H. de Va- 

rigny. Paris, Alcan, 1887. 
Renard (G.) L'homme est- il libre ? Paris, Germer- Baillière, 
Renouvier (Ch.). Essai de psychologie rationnelle d'après 
les principes du criticisme, 2 e éd. Paris, Bureau de la Cri- 
tique philosophique, 1875. 
Ribot (Th.). Les maladies de la volonté, 3 e éd. Paris, Alcan, 
i885. 
— Psychologie de l'attention. Paris, Alcan, 1889. 



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OUVRAGES CITÉS 3t 7 

Richet (Charles). L'homme et V intelligence. Paris, \.kan h 

— Les réflexes psychiques, 3 articles. Revue 

philosophique, 1888. Tome t. 
Richer (D r ). Études cliniques sur la grande hystérie ou 

hystéi'O'épilepsie. Paris, Delahaye, i885. 
Schopenhauer. Essai sur le libre arbitre, Trad r française. 

Paris, Germer-Baillière, 1877. 
Souri au (Paul). Théorie 4e l'invention. Paris, Hachette, 

i885. 
Spencer (H.). Principes de psychologie. Trad. française de. 

Ribot et Espinas. Paris, Germer-Baillière, 1874, 
Taine. De l'intelligence, 4 e éd. Paris, Hachette, i883, 

— Les philosophes classiques du xix e siècle en France, 

3 e éd. Paris, Hachette, 1868. 

— De la volonté. Fragments inédits. Revue philoso- 

phique. Novembre 1900. 

Toulouse (D r ). Emile Zola. Paris, Société d'édition scienti- 
fique, 1896. 

Wundt (W.). Éléments de psychologie physiologique, Trad. 
française de E. Rouvier. 2 vol. Paris, Alcan, iSgfi. 



18. 

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TABLE DES MATIÈRES 



Papes. 

Introduction. ; , . . i 

Si 

§ * 3 

S 3 4 

§ 4- .... * 5 

CHAPITRE PREMIER 

LA VOLONTÉ ET L 'AUTOMATISME 

g i. — \clea ri;flaxos cl automatisme paychi- 

que. r ♦ , , 6 

g a. — La complication ries réflexes psychiq n os. g 
g 3. — Les origines de la volonté dans l'auto- 
matisme. . i 10 



§ 4- 



L Impuissance de l'automatisme comme 



condition de la volonté. Volonté et 

invention. ,.<... ia 

§ 5 f — Le conflit dos tendances automatiques 

comme condition de la volonté. . 1 5 

g 6, — L'automatisme et le» conditions de la 

vie humaine. ..*,*.. 18 

§ 7, — > Distinction de la volonté et de certaines 

formes de l'automatisme. . ... 19 

§ S t — L'automatisme dans la volonté. . a a 

î 0, — L T aulo materne* condition de la volonté, 

en est aussi l'a-bou lissant, . a5 

^ 10, — La volonté dans 1 automatisme, . 37 



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TABLE DES MATIÈRES 3lQ 



CHAPITRE II 

LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 

§ i. — La suggestion. ........ 3o 

§ 2. — Suggestion et volonté : analogies et 

différences. . . 34 

§ 3. — Les rapports de la suggestion et de la 

volonté . » . 36 

§ 4- — La suggestion prépare les conditions de 

l'acte volontaire. ...... 38 

§ 5. — La suggestion dans l'activité volontaire. 4o 

§ 6. — La volonté dans l'activité suggérée. 43 

CHAPITRE 111 

LA VOLONTÉ ET LES FAITS PSYCHIQUES 
EN GÉNÉRAL 

§ i. — Les caractères do la synthèse volttïve. 47 

§ 2. — Synthèse volitive et synthèse psychique 

en général. ♦ . $8 

§ 3. — Il y a partout de la volonté dans l'es- 
prit 5i 

§ 4- — La synthèse volitive. * 53 

CHAPITRE IV 

L'ACTE DE VOLONTÉ 

I. — La volition, ses trois moments^ et les lois d'as- 
sociation systématique et d'inhibition systé- 
matique. 
§ i. — La préparation de Tac te volontaire, ses 

conditions 55 

§ 2. — La délibération. 58 

§ 3. — Délibération et décision, ..... 65 
§ 4« — La décision, créée par le moi» le trans- 
forme ♦ 70 

§ 5. — La décision comme transformation dn 

moi * . « * , 7a 



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I 



320 TABLE 



DES MATIERES 



§ 6. — Formes différentes de la décision. . . 75 

§ 7. — L'exécution 76 

§ 8. — L'exécution est un signe de la décision. 78 
§ 9. — Les rapports de l'exécution avec l'inhi- 
bition et l'association systématique. 81 

CHAPITRE V 
l'acte de volonté 

II. — La volition et l'activité indépendante des élé- 
ments psychiques. 
§ 1. — L'activité indépendante des éléments 

psychiques 83 

§ 2. — L'activité indépendante des éléments à 

l'origine de l'acte de volonté et dans 

la délibération 84 

§ 3. — L'activité indépendante des éléments 

dans la détermination de la décision. 89 
§ 4- — L'activité indépendante des éléments et . 

l'exécution 92 

CHAPITRE VI 

l'évolution de la volonté 
des caprices au pouvoir personnel 

I. — Les caprices. 

§ 1 94 

§ 2. — Le caprice, sa nature 95 

§ 3. — Le caprice et les trois phases de la vo- 
lonté 98 

§ 4. — Différences de la volition et du caprice. 

Le caprice et la personnalité. . . 102 

§ 5. — La part de la personnalité dans le ca- 
price io4 

§ 6. — Le caprice comme forme « élémentaire » 

de la volonté 106 

§ 7. — Le caprice et ses formes pathologiques. 107 

§ 8 112 



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TABLE DES MATIERES 321 

CHAPITRE VII 

L'EVOLUTION DE LA VOLONTÉ 
DES CAPRICES AU POUVOIR PERSONNEL 

II. — Le pouvoir personnel et la maîtrise de soi. 

§ i. — Définition sommaire du pouvoir per- 
sonnel ni 

§ 2 . — Analyse du pouvoir personnel. . . . 117 
§ 3. — Le pouvoir personnel et les imperfec- 
tions de l'automatisme 1 •>. 1 

§ 4. — Le pouvoir personnel et le caprice. . iu3 

§ 5. — Le moi et son action 136 

§ 6. — La marche du pouvoir personnel vers 

l'automatisme i3a 

§ 7. — La marche du pouvoir personnel vers 

l'automatisme i3i 

§ 8. — La marche du pouvoir personnel vers 

l'automatisme i36 

§ 9. — La délibération et la décision dans; 

l'exercice du pouvoir personnel. . iio 
§ 10. — Le pouvoir personnel et l'exécution. i4ti 

§ il; — Les formes intermédiaires et les formes 

composées. i.'i7 

§ ia. — Les formes intermédiaires et les formes 

composées ♦ t^g 

CHAPITRE VIII 

LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 

§ 1. . ' i5o 

§ 2. — Conscience et volonté i5i 

§ 3. — Le.« je veux » 167 

§ 4- — Le « je veux » n'est pas nécessaire k 

la volition i65 

§ 5. — Le domaine de la volonté : la volonté 

et les autres phénomènes psychiques. j 68 
§ 6. — La volonté et les phénomènes intellec- 
tuels 17a 



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ï-*y? 



322 TABLE DES MATIÈRES 

§ 7. — Volition el perception 176 

§ 8. — La volonté et l'activité intellectuelle 

générale 180 

§ 9. — La volonté et les phénomènes affectifs. 182 

§ 10. — La volonté de vouloir 189 

§ 11. — Le domaine contesté de la volonté. . 191 

§ia. — L'impuissance de là volonté ig5 

§ i3. — La volonté et les fonctions organiques. 199 
§ i4. — La volonté et le monde extérieur: in- 
fluence directe 202 

§ i5. — La volonté et le monde extérieur : in- 
fluence indirecte 207 

§ 16. — La volonté obstacle à l'action. . . . 2i4 

§ 17 •. • • • 3I 9 

CHAPITRE IX 



I/EXTENSION DU DOMAINE DE LA VOLONTE 

Formation et éducation de la volonté sup- 
pléances et complications. 



§ 1. - 



§ 2 
§ 3 

§ 4 

8 5 

§ 6 

§ 7 

§ 8 
§ 9 

§ iQ 
§ «■ 
§ 12 



L'élargissement du domaine de la vo- 
lonté. . . 221 

Enfants et adultes 224 

Les moyens indirects du pouvoir per- 
sonnel 228 

Combinaisons de phénomènes. L'inter- 
médiaire efficace 23o 

Action sur les sentiments 235 

Exercice de la volonté 237 

Les fonctions organiques. Actions di- 
rectes et indirectes 23g 

La conquête du monde extérieur. . . 242 
Phénomènes pathologiques de substitu- 
tion 245 

L'excitation du moi et de ses éléments. 25 1 

Moyens physiologiques 254 

L'éducation de la volonté 260 



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TABLE DES MATIERES 3a3 

CHAPITBE X 

LA VOLONTÉ AU POtftT DE VUE 
PHYSIOLOGIQUE 

§ i ♦ . . . aG6 

§ 2 369 

§3 370 

CHAPITRE XI 

LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIAUX 

§ 1 a 7 5 

§ 3. — L'activité automatique et l'activité vo- 
lontaire dans la vie de la société. 377 
§ 3. — Les conditions de la volonté sociale, , 38a 
§ 4- — Analyse de l'acle de volonté sociale* 

Ses trois phases a85 

§ 5. — Le jeu des éléments indépendants, . . 288 
§ 6. — Caprice et volonté sociale. Le moi so- 
cial et la société. t 2 Sa 

§ 7. — L'équivalent du pouvoir personnel dans 
les sociétés. Le pouvoir de l'État, 

ses limites, sea conquêtes. -, 20 j 

§ 8 ag5 

Conclusion ....... aqfi 

APPENDICE 

LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE . . ago, 

§ ! 3oo 

§ a 3 ûa 

§ 3. 3o3 

§4 3o5 

§ 5 3o9 

§ 6 3l * 

Liste des ouvrages cités. . ■ j- ; 3i& 

Table des matières 3ig 



CHARTRES. IMPRIMERIE DLRAEID, Kilt FlLBtUT, 



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